Chapitre 43F: erreur

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J'appris dans la gazette un dimanche qu'une nouvelle monnaie serait mise en circulation à partir du sept avril 1795, pour peu à peu faire disparaître les livres tournois, que les gens auraient six ans pour échanger contre l'équivalent en francs, avant qu'ils ne valent plus rien. J'avais juste peur que le coût de la vie n'augmente encore.
Je ne me servais pas du calendrier républicain, car je n'y comprenais rien. J'avais bien essayé de m'y intéresser, de convertir les dates, mais j'avais fini par abandonner. En tout état de cause, je n'avais jamais été très persévérante.
Tous les samedis soir, en rentrant, ma belle-fille passait dans la chambre pour embrasser ses filles qui normalement, dormaient à poings fermés. Ce soir - là, elle était restée un peu plus longtemps que d'habitude auprès des petites. Quand elle en sortit, elle vint s'asseoir près de moi et elle attrapa sa broderie posée sur la table. Sans me regarder, elle s'adressa à moi.
— Pourquoi avez-vous été dire à Jacqueline qu'elle aurait un ''nouveau papa ''?
— Je ne lui ai jamais dit ça...
— Elle n'aurait sûrement pas été l'inventer. Alors Louise, pourquoi ?
— Rhoo... Je ne lui ai pas dit qu'elle aurait un nouveau papa, mais que si elle avait un nouveau père, vous pourriez arrêter de travailler. C'était juste parce-qu’elle me demandait quand est – ce que vous pourriez – vous occuper d'elle. Je me disais que vous ne cesseriez de travailler que lorsque vous retrouveriez un mari. Ce n'est pas bien grave.
— Non, mais en attendant vous laissez croire à la petite un changement dans sa vie qui n'aura pas lieu. Je n'ai pas envie de me remarier, et j'ai besoin de travailler. D'ailleurs, dans un an ou deux ans, quand j'aurais assez de sous, j'irais faire ma formation de sage-femme et je partirais à la campagne pour aller accoucher les mères.
— Vraiment ? Vous y avez réfléchi ?
— Bien sûr. J'ai besoin de changer d'air et j'ai toujours voulu faire ça. Les enfants ne sont plus des bébés maintenant et je pense que je n'aurais pas d'autres occasions.
Nous sollicitâmes un voisin et nous allâmes chercher André le dimanche vingt-deux février, trois jours avant son quatorzième anniversaire. Je me souviens de l'effroi qui se dessina sur mon visage lorsque je le vit arriver en fauteuil roulant. Mon pauvre enfant avait énormément grandi, et c'est bien ce qui avait provoqué sa perte. Les frères m'expliquèrent rapidement qu'à cause d'une poussée de croissance, mon fils qui traînait déjà ses jambes à cause de la maladie qu'il avait contracté à six ans était, en l'espace de deux années devenu incapable de marcher sans aide. Ses jambes abîmées n'avaient pas suivi. On me reprenait le fauteuil, et c'est donc à mon bras que le jeune garçon rejoignait la voiture qui nous attendait en face de l'école. Pendant le trajet, Gustavine essuyait les larmes qui perlaient sur mon visage. Je n'aurais jamais pu penser que la maladie remonterait ainsi à la surface. Je m'inquiétais beaucoup pour André car à quatorze ans, il devrait faire ses choix d'études, et j'avais peur que ses graves problèmes ne l'en empêche.
Jacqueline et Bernadette ne sortirent pas un mot jusqu'au souper, interloquées par leur demi-oncle qui peinaient tellement à marcher. Pendant le repas, les problèmes d'André ne l'empêchaient pas de nous raconter ses années passées à l'école. Ses cheveux avaient poussé, un fin duvet recouvrait sa lèvre supérieure, il n'était plus mon petit garçon. Lorsque je proposais de lui masser les jambes, le lendemain, il pencha sa tête sur le côté.
— Maman... Je n'ai pas trop envie que vous me massiez comme lorsque j'étais petit.
— Je serais pourtant obligée de vous aider pour le bain. Je n'aurais pas le choix André.
Même s'il tenta, le bain tout seul fus un échec. Un fracas dans la chambre et j’accourais. André étendu nu par terre, soupirait en se frottant le dos de douleur. Je lui enfilais sa robe de bain, et l'aidais à se lever pour entrer dans le baquet. Lorsque prêt à pleurer, il se frottait ses yeux, je l'embrassais longuement.
— Ça va aller mon fils.
— Je n'aime pas qu'on me voie nu. J'ai trop honte maman.
— Savonnez-vous donc seul et je reviendrais lorsque vous aurez terminé. D'accord ?
Je quittais donc la pièce en refermant la porte.
Au bout d'un quart d'heure, il m'appela. J'accourais presque pour aller l'aider. Une fois habillé, je lui promettais de lui acheter une paire de béquilles. Il me fit part de ses inquiétudes.

