Chapitre XXIX : Ondes et souvenirs, Partie 1

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 Le reflux de l'océan caressait mon visage. Mon corps était endolori par le froid maritime, mes tétons étaient givrés, ma peau durcie par l'eau froide, alors que le soleil me brûlait les yeux que je maintenais fermés. J'aimais bien ce contraste ; une brise marine s'engouffrait dans mes narines, me chatouillant, sans savoir où j'étais, je ne m'y sentais pas si mal.


 Je toussais, et par la-même réveillais une douleur aiguë dans mon torse, comme si tous mes os étaient brisés. J'inspirais lentement par le nez une bouffée d'air salvatrice, arrivée dans mes poumons, cette dernière refit fonctionner mon cœur, qui lui me paraissait lourd, plus lourd qu'un arbre centenaire, plus lourd qu'une montagne.

 Sans encore savoir pourquoi, je me sentais rongée par une culpabilité inexplicable, comme si l'univers entier m'accablait en me désignant du doigt.
Le ciel devait s'être terni de nuages à ce moment-là, car je n'avais plus chaud à la tête, mon cerveau au même moment s’emplissait lui aussi de ténèbres ; et si la pluie ne tombait pas encore, dans mes yeux, des torrents se déversaient alors que je prenais conscience, confuse, de ce qu'il m'était arrivé, et de ce que j'avais fait.


Je me souvenais de Gnas, de notre périple, de Tne' qui m'avait sauvée et avec qui j'avais voyagé, je me rappelais avoir pris la décision de me diriger à Teysandrul. Mes oreilles se mettaient à siffler. Teysandrul et ses quartiers délabrés, ses murailles balafrées. J'avais lutté avec Irasandre. Irasandre... Un hurlement strident traversait mon esprit. Je me remémorais avoir frissonné en passant devant les geôles et maintenant tout redevenait clair.

 Mon corps subitement me rappelait les agressions que j'avais subies, je me revoyais endurer ma peine en silence, pour finalement devenir le bourreau d'une ville entière. Mais qu'avais-je fait ? Tout est si flou. Avais-je simplement rêvé de mon voyage partagé ? étais-je revenue au point de départ ? Est-ce que là actuellement, j'étais à nouveau toute seule ? Personne n'allait réellement venir me chercher, j'avais juste eu besoin de m'inventer une belle histoire pour oublier l'enfer que j'avais vécu. Pour oublier l'enfer que j'avais créé par ma colère.


 Mais qu'avais-je fait ? J'essayais d'ouvrir les yeux, mais le soleil réapparaissait à cet instant, et c'est comme si un éclair blanc venait de m'aveugler. Je me retrouvais projetée dans un espace pâle, grand et clos. J'étais seule et pourtant des voix, très troubles, sillonnaient l'air. Je me levais et courais en les suivant mais quand je croyais les atteindre, elles me paraissaient venir de derrière moi. J'avais couru de longues minutes après ces chuchotements.

 Puis, plus rien. Seule dans ce désert immaculé, j'attendais en m'asseyant sur les genoux. Le silence perdurait quelques instants et enfin, des couleurs apparaissaient, puis des silhouettes prenaient formes. Je les reconnaissais avant qu'elles ne soient complètement distinctes, les silhouettes étaient celles de Tne' et de Gna'. Je me retrouvais face à mes propres hallucinations.



 "Je ne pense pas qu'elle se rende compte. Disait Tne', le regard et le ton graves.

- Elle est comme elle est. Si le sang est sa réponse, rien ne pourra changer. Lui répondait Gna'.

- À vouloir rendre la justice par la mort, on se donne le droit de juger la vie entière ; puisqu'il lui est si simple de tuer, elle va finir par croire que sa justice est valable et elle ne deviendra rien d'autre qu'une meurtrière. Qui ne vaut pas mieux que ceux que l'on traque. Rétorquait Tne', furieux.

- Elle a ses raisons, tu ne crois pas ? Essayait-elle de le raisonner.

- Mais vous, je nous vous ferais jamais de mal ! Hurlais-je sans même attirer leur attention. Et j'ai mes raisons ! Laissez-moi vous expliquer !

