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J’étais en train d’enlever ma culotte quand j’entendis un crissement de pneus et un claquement de portière au loin. Se pouvait-il que quelqu’un d’autre s’intéresse à ce camping en cette morne saison, de surcroît si tôt un dimanche matin ? Quelqu’un avait-il eu la furieuse envie de venir faire son jogging dans ce bois au point de se fendre d’un dérapage au frein à main sur le parking situé en lisière de forêt ? Quoi qu’il en soit, des pas rapides se rapprochaient et j’étais seule avec, comme seul refuge à ma portée, l’antique pied-à-terre dont avait hérité mon chevalier servant et qui semblait aussi inviolable que la maison de paille du premier des trois petits cochons. Quant à Jules, il profitait de la vie, cinquante mètres plus bas, bien au chaud dans une roulotte dont l’usage promettait une isolation thermique et sonore certaine. Dans l’éventualité où il finirait par comprendre que notre cocon avait été envahi, il n’était pas vraiment en position de venir s’interposer de manière crédible. J’étais donc seule. J’attrapais le couteau à pain et m’enroulais dans le linge tandis que le sprinter s’approchait.

  • Pas le sauna ! Pas le sauna ! Tu vas attraper des mycoses, des chlamydiae, des champignons, le covid, la peste bubonique et tout plein de MST ! Pas le sauna ! Jamais de sauna, je te l’ai déjà dit, Heidi !

Putain, Lorenzo. Je savais qu’il traçait mes mouvements grâce à mon téléphone, mais le coup du sauna, c’était un peu fort. Ce mec devenait vraiment envahissant. Et il avait l’art de se barrer au moment où j’avais le plus envie qu’il reste et de débarquer au moment où j’avais le moins envie de le voir.

  • Lorenzo ? Mais qu’est-ce que tu fais ici ?
  • Je sauve ta peau ! Des mycoses ! Des verrues ! Beurk ! Il faut partir d’ici ! criait mon webmaster en fonçant dans ma direction.

J’en restais estomaquée. Comment avait-il su ? Comment se permettait-il ? Je réalisais soudain combien cet homme devenait imprévisible.

Ses yeux s’écarquillèrent à la vue de l’abri dans lequel j’avais passé la nuit.

  • Tu n’as pas dormi là, j’espère ! Et tu allais te baigner dans ce lac ? Cette femme est folle ! Les puces de lit ! Les poux de canard ! Les puces d’écureuil ! Les tiques ! La maladie de Lyme ! Tu vas attraper la mort ! On rentre à la maison.

Mon sauveur autoproclamé commença à ramasser mes affaires et à les jeter dans le brasier devant nous.

  • Qu’est-ce que tu fais ? Tu es fou ! Arrête !
  • Faut tout brûler ! Au bûcher, les morpions ! Tu ne crois pas que je vais ramener ta vermine dans ma Porsche, quand même ! Tiens, je t’ai pris la robe de chambre de papy ! Il te la donne ; elle est vintage. Il s’en ai acheté une toute nouvelle. Tu peux garder celle-ci. Il y a un peu de vomi sur le col, mais il n’y a pas de parasites.

J’avais l’habitude de me vêtir dans les vide-greniers, mais la loque de son vieux dépassait toutes mes ambitions de couturière écolos. Tâchée à l’avant, élimée de partout, elle sentait un mélange de moisi, de fumée froide et de relents gastriques. Je ne voyais vraiment pas comment j’allais faire du neuf avec de l’ancien. À bien regarder la trame du vêtement, elle partirait en lambeau au prochain lavage. Alors que, dévêtue dans le froid hivernal, je fixais la relique en la pinçant du bout de mes doigts, je commençai à claquer des dents. Lorenzo se mit alors à me frictionner avec du gel hydroalcoolique ; c’est à ce moment-là que j’ai perdu pied, figée au milieu des sables mouvants. Tandis que Jules m’attendait bien au chaud à quelques enjambées de la scène, mon superhéros m’emballa dans un peignoir moisi, me balança sur son épaule et me porta jusqu’à sa voiture en me conseillant d’arrêter de claquer des dents.

  • Ça coûte cher le dentiste. Fais attention ! Les femmes, vous coûtez toujours trop cher ! Vous croyez qu’on a les moyens de vous offrir des nouvelles dents à chaque fois que vous allez faire du camping avec un inconnu ?

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