Chapitre XXII : Au cœur de danger, Partie 1

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 Fort loin du village mercantile, et de sa beauté illuminée ; une longue chevelure magenta volait au gré du vent mauvais qui balayait ces landes rocailleuses, ces dernières étaient voilées par une épaisse nappe stagnante de nuages sombres. Les steppes mornes étaient dépourvues d'une quelconque végétation, même un nid de ronces aurait pu égayer ces paysages désolés, creusés de balafres telluriques desquelles s'échappaient de large souffles sulfurisés.

 La vagabonde, drapée dans un long chaperon noir, progressait rapidement, sautant au-dessus des crevasses qu'elle rencontrait, escaladant les barrières rocheuses qu'elle croisait. Ce désert noir, sans qu'elle ne le connaisse, ne lui paraissait pas étranger pour autant. Une aura l'attirait depuis de longues heures, en direction de l'épicentre plus obscur des nuages qui recouvrait le ciel, duquel hurlaient désormais des éclairs striant la nue de flashs mauves.


 La course ininterrompue amenait l'aventurière en vue de remparts lugubres, détruits par endroit, complètement rasés d'autre part. Des convois, marchands pour la plupart, sillonnaient une route que la jeune femme avait volontairement évitée, s'éloignant ainsi des patrouilles montées qui gardaient la voie grossièrement pavée.

 Rapidement, elle atteignit les murs, et profitant d'une brèche, s'enfonça dans la cité. La ville était un patchwork de quartiers en miettes, et d'autres en reconstruction. La foule et son brouhaha couvraient sans difficulté l'infiltration de notre aventurière, qui venait de revêtir son capuchon noir pour cacher sa chevelure voyante et peu commune ; elle était dissimulée dans son habit sombre parmi la population arborant des guêtres toutes aussi obscures que la sienne. Elle avait une mission, découvrir qui était la ou le mystérieux couturier de son habit.


 Depuis le carnage de la caverne, son esprit était habité par l'attitude étrange de la cheftaine à son égard ; elle était troublée par les révélations concernant son âge réel, et donc de tout ce que son amnésie avait pu dévorer d'elle.


 Les ruelles de cette ville offrait une luminosité très faible, compte tenu d'un éclairage quasi inexistant et d'un ciel noir toute l'année. Ainsi, les pas de l’infiltrée la conduisaient vers un grand nombre d'ateliers de couture, pour la plupart sans dessus-dessous, elle n'hésitait pas à pénétrer les décombres et à fouiller à sa guise, et malgré son acharnement et une vingtaine d'établissements vus, elle était toujours bredouille. "Irasandre" semblait être inexistant, ou peut-être poursuivait- elle un fantôme ? Sans le savoir, c'est elle qui était poursuivie par deux ombres, qui depuis quelques heures avaient bien remarqué qu'elle évoluait seule dans la cité. Elle finirait bien par emprunter une ruelle coupe-gorge, et à ce moment-là, elle deviendrait alors une proie facile.


 Teysandrul, cité des ténèbres et de la crasse, était comme sa jumelle opposée - Ïlyohelm- , organisée en quartiers d'artisanat, notre infiltrée avait cependant déjà exploré tous les grands axes englobant le pâté de maisons des couturiers et tailleurs, et avait peur de devoir partir de la ville en ayant fait chou blanc. La femme allait désormais s'engouffrer dans les artères plus étroites.


 Quelques mètres plus loin, à peine enfoncée dans une desdites ruelles, elle remarquait tout d'abord quelques échoppes plus humbles aux devantures simples, et plus loin, un encapuchonné adossé au mur. Elle s'arrêtait face aux ateliers pour ne constater qu'aucun des artisans ne s'appelaient Irasandre, puis arrivait au niveau de l'homme qui, collé au mur venait de lui barrer le chemin. Elle avait par ailleurs entendu des pas derrière elle, qui, dans cette rue étroite, résonnaient à un rythme soutenu.