- Te rappelles-tu Gnas, dans quel état t'avait laissée Evialg la première fois que vous vous êtes battue ? Je prenais conscience même s'il s'agissait d'un rêve, que je n'avais pas été juste avec Gnas. Si tu avais été une humaine quelconque, tu serais morte, empalée et nous aurions poursuivi notre chemin, comme si nous avions seulement eu un caillou dans la chaussure. On s'arrête pour le jeter et on repart.

- Un combat reste un combat. Si je n'avais pas failli, c'est peut être elle qui serait morte. Tu n'en sais rien. Reprenait-elle sans s'être vexée de la comparaison. Toi aussi tu juges, tu la juges, elle.

- Sauf que je ne suis pas responsable de tant de morts qu'elle. Tu ne te souviens pas à l'auberge ? Tu nous avais sauvés, et elle ne t'a adressée que froideur et a été odieuse.

- C'est faux ! J'aime Gnas, je l'aime plus que je ne m'aime moi ! Je ne sais juste pas comment faire ! Regarde-moi Gnas et ne l'écoute pas ! Je m'étais approchée d'elle pour la secouer, pour qu'elle me voit et m'entende, mais je ne pouvais ni la toucher, ni lui faire comprendre que je lui parlais.

- C'est vrai qu'elle n'a pas toujours été très sympa Evialg... Maugréait Gnas.

- Ne l'écoute pas je t'en supplie ! Je suis là ! Sauve-moi ! M'égosillais-je.

- Evialg vit avec son fardeau et seulement le sien. Si ce n'est pas un combat qui a raison d'elle, c'est son égoïsme qui en viendra à bout. Disait Tne' sans une once de compassion dans la voix. Je m'étais recroquevillée sur moi-même, et pleurais à chaudes larmes, dévastée par ces critiques, que d'une part je comprenais et d'autre part je ne m'expliquais pas, rendant ces mots encore plus durs qu'ils ne l'étaient déjà.

- Elle finira seule, alors. Concluait Gnas.

- Elle est déjà seule. Terminait Tne'."



 J'étais rongée par cette conversation. La pièce se grisait, mes deux compagnons de voyage disparaissaient lentement, tandis que je sautais vers Gnas pour la retenir, pour essayer de la blottir contre moi, son regard se plantait une dernière fois dans le mien, elle avait l'air triste et déçue. Elle s'effaçait dans un écran de poussière à mon contact. Je pressais mes bras autour de moi.

 La pièce disparaissait à son tour, et j'ouvrais les yeux lentement ; mes oreilles, noyées par la maigre hauteur d'eau, me renvoyaient de drôles de sonorités, comme si quelqu'un gémissait dans l'eau. Je m'extirpais le haut du corps, et les pleurs aquatiques se transformaient en chants d'oiseaux et clapotis de vagues. Si mêmes mes rêves me renvoyaient ça, je devais vraiment être mauvaise. Mais je n'avais pas choisi tout ça !

 Pourquoi eux, que je croyais être mes meilleurs amis, ne comprennent-ils pas que je suis comme ça a cause de ce que j'ai vécu... Mais. Mais ils ne le savent pas. Pourtant je n'ai pas choisi d'être abandonnée puis kidnappée et encore moins de me faire violer. Je ne voulais pas devenir une meurtrière, je ne voulais pas, je ne voulais pas !



"Personne ne peut-il comprendre ma colère !? Hurlais-je, quittant mes pensées."



 Comment pourrais-je leur expliquer ? Comment vont ils le prendre ? Ne vont ils pas croire que je me cherche une excuse maintenant que j'ai pris conscience de ce qu'il s'était vraiment passé ?
Puis je me disais que je ne les avais peut être après tout, seulement rêvés et c'est tout. Que je n'aurai donc pas à m'expliquer. Que je n'aurai pas à avouer mon Amour à Gnas, que je n'aurai donc pas à répondre de mes actes.

 Le seul prix à tout ça, c'est d'être et de demeurer seule. À jamais. C'est le prix à payer si je ne veux pas devenir un monstre à leurs yeux. Je laissais mon dos retomber dans l'eau, ma tête s’immerger et mes oreilles me faire entendre à nouveau les sanglots de l'océan. Mon enfermement allait être compensé, cet océan sera mon tombeau.


 Je m'endormais, bercée par les vaguelettes. La nuit ne tarda pas à arriver, et j'eus très froid, trop froid pour bouger, trop froid pour me sortir de ce grand bain. Trop froid pour rester éveillée. peut-être même trop froid pour survivre.



