Chapitre 43E: janvier 1795

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Nous ne passâmes même pas le nouvel an ensemble, car le couple chez qui Gustavine travaillait avait besoin de ses quatre domestiques pour préparer les mets, décorer l'appartement, distraire les enfants et faire le service des invités ce soir - là. Comme je venais de passer une des pires journées avec Bernadette, lorsqu'elle rentrait, vers deux heures du matin, je l'attendais de pied ferme.

— Alors écoutez. Je veux bien vous rendre service, mais il y a des limites.

Elle s'asseya dans le canapé, épuisée.

— Qu'y a t-il ? C'est encore Bernadette ?

— Oui.

— Écoutez Louise, je n'y peux rien. Punissez-la autant que vous voulez, je ne vous empêche rien.

— Elle mord sa sœur Gustavine ! C'est grave !

— Bon, Louise, je dois vous dire quelque chose d'important.

— Allez – y. Ça ne peut pas être pire que la journée que je viens de passer de toute manière.

— Voilà... Monsieur et madame Corindon m'ont proposé un contrat de deux ans à compter de lundi prochain, mais il implique que je reste là-bas nuit et jour. Je ne serais pas autorisée à rentrer d'autres jours que le samedi et le dimanche. Ils m'ont aussi dit...

— Cela ne change rien de toute façon. Vous ne vous en occupez déjà pas durant la semaine.

— Voilà. J'espérais juste que cela ne vous froisse pas trop. Comprenez que j'ai besoin de ce travail, financièrement et moralement, parce que je me sens utile. Quand j'aurais assez d'argent, je vous le promets, j'engagerais une nourrice pour prendre soin d'elles.

— Cela va encore être a moi de me coltiner votre petit monstre... Je ne suis pas votre domestique, chacun son rôle Gustavine. Vous avez désiré deux enfants, alors ne les faites pas élever par quelqu'un d'autre. J'ai élevé les miens, je me suis bien arraché les cheveux parfois, mais c'est chacun son tour.

— Arrêtez Louise, vous me faites pitié. Il est sûr qu'il est plus simple de parler d'éducation de ses enfants lorsqu'on les a tous enterrés au berceau !

Elle me fixait dans les yeux en soupirant avant de quitter la table. Elle avait prononcé des paroles violentes et blessantes, sans doute sans s'en rendre compte. Je restais un temps la tête dans mes bras, et les quelques larmes qui tombaient sur la table n'étaient que les conséquences de ce remuement aussi inutile que douloureux du passé. J'avais perdu trois de mes cinq enfants en bas–âge, mais ce n'était pas pour cela que je ne les avait pas élevé. Léon – Paul avait reçu une bonne éducation grâce à son père, Simon durant quelques mois tout l'amour que je pouvais lui donner, Émile savait quasiment lire et écrire son prénom à son départ, André recevait en ce moment une éducation chrétienne, Louise avait été profondément aimée et nous lui avions offert la grâce du Seigneur par son baptême avant qu'elle ne s'éteigne. J'avais simplement fait ce que j'avais pu entre ceux qui partaient et ceux qui restaient.

Le lendemain dimanche, Gustavine ne travaillait pas, mais dès le lundi suivant, je n'avais pas d'autre choix que de m'occuper des enfants, bien que je sois fatiguée et que tout ça ne soit plus de mon âge. Elle me piégeait parcequ’elle ne m'avait jamais demandé mon avis et qu'en me les laissant, je n'avais pas d'autres choix que de m'en occuper. Certains jours, Bernadette était moins infecte que d'autres, mais souvent dans ces cas – là, c'était sa sœur aînée qui prenait le relais avec ses caprices et ses colères.

C'est ainsi que le mois de janvier passa, avec plus de bas que de hauts. Il faisait froid, les routes étaient verglacées, je me demandais bien comme j'irais chercher André au mois de février. Je gardais seule les deux petites toute la semaine, et cela m'énervait de plus en plus. Certains jours, je me trouvais tout de même heureuse, car Bernadette allait maintenant au pot de chambre toute seule, et Jacqueline écrivait son prénom.

Tous les soirs avant d'aller dormir, les deux enfants s'agenouillaient devant un des lit les mains jointes, récitant leur prière en s'adressant à Sainte-Marie. Je leur faisais aussi une lecture de la Bible, et c'est après l'une d'elles que Jacqueline me demandait presque en chuchotant.

— Pourquoi Sainte-Marie elle donne pas des sous à maman pour qu'elle arrête de travailler et qu'elle s'occupe de nous?

— Oh... Vous savez Jacqueline, si la vie était aussi simple ça se saurait. Je regardais la petite sœur qui remuait dans son lit en chantonnant. Chut Bernadette, je parle avec votre sœur.

— C'est quand qu'elle pourra s'occuper de nous alors ?

— Je pense quand vous aurez un nouveau papa.

— Un nouveau papa ? C'est quoi un nouveau papa ?

— Et bien c'est... Un cheminement éclair se fit dans ma tête qui me conduisit jusqu'à la question de la conception. Je préférais m'en arrêter là.

— Bonne nuit Jacqueline. Bonne nuit Bernadette. Je vous vois ! Remettez-vous vite sous vos draps.

Le lendemain, pour changer les idées de tout le monde, je décidais de les emmener au jardin des plantes qui avait rouvert ses portes il y a deux ans. Bernardin de Saint – Pierre avait fait transférer les animaux jadis exposés à la ménagerie de Versailles dans ces immenses bâtiments. J'y avais été une fois enfant, avec ma sœur et ma tante. Ce n'était pas loin, un kilomètre à pied, mais avec deux enfants en bas âge, c'était une autre histoire. Heureusement que nous pûmes nous arrêter à mi – chemin pour acheter une orange à chacune, qu'elles mangèrent avec gourmandise en se léchant les doigts du jus sucré qui dégoulinait sur les robes. Nous étions au mois de janvier, il faisait froid, et de ce fait, il n'y avait pas grande foule. Les enfants purent admirer les phoques, les féroces ours blancs, les paisibles dromadaires ou encore les perroquets multicolores qui s’ébattaient dans leur grande volière. Bernadette restait sage, posant plein de questions auxquelles j'étais pour la plupart incapable de répondre, comme par exemple ''pourquoi les ''drabataires'' ont une bosse ? ''ou'' pourquoi les ''choco dinde'' ont deux dents ? (en montrant trois doigts)''. J'en étais morte de rire.

Le soir, je laissais Jacqueline '' surveiller '' sa sœur pendant que je descendais chercher de l'eau au puits, situé au bas de l'immeuble. Ensuite, je lavais chacune des deux petites filles au gant de toilette - Gustavine leur lavait les cheveux le dimanche - et je leur enfilais leurs robes de nuit. Elles mangeaient avant moi, un bol de soupe et une part de gâteau si j'avais eu le temps d'en cuisiner un, avant de prier, d'écouter la lecture et d'aller dormir. C'étaient tous les soirs comme ça ou presque.

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