Chapitre 36C: décembre 1787 - février 1788

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Le fiancé de Gustavine travaillait comme notaire dans un cabinet qui comptait aussi des avocats. Il venait de reprendre l'affaire de son père, qui avait récemment cessé de travailler, fatigué par les années. Jean-Charles de son nom, adorait ses petits-enfants, quatre orphelins, Marie, Étienne, Pierre et Jacques. C'était le grand - père dont beaucoup d'enfants auraient rêvé, affectueux et qui, le soir, au coin du feu, leur racontait des contes ou sa jeunesse.

Les massages apportés à André par la domestique portaient ses fruits. Il retrouvait doucement la sensation de ses jambes, même si nous savions que rien n'était encore gagné. Remarcherait-il un jour? Dans quel état serait-il après des mois d'alitement?

Le trente décembre dans la nuit, la minette donna le jour à trois minuscules chatons. Je me souviens d'André, que j'avais emmené au matin voir la portée cachée dans un placard, tout en le tenant par les mains. Il traînait avec difficulté ses jambes, je me revoyais, six ans auparavant, lui faire faire ses premiers pas, c'était déjà il y a longtemps et pourtant, j'avais l'impression de revenir des années en arrière. C'était épuisant pour lui et de ce fait, je le recouchais vite, après qu'il ait embrassé un par un les petits chats, et qu'il m'ait fixé longuement de son regard, avec ce grand sourire édenté qui signifiait beaucoup de choses.

Un jour de janvier où sa dent le faisait crier au point qu'il en pleurait, Marie - Camille demanda à ce que l'on fasse venir le barbier. Je tentais de rassurer mon fils, alors que l'homme aux gros doigts inspectait sa bouche pour trouver la dent a arracher, malheureusement située au fond. L'enfant, à la vue de l'énorme tenaille et surtout prit d'une terrible peur de souffrir, referma sa bouche crispée sur les doigts du barbier. Peu sensible à la douleur des dents d'un enfant de sept ans, il ne fit que lui ordonner sèchement.

—'' Ouvrez la bouche.

—'' Non.

—'' André, faites un effort. S'il vous plaît. Aller.

Je le forçais a ouvrir la bouche, c'était compliqué. Il se débattait encore et encore. L'homme n'était pas sensible aux larmes d'un enfant, il s'impatientait même. On donna a mon fils une infusion de clou de girofle, pour atténuer l'horrible douleur lorsqu'elle serait là, mais il paniqua encore plus. Sans plus attendre, dès qu'il eu saisit la dent pourrie entre ses pinces, le barbier tira d'un seul coup, provoquant les hurlements d'André. Je lui caressais les cheveux et je l'embrassais pour calmer ses sanglots.

—'' Chuuuuut... C'est terminé...

Je lui montrais la petite chose noire, trouée et ensanglantée au bout des pinces mais cela ne le rassura pas du tout. On paya le barbier qui quitta l'appartement sans même un regard pour son petit patient sanglotant. La domestique, avec un petit linge, essuya le sang qui s'écoulait de la bouche de mon fils, et qui venait en filet tâcher l'oreiller. Il refusa d'avaler quoi que ce soit pendant deux jours, avant de timidement accepter de boire une tisane, le ventre gargouillant et endolori par aussi peu d'aliments.

Berthe m'envoya cette petite lettre, peu de temps après.

Louise,

Je vous souhaite une heureuse année 1788 et plein de bonnes choses pour vous et vos enfants. Je vous écrit d'avantage pour vous annoncer le mariage de mon frère Charles avec son '' amie '' Charlotte, il avait promis d'attendre dix ans avant de se remarier après la mort d'Emma, mais le père de Charlotte a menacé de marier sa fille a quelqu'un d'autre, car a vingt - huit ans, elle deviendra vite trop âgée et pour lui, c'est de l'inconscience d'attendre autant. Les noces se feront le 20 septembre de cette année, à l'église Sainte – Geneviève, je vous attend avec impatience avec vos enfants, et votre mari, sur le parvis, vers dix heures, pour la cérémonie.

Sur ce, bonne continuation.

Charles n'aura pas tenu sa promesse, a une ou deux années près, mais les aléas de la vie étaient fait ainsi. J'étais très heureuse qu'il épouse la femme de son cœur. Je n'avais pas prévenue Berthe du décès de mon mari, ne l'ayant pas jugé utile, c'est pourquoi elle l'invitait lui aussi. Je me demandais bien si elle avait eu d'autres enfants depuis les jumeaux, qui, si ils étaient encore vivants, approcheraient maintenant des trois ans.

Comme le mariage de ma belle - fille devenait imminent, on lui faisait faire les derniers essayages, au cas où elle aurait changé de taille depuis l'année d'avant, elle décida de la coiffure qu'elle souhaiterait porter, et les poudres et parfums pour le grand jour. Marie - Camille s'occupait aussi des vêtements de son fils, qu'il devait essayer sans être vu de sa fiancée. Leur mariage n'était plus que dans deux mois et tout semblait presque prêt. Pour les deux jeunes gens, forts amoureux, ce mariage était la consécration d'un amour dont ils pourraient librement profiter après les noces.

Le sept février, Gustavine souffla ses vingts bougies devant les yeux amoureux de son fiancé, qui l'embrassa tendrement sur la joue devant le beau gâteau confectionné par la cuisinière. C'était un homme à la carrure sportive, aux cheveux coupés courts, noirs, aux yeux bruns, et à la barbe de trois jours impeccablement entretenue. J'écrivais à Malou pour qu'elle puisse assister à la cérémonie, étant assez proche de Gustavine, elle me réponait qu'elle était trop occupée en ce moment. Tant pis.

André effectua ses premiers pas sans mon aide en février. Je comptais, deux petits avant que je ne le retienne de tomber lourdement sur le parquet de l'appartement. Un immense progrès pour lui qui ne ressentait il y a encore quelques mois plus rien dans ses jambes. Le jour de ses sept ans, je lui offris un splendide pendentif qu'il arborait fièrement, heureux de redevenir doucement un petit garçon comme les autres. Marie-Camille lui avait fait coudre pour le mariage un ensemble noir, et il porterait de petites chaussures cirées, il y assisterait, je le voulais.

Un article dans le journal nous divisa. Il annonçait au dix-neuf février la création par Pierre Brissot de la Société des Amis des Noirs pour lutter contre l'esclavage. Si Marie-Camille et Jean-Charles y étaient définitivement opposés, je n'étais pas contre, du moment que l'on les traitaient bien. Dans leur pays, c'était des bêtes malheureuses, ici, leurs propriétaires leur offraient des meilleures conditions de vie, je ne voyais pas pourquoi on voulait l'abolir. Selon eux, on privait des êtres humains de liberté, mais pour moi, les nègres ne pouvaient pas être considérés comme des êtres humains, puisqu'ils avaient la peau noire, ils communiquaient parfois avec des vocalises et leurs cheveux étaient semblables a de la paille.

Selon moi, cette Société n'était qu'un prétexte pour trouver des comparses qui partageaient les mêmes idéologies que lui, et pouvoir plus facilement se rebeller contre la monarchie. Beaucoup partageaient ses idées, mais assurément pas le Roy.

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