 L'homme ne tardait pas à faire savoir ses intentions malhonnêtes et perfides, désignant sa ceinture de la main. Malgré qu'elle se savait encerclée, notre beauté étrangère à la cité, restait impassible et silencieuse, voire inintéressée par les menaces de l'homme lubrique. Elle allait le bousculer pour passer, mais ce dernier la retenait, et d'un geste vif, ôtait la capuche du même mouvement.



 Les yeux vides de la jeune femme découverts, se marquaient d'une colère intense, et sans qu'un instant ne s'écoule, elle envoyait son poing fermé en direction de son agresseur. Avant que la main ne l'atteigne, il avait plongé dans son ombre et s'était retrouvé dans l'angle mort de la combattante. Sans rien dire, les deux bandits s'étaient jetés à l'assaut d'elle, et synchronisaient leurs attaques pour la prendre au dépourvu. Aussi vive qu'eux, elle bondissait en s'aidant des murs et leur retombait dessus de toute sa force. Genoux au sol, enclavés dans les pavés, elle avait manqué ses cibles, qui avaient encore usé de leurs ombres pour se téléporter. Les détrousseurs reprenaient leurs poses de combat :



 "Tu seras vite fatiguée, ensuite, nous te dépouillerons et docilement tu deviendras notre jouet. S'exclama d'une voix vicieuse l'un d'eux.

- Je ne serais jamais le jouet de qui que ce soit. Tu ferais mieux de garder ta salive, car quand tes dents heurteront le sol, tu en auras besoin pour digérer la roche. Répondit-elle sèchement.

- Je ne pense pas que tu sois en position de faire de l'esprit, ma jolie. Lança le deuxième, dégainant deux lames de son ceinturon.

- Plus elles parlent, et plus vite elles s'épuisent. Répondit l'autre en riant. Laisse- la donc bavasser.

- Vous faîtes une belle paire de bouffons tous les deux, je pense connaître la sanction adéquate à vos vices."



 Sans plus attendre, elle fonçait droit sur l'un des deux hommes, avisée, elle savait qu'il allait profiter de sa charge pour disparaître et l'attaquer dans le dos. Quelques dalles avant d'arriver sur lui, elle se retournait brusquement, et le surprenait à la sortie de sa téléportation. L'attrapant au cou, elle serrait sa poigne autour de sa trachée et après lui avoir fait rencontrer le mur, le projetait sur son complice, surpris, qui n'avait pas eu le temps de s'enfouir dans son ombre et devait amortir le projectile humain.

 Les deux étaient tapis au sol, tandis qu'à l'origine du jet, notre guerrière, élancée, virevoltait face à eux, enchaînant roues et acrobaties. Tantôt rebondissant sur le mur, tantôt courant à toute vitesse, elle prenait appui au sol et sautait, tirant en arrière ses bras, faisant apparaître son épée de lumière. Elle retombait sur les malfrats dans un fracas terrible, mâchant les pavés sous l'impact, soulevant un épais nuage de poussière obstruant complètement la visibilité de la ruelle.

 Sans les distinguer, elle les savait encore là, elle martelait d'un coup de pied sec le pavage, arrachant en ligne droite le sol, emplissant davantage l'air d'une nuée lourde et asphyxiante. Elle ne les voyait pas, mais leur toux les trahissait. Ayant repéré dans l'épais brouillard l'un des lascars, elle tâtait le ceinturon de l'agresseur pour y dénicher deux autres dagues. S'en suivaient deux hurlements distincts attirant davantage l'attention de la foule à proximité que les bruits sourds du combat.



 La population locale, présente des deux issues de la ruelle, pouvait apercevoir sortir de l'épaisse poussière une silhouette drapée de son long chaperon noir, marchant au pas, comme si de rien n'était, disparaissant à nouveau parmi la marée humaine environnante. La fumée se dissipait et laissait apparaître deux hommes agonisant, empalés au mur, chacun une dague traversant leur entrejambe, encastrée dans le mur ; sans que quiconque ne se sente concerné, les badauds quittaient la scène, laissant les bandits lentement mourir, épinglés à leur vice.


