Chapitre 41A: juin - juillet 1792

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Malou m'apprit au début du mois de juin que son frère venait de rencontrer une jeune femme prénommée Alice avec laquelle il projetait déjà de se fiancer. En effet, a l'époque, lorsqu'une histoire d'amour voulait durer, il fallait obligatoirement passer par l'église ou depuis cette année, la mairie. C'était pour cela que souvent, de vrais amoureux étaient déjà fiancés l'année même de leur rencontre.

La grossesse de Gustavine avançait bien, sans encombres majeurs et c'est ainsi que le vingt – six juin, nous célébrâmes ensemble, autour d'un beau gâteau, le deuxième anniversaire de Jacqueline. L'enfant portait ses cheveux châtains sous un bonnet de dentelle que sa mère continuait de lui laisser, une longue robe crème et de petits souliers de cuir bleus. Muette, elle s'exprimait en pleurant et en criant plutôt qu'avec les mots que devrait utiliser une enfant de son âge. Cela avait tendance à m'énerver, mais je me souvenais qu'André était aussi comme cela étant petit.

Même si je relativisais sur ses pleurs, j'hésitais à la garder pendant le repos de sa mère, qui m'avait demandé ce service, à un mois et demi de son terme. A quarante – deux ans, je n'avais plus la patience de mes vingt ans et les bébés pleurnicheurs me donnaient vite l'envie de les gifler. Cependant, voyant ma nièce fondre devant la petite, je me disais que si elle voulait s'en occuper, soit, mais elle devrait se débrouiller.

Quand Gustavine venait nous voir, Malou profitait de l'enfant sans les inconvénients. Elle n'avait jamais dû changer ses langes, la nourrir, ou essuyer ses vomis.

La jeune femme de vingt – et un an n'avait jamais fait cela de sa vie, et quand elle me demandait de l'aide, je la laissais s'imaginer, se projeter en jeune maman, comme moi, comme sa propre mère, qui avait découvert elle aussi cela sans jamais avoir eu d'explications, et pas avec un enfant de deux ans qui faisait un minimum de choses, mais avec son nouveau – né, fragile, braillard et complètement dépendant de ses soins.

Les premiers jours, Malou galérait. Jacqueline mettait beaucoup de temps à manger, elle n'était pas encore tout à fait propre et les accidents étaient fréquents, elle ne parlait pas, bref, ce n'était pas une enfant facile. A force de s'en occuper, ma nièce gagnait sa confiance, et je sentais qu'au fil des jours, la petite se détendait.

Le quatorze juillet, un feu d'artifice éclatait dans le beau ciel bleu de Paris, car le peuple en joie fêtait le premier anniversaire de la prise de la Bastille, réuni sur le Champ de Mars. Nous nous y rendîmes avec Jacqueline, par curiosité. La petite fille, apeurée lors de l'explosion du feu d'artifice, se réfugiait dans les bras de Malou, qui la réconfortait en l'embrassant.

Nous la garderions jusqu'à la naissance de sa sœur ou de son frère car sa mère souhaitait se rendre à Rouen chez ses beaux – parents pour accoucher, faire baptiser le nouveau – né dans la foulée et rentrer ensuite sur Paris. Elle comptait partir d'ici deux semaines, vers la fin du mois de juillet, pensant accoucher à la mi - août.

Le dimanche dix – sept août, nous apprîmes par la presse que les hommes de plus de vingt – et un an venaient d'obtenir le droit de vote, une semaine après la décision du conseil.

Nous étions encore loin d'en avoir terminé avec Jacqueline. Même si ce n'était pas tous les jours facile, elle mettait un peu de soleil dans notre vie, un peu de gaîté, par ses sourires, les dessins qu'elle aimait parfois nous offrir, et Malou qu'elle prenait maintenant plaisir à câliner et à tirer les cheveux. J'avais pourtant prévenu ma nièce de se les couper !

Malou, sans doute fatiguée, me fis un jour ce constat.