— Comment irais-je à la messe sans fauteuil maman ?
— Je vous ai dit que je vous achèterais des béquilles. Vous croyez que cela ne suffira pas ?
— Un kilomètre en béquilles, ça ne sera pas possible.
— Je n'ai pas les moyens de vous acheter un fauteuil André. Au pire...
— Je veux aller à la messe tous les dimanches maman. C'est important pour moi.
— Je comprend mais Dieu pardonne aux malades. Ne vous inquiétez pas.
Nous continuâmes donc notre vie avec André. Il aimait beaucoup jouer avec ses demies – nièces, surtout avec Jacqueline qui avait beaucoup pleuré quand je l'avais giflée pour avoir coupé les cheveux de sa poupée et qu'il s'était empressé de prendre sur ses genoux et rassurer. Il était trop heureux lorsque j'apportais le gâteau à table, le jour de ses quatorze ans. Cela faisait quatre ans qu'on ne lui avait pas fêté son anniversaire.
Je lui expliquais chaque changement majeur qui s'était déroulé pendant son absence, comme le mariage et le départ de Malou, qui attendait depuis un bébé, le nouveau travail de Gustavine, expulsée de son appartement à la fin de l'année dernière et son divorce avec le père de ses enfants, juste après la naissance de Bernadette.
La vie continuait. André avait rapidement ses béquilles, mais ce n'était pas la solution, car marcher l'épuisait de toute façon. Il ne sortait plus de chez nous, mais chaque jour, il prenait l'air frais lorsque j'ouvrais la fenêtre une demie – heure. Il m'avait fait part de son souhait de devenir curé ou vicaire, et j'en étais ravie, car c'était tout ce que j'espérais pour lui. Mais il fallait savoir si son handicap n'allait pas l'en empêcher.
Un soir, alors que je venais lui souhaiter une bonne nuit, André me questionnait.
— Comment s'appelaient vos parents ?
— Victoire et Louis-Augustin. Ne vous l’avais-je jamais dit ?
— Non. J’aimerais aussi connaître les dates de naissance de mon oncle Louis et ma tante Camille.
— Camille était de novembre 1746 et Louis de septembre 1743. Pourquoi ? Faites-vous un arbre généalogique ?
— J'aimerais bien. Mais je manque cruellement d'information maman.
— Oh mon chéri, je vous en donnerais moi, des informations. En attendant, reposez-vous.
Je parlais à ma belle – fille de la possibilité d'emmener André au pèlerinage de Lourdes pour qu'il puisse tremper ses jambes et peut-être remarcher. Mais lorsqu'elle calculait pour moi la distance et le temps d'un tel trajet depuis Paris, je me disais que ce n'était vraiment pas possible de l'y emmener. Et puis si cela n'avait été que ça, mais Gustavine travaillait, louer une voiture sur une telle période représentait l'équivalent de plusieurs mois de salaires, et je ne m'imaginais pas l'y emmener toute seule.
Attablé dans le salon, André dessinait son arbre généalogique avec application. De temps en temps, les petites curieuses venaient se mettre sur la pointe des pieds pour voir ce qu'il faisait. Elles voulurent bientôt faire de même.
— Dessin Louise. Me réclama Bernadette en pointant du doigt son demi-oncle.
— Vous aussi vous voulez faire un dessin ? Je vous apporte ce qu'il faut. Jacqueline aussi ?
— Oui ! Sautillait-elle
Je les installais chacune sur une chaise, devant une feuille vierge. Si je donnais une plume à Jacqueline, Bernadette héritait d'un crayon de mine, dont elle aurait plus de facilité à se servir. Cette dernière gribouillait quelques secondes avant de réclamer la plume de sa sœur, qui refusait évidemment de la lui donner. Je finissais par descendre Bernadette de la chaise pour aller la mettre dans sa chambre, pendant que Jacqueline nous montrait ses talents d'écrivaine. Tout à gauche de la feuille, serré malgré la place, elle avait marqué son prénom en oubliant le ''c'' avant le ''q''. C'était cependant déjà très bien pour quatre ans et demi. Lorsque Jacqueline commença à manifester une certaine lassitude envers  ce passe-temps, j'allais chercher Bernadette qui s'était endormie au pied du lit et je leur donnais leur en-cas. Elles dévorèrent chacune leur biscuit, avalèrent avec soif leur verre de lait et retournèrent jouer.
Je venais de me rappeler que Léon-Paul nous rendrait visite cet été, mais je préférais laisser à André la surprise de retrouver son frère.
Le sept avril, la nouvelle monnaie entra en vigueur dans notre République. Le franc remplacerait bientôt les livres, mais pour l'instant, je ne comptais pas encore aller échanger mes sous.

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