 La jeune femme, toujours sereine continuait d'épier nombre d'autres boutiques et errait encore quelques minutes, jusqu'à ce qu'une vieille à la voix rauque, assise sur un tas de détritus ne lui adresse la parole.



 "Jeune fille, que peux-tu chercher ainsi pour que tes pas ne t'amènent jamais au bon endroit ? Surprise par l'interpellation, l'encapuchonnée se désigna du doigt. Oui, c'est à toi que je parle. Lui affirma-t-elle.

- Je cherche un ou une artisane. Répondit- elle en s'approchant lentement, méfiante. - N'aie crainte, je sais qu'ici tu penses que tout le monde est ton ennemi, mais je ne suis qu'une vieille éclopée qui ne voit pas plus loin que le bout de son nez. Qui cherches-tu donc pour ne pas le trouver ?

- Et bien. Elle se rapprocha de la vieille, parlant à voix plus basse, malgré le brouhaha ambiant couvrant déjà sa voix. Je cherche un ou une dénommée Irasandre."



 De la stupeur et de l'effroi se lisaient désormais sur le visage jusque là inexpressif de l'aïeule. Notre cadette comprit qu'elle allait apprendre de l'aînée.



 «Irasandre... Irasandre n'était pas n'importe qui, tu sais. Tailleuse de renom, elle a été cheftaine de guerre. Aussi douée avec une aiguille et du fil qu'avec une épée, ses faits d'armes la distinguèrent au point qu'elle devint gouvernante, puis reine et enfin s'auto- proclama Impératrice de Teysandrul. Toujours en quête de plus de pouvoir et de puissance, elle finit par lier son âme à la magie noire. La vieille se tut et s'essuya la commissure des lèvres, pour finalement reprendre.

 Elle usa de rituels terribles au point de se faire engrosser pour sacrifier ses enfants nouveau-nés, la folie la gagnait peu à peu. D'aucun dise que lorsqu'elle se trouva trop vieille, elle se déplaça dans le corps d'une enfant, l'une de ses plus folles expériences. Cependant, la puissance effraie tous ceux qui sont faibles, et cela ne manqua pas pour elle. Elle finit par disparaître, certains crurent que son expérience rata et qu'elle en mourut, tandis que d'autres se vantèrent d'avoir réussi à la tuer.

- À quand cela remonte-t-il d'après vous ? La jeune femme la coupa.

- Irasandre a commencé son règne sur Teysandrul il y a 150 ans, cependant cette dernière avait déjà facilement 70 ans à ce moment-là.

- Elle était vieille ? La femme se reprit. Avait- elle l'air vieille ?

- Non, elle arpentait inlassablement les champs de bataille et avait l'air jeune, tous les hommes la convoitaient pour sa beauté éternelle. Ce n'est qu'après 30 ans de règne qu'elle commença à marquer son âge et que sa folie naquit.

- Vous avez l'air de bien la connaître. - J'étais juste déjà âgée quand cette jeunette faisait trembler femmes et hommes sur le Mithreïlid. Elle se racla la gorge. Ce qui m'intrigue, c'est ton intérêt pour elle.

- Ce n'est pas simple à expliquer. Disons qu'elle est une pièce d'un engrenage que je cherche à comprendre.

- Jamais tu n'aurais pu la croiser, je le sens. Ta peau a l'odeur d'une fleur qui vient tout juste d’éclore, et ta voix n'est pas marquée de rides. La combattante eut un instant d'absence, s'imaginant que la vieille devait être un peu sénile. Elle se focalisa et s'approcha de l'aînée, mettant le bas de l'habit à portée de ses bras courts.

- Ouvrez votre main et dites-moi si ce que vous sentez pourrait me renseigner. Elle avait compris que la vieille était un puits de connaissance. Cette dernière palpa le vêtement, ses doigts s'accrochèrent au nom brodé qui la fit frissonner, elle continua son examen et s'interrompit, comme choquée.