—''Regardez Louise, tout le monde se marie autour de moi. Mon frère, mon beau – frère...

—''Et alors ?

—''Je crois que je vais devoir entrer dans les ordres.

—''Ne dites pas cela. Vous n'avez que vingt et un an Malou... L'amour viendra quand il devra arriver. Ne vous inquiétez pas pour ça, hein ?

Nous passâmes donc un mois et demi avec Jacqueline. Nous allâmes notamment nous promener aux jardins de Versailles, et nous l'initiâmes aux prières pour la Vierge, que nous chantâmes pour que tout ailles bien pour sa maman.

Le dimanche vingt – six août, alors que l'on passait à table, une surprise frappa à la porte. Jacqueline, que j'avais prévenu du retour proche de sa mère, descendait de sa chaise pour se précipiter à la porte. Sur la pointe des pieds, elle tentait d'atteindre la poignée, mais je devais aller l'aider. Gustavine, qui avait perdu ses rondeurs, se tenait sur le seuil, dans sa jolie robe mauve, son nouveau – né dans les bras.

La petite, toute heureuse de voir sa mère, se laissait embrasser et câliner à profusion. Gustavine rentrait et s'agenouillait près de sa fille pour lui présenter sa petite sœur, Bernadette, née le seize août dernier. Jacqueline baisait le front du nouveau – né et caressait sa tête chauve, avant d'aller se rasseoir à table. L'air envieuse, devant son assiette de soupe fumante, elle nous regardait s'extasier sur sa petite sœur, âgée de dix jours.

Ma belle – fille nous raconta la longue et épuisante naissance de Bernadette, qui avait duré environ trois jours. Le nouveau – né, ondoyé de suite et baptisé dès le lendemain en l'église Saint – Maclou de Rouen, était heureusement bien portant. Malheureusement, Gustavine se demandait si elle ne devrait pas y retourner prochainement, ayant oublié d'aller déclarer la naissance à la mairie, comme c'était obligatoire depuis cette année. Je lui conseillais donc d'écrire à ses beaux – parents pour qu'ils le fasses à sa place, en espérant qu'il ne failles pas présenter l'enfant.

Environ quatre jours plus tard, Gustavine arrivait inquiète chez nous, tirant Jacqueline par la main et tenant Bernadette contre elle, elle s'exclamait.

—‘’ Étienne n'est pas rentré depuis dimanche. Je n'ai plus de sous. Pouvez – vous m'aider ?

—''Bien sûr. Mais nous avons quelque chose à vous montrer. Malou ?

—''C'est que je l'ai déchiré et jeté...

—''Bon, Gustavine... Asseyez – vous.

Étonnée, elle s'installa près de moi, en ajustant au passage la position de Bernadette, mal installée. Je lui expliquais la situation, la lettre que nous avions reçu et que Malou avait déchirée...

Les yeux dans le vague, elle avait maintenant l'air de réfléchir. Alors que j'en venais à penser qu'elle s'y attendait et qu'elle le prendrait bien, une larme coula sur sa joue. Elle l'essuyait de sa manche, et elle me regardait.

—''Ce n'est pas possible... Ce n'est pas possible Louise... Pourquoi ? Pourquoi moi ?

—''Je suis désolée Gustavine. J'ignore d'ailleurs pourquoi nous l'avons reçu ici. Voulez – vous...

Elle se levait d'un bond en cherchant sa fille.

—''Où est Jacqueline ?!

Malou, qui avait conduit la petite fille dans la chambre, la ramena vite à sa mère, presque paniquée. Gustavine attrapa Jacqueline, son chapeau, et quitta l'appartement en claquant la porte, son nouveau-né bien sage dans les bras. Je regardais Malou qui se tenait sur le seuil de la chambre l'air étonné.

Nous passâmes la fin de la journée à nous questionner, car Gustavine était partie de chez nous sans que je lui ai prêté les sous et sans avoir donné d'explications.

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