8 - Le Maître du jeu

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Tandis que je zigzaguais entre les voitures pour échapper aux colosses en rogne du service de sécurité, une moto se mit en travers de ma route. « Non, mais, il ne manque plus que ça ! », pestais-je en essayant de la contourner. Mais le motard ne l'entendait visiblement pas de cette oreille ; il insistait, me bloquait le passage, avançant et reculant sa moto pour me barrer la route. Il finit par m’attraper par le bras, quand soudain, j'entendis mon prénom. Mon prénom ? Je reconnus soudain les yeux qui me fixaient avec intensité :

  • Jules ?
  • Monte ! On s’arrache !

Ni une, ni deux, j’enjambai la cylindrée et enroulai mes bras autour du blouson en cuir. Jules mit les gaz et quelques fractions de seconde plus tard, les gaillards avaient disparu de ma vue (et moi de la leur).

C’est au moment où nous bifurquions dans ma rue que j’aperçus le scintillement des gyrophares. Après avoir remonté la file de bagnoles arrêtées, je découvris Etienne en train de crier et de se débattre, ligoté sur une civière. « Ce mec prend décidément trop de substances. », pensais-je.

Les soignants avaient sanglé à son brancard l’homme qui aurait dû me servir de plan C. Il restait néanmoins déchaîné au point de faire faire des bonds à son lit de métal sur roulettes. À l’instant où nous dépassons la scène, l’un des soignants est en train d’approcher une seringue des parties intimes d’Etienne. Je comprends qu’il nous fait une nouvelle crise de priapisme. Etienne m’a raconté en avoir déjà fait deux. Parce que oui, il s’en vante en plus ! Je repense à Lorenzo qui a très certainement raison pour une fois : je ferais peut-être mieux d’écarter cet Etienne de ma vie.

Après avoir dépassé l’ambulance, je constate que la Porsche a disparu. Bilan provisoire de ma soirée : un toxico en puissance sur une civière et un pitre qui s'est tiré en m’abandonnant seule avec les vigiles qui auraient dû le poursuivre à mes trousses. En repensant à Etienne, rouge écarlate, sanglé à sa civière, je me dis que j’ai néanmoins certainement échappé au pire. Mon sang se glace à l’idée que j’ai failli passer la nuit avec un forcené. En réalité, je l’ai échappé belle et le clown a raison : il faut vraiment que je soigne mes fréquentations.

Arrivée au bout de la rue, la moto s’arrête au feu rouge. Les yeux de Jules viennent sonder les miens. En guise de réponse, je me blottis contre lui. J’ai besoin de me reposer sur lui. Il redémarre. On dépasse un véhicule de fourrière affublé de ballons en forme de préservatifs à l’arrière. Décidément, mon guignol a lancé une mode.

Notre monture trace à travers la cité, puis à travers la campagne. En voyant le paysage défiler, je me sens soulagée de m’éloigner des fous, des mythos et autres bras cassés qui peuplent ma vie. Je m’en remets à Jules ; de toute façon, ma vie ne peut pas devenir pire.

Je connais Jules par les soirées SM qu’il organise, dans un vieux manoir isolé. C’est lui, le Maître de cérémonie. Un jour où l’on s’était croisés dans la rue par hasard, il m’a révélé que son vrai prénom était Jules.

  • À l’extérieur, je préfère que tu m’appelles par mon prénom, m’avait-il chuchoté en me faisant un clin d’œil au moment où je m’apprêtais à vendre la mèche devant celle qui devait être sa grand-mère et qu’il baladait dans un fauteuil roulant.

Mon sauveur arrêta sa moto à l’entrée d’une forêt au milieu de nulle part. En cette fin de journée du mois de novembre, cet endroit est aussi hostile qu’improbable et je commençais à me demander ce que l’on pouvait bien y faire. Trois cinglés dans une seule journée, le destin s’acharnait décidément sur ma pauvre personne. Je regardais dans toutes les directions comment fuir d’ici avec mes bottines. Comprenant ma panique et sur un ton rassurant, il me fit un sourire et murmura :

  • Je viens d’hériter de la vieille caravane de ma grand-mère. En cette saison, le camping est fermé, mais si tu as une place à l’année, personne ne t’empêche de venir. Je venais y passer le week-end quand je t’ai croisée. Il me semble que toi aussi, tu as besoin de te mettre au vert.

Il n’avait donc pas l’intention de me trancher la gorge et d’enterrer mon corps au milieu d’un bois ? À la bonne heure ! Mais moi, j'étais en train de devenir parano et, il avait vu juste : j’avais clairement besoin d’un break.

  • Viens c’est par là, ajouta-t-il en indiquant un chemin de chaille, tout-à-fait pratiquable même avec mes petits talons.

Il entoura mes épaules de son bras et après 3 minutes, nous arrivâmes dans un havre de paix au bord d’une rivière. Il n’y avait que nous deux. Pas un chat, pas un bruit, pas de wi-fi ni de réseaux sociaux, de stories et de chick sans déchet. Pour une fois, il n'y avait que Jules et moi, et la rivière en contrebas.

Mon hôte alluma un feu au bord du cours d'eau en face de la caravane. Il sortit de la charcuterie et du pain frais de son sac à dos, prit une bouteille de rhum dans sa réserve et on s’installa pour la soirée autour d’une petite table de fortune. Cela faisait presque quatre mois que "chick sans déchet" avait renoncé à la viande par conviction. Je me ruais sur son pâté de campagne.

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