- Ton vêtement est il aussi sombre qu'une nuit sans lune ? Les détails cousus sont ils dorés ? L'habit possède-t-il une capuche ?

- Oui, oui et oui. S'empressa-t-elle de rétorquer.

- Mon enfant, sache que le vêtement que tu revêts n'est autre que la dernière création connue de l'Impératrice. Sûrement son ultime tenue par ailleurs.

- Et ?

- Cette tenue, aurait dû disparaître avec Elle. Dit- elle, la voix grave. - Je ne comprends toujours pas.

- Écoute, cette tunique complète était le vêtement d'apparat et de guerre d'Irasandre, le dernier que l'on l'ait vu porter avant qu'elle ne disparaisse. C'était sa relique, empreinte de tout son talent, de toute sa folie, son ultime réussite. Pourtant si prestigieux, elle portait cette tenue en toute occasion. En parallèle à cela, sache que les guerriers et mages s'étant vantés de l'avoir terrassée, étaient un groupe de puissants pyromanes, armes enchantées, magie élémentaire du feu... Auparavant sous sa coupe en tant que combattants d'élite, devenus renégats à son égard. S'ils l'ont tuée...

- Alors le vêtement aurait dû brûler.

- Tout à fait. C'est une nouvelle très grave que tu transportes sur ton dos. Cela veut dire qu'elle n'est pas morte de leurs mains. Et... Elle hésita. Et Irasandre était l'égale d'une Déesse. Elle ne faisait pas que commander les batailles, elle était toujours en première ligne. Si elle était fascinée et passionnée par sa propre puissance, elle était encore plus accro et assoiffée de mort et de sang.

 Quel général ou empereur irait prendre le risque de mélanger son sang à celui de la basse infanterie ? Aucun ne courrait tel danger. Mais Elle. Elle arborait un sourire odieux lorsqu'elle parvenait à prendre seule la tête du général ennemi. Pire que tout, elle finissait par jouer avec le membre décapité, comme elle jouissait de pouvoir se rouler dans les flaques de sang inondant les carnages dont elle était la source. Elle allait jusqu'à massacrer les soldats qui s'étaient rendus après la mort de leur commandant.

- J'ai connu quelqu'un, un peu comme ça... Mais qu'importe. Comment la reconnaître ?

- Il n'est pas moins difficile de la reconnaître que de savoir distinguer un caillou d'une branche. La jeune femme, une fois de plus sembla dépassée par les comparaisons de la vieille. Elle voulut rebondir avec humour, puis se rappela de la personne évoquée.

- Et donc, pour la reconnaître ?

- Ses yeux étaient blancs comme la glace, dépourvue d'iris, elle était aussi puissante que mince et chétive.

- Il y en a plein des femmes comme ça. Lâcha-t-elle d'un ton orgueilleux.

- Non. Pas qui arborent comme elle, une paire d'ailes rouges et noires, immenses, grésillantes comme si une nuée géante d'insectes te passait dans les oreilles. En connaissance de cause, Evialg emboîta et ironisa.

- Pas pratique les ailes pour passer les portes..

- Tu plaisantes, mais tu imagines bien qu'elle pouvait s'en défaire. Ce n'était que de la magie, elle les faisait apparaître à sa guise.

- J'imagine que la vainc...

- Oublie cela mon enfant. Ôte- toi cette idée de la tête. Si elle est encore en vie, ce dont je doute fort, cette femme a une force incommensurable. Si elle est un brasier, tu n'es qu'une étincelle à côté d'elle. La jeune femme était irritée, les commentaires désagréables commençaient à lui faire perdre patience.

- Bon ce n'est pas tout ça mais... Je vais partir.

- Soit, va. Mais avant de partir.. La cadette avait déjà tourné les chevilles et s'apprêtait à s'en aller.

- Quoi ?

- Tu n'aurais pas une petite pièce pour moi ?"

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