 Au petit matin, ce sont les cris de plusieurs dizaines de mouette qui me réveillaient. Je ne sentais plus la fraîcheur de l'océan sur ma peau, seul le sable me recouvrait. Même la mer ne me voulait pas en son sein, et m'avait laissée échouée sur la plage. Néanmoins, la chaleur dégagée par le soleil sur ma peau nue, me faisait le plus grand bien. Tout en gardant les yeux clos, je roulais sur l'étendue sablée jusqu'à atteindre un endroit encore plus chaud, où je m'étendais, l'esprit vide ; me laissant porter par la torpeur, je sombrais à nouveau ; désormais écrasée par le rayonnement de l'astre du jour. Comme l'écume des vagues, je me laissais dorloter par le doux chant de la houle, je quittais lentement la lumière pour rejoindre l'obscurité du sommeil.


 Mes idées se mélangeaient les unes aux autres, tandis qu'un souvenir se profilait pour occuper mon esprit. Une réminiscence qui me ramenait quelques heures après l'assaut que nous avions essuyé dans la forêt. Gnas m'avait portée du bosquet où elle m'avait protégée, jusqu'à un village. Des heures durant, je n'avais vu que des branchages et le ciel étoilé tout en étant ballottée dans tous les sens.

 Finalement elle m'allongeait sur un lit dur comme du bois, dans une maison qui sentait aussi mauvais qu'une étable. Peut-être m'avait-elle réellement déposée dans une étable. Même dans ce rêve, je me souvenais la voir partir, me laisser là, me noyant dans la douleur. J'étais déchiquetée, j'avais mal. Et elle partait. Elle m'abandonnait alors que je souffrais le martyr. Je me souvenais avoir attendu de longues minutes avant de tomber, cette fois-ci aussi dans les ténèbres.


 J'étais secouée, brassée, ma somnolence s'estompait. Avant d'ouvrir les yeux, je pensais me réveiller à cause de la marée, qui serait montée pendant mon absence, mais cela n'expliquait pas la fièvre qui me tordait de douleur, ni les sueurs froides qui dégoulinaient de mon front, et je n'étais pas trempée. Le claquement des vagues s'était pourtant intensifié, je n'entendais plus distinctement ce qui se passait autour de moi. Je me sentais soulevée, remuée.

 Je peinais à réouvrir les yeux, aveuglée par la pâleur du zénith. J'étais certaine que quelqu'un était là. Mon état m'empêchait cependant de savoir si je délirais ou si j'étais lucide et consciente que l'on me déplaçait. Je me sentais perdue, j'étais nue, sûrement inconsciente sur une plage ; en fait pour en revenir à mon problème habituel, je ne savais rien. Je me replongeais dans mon souvenir pour fuir ce que je pouvais potentiellement être en train de vivre.


 Cela me ramenait dans la pièce malodorante, où j'attendais que quelque chose se passe, ou que Gnas revienne, si revenir elle devait. Persécutée par la douleur, j'en oubliais le temps, je ne pensais plus qu'à mes pires tourments, la paranoïa me gagnait et j'étais sûre que plus personne ne viendrait. J'allais être abandonnée à mon sort, je fermais les yeux pour ne pas voir la fin arriver, s'engouffrant par la porte et me dévorant. Mais subitement on m'embrassait, tendrement, chaudement.

 On me grignotait la bouche, pas n'importe quelles lèvres étaient en train de glisser sur les miennes, je les avais déjà désirées auparavant, déjà regardées, déjà effleurées.

 C'était la fin de mon rêve, mon souvenir ne se terminait pas si mal que ça. J'ouvrais les yeux, drapée dans une étoffe douce, je me retrouvais nez à nez avec Gnas, j'étais éblouie par l'éclat du soleil qui faisait scintiller le sable et l'océan, son regard ne m'avait pas encore croisée, elle était trop occupée à frotter son front au mien. Je me sentais inondée par beaucoup d'énergie, j'entourais mollement son cou de mes bras, et m'accrochais à sa bouche. Jamais plus je ne te laisserai partir Gnas, je me le promettais en silence, espérant que tout cela ne soit pas un rêve. Je décollais mes lèvres des siennes, je souriais et elle aussi.


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