Chapitre 22E: décembre 1773 - janvier 1774

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Ma sœur fut enterrée le jeudi trente décembre 1773, dans un joli cercueil de hêtre, aux côtés de papa et maman. Lorsque ce fus mon tour, je prononçais mon discours, les larmes dans la voix. Parfois je devais m'arrêter tant j'avais mal, mais la douleur me forçait aussi à continuer.

—''Je pensais que ça n'arrivait qu'aux autres et pourtant voilà... pourquoi a-t-il fallut que vous partiez? pourquoi vous ? la personne avec qui j'ai tout vécu, avec qui je pouvais tout partager... Il y a presque vingt ans, j'ai fait votre connaissance, vous êtes la meilleure amie que je n'ai jamais eue... je me souviens de ces jours où nous riions de tout et de rien ensemble, ce jour si particulier où nous avons découvert la mer... Nous avions encore tant de choses a partager... ce matin du vingt - huit décembre, j'ai réalisé que c'était bien vous qui étiez partie cette nuit... J'ai l'air tellement pathétique à vous parler... Ma sœur chérie... Je voudrais être forte, mais à quoi bon ? je ne suis qu'une femme qui enterre sa sœur... c'est terrible de vous voir arrachée à nos vies... je vous aime très fort et jamais, jamais, je ne vous oublierais.

Il y eut une dizaine de discours tous plus émouvants les uns que les autres, je craquais une nouvelle fois, ne parvenant pas a calmer mes sanglots, trempant l'épaule de France, venue avec ses enfants et son mari.

A la fin de la cérémonie, le prêtre accrochait une croix au cercueil, il le bénissait et nous nous rendîmes tous au cimetière pour l'enterrement. Les femmes étaient vêtues de noir le visage dissimulé en partie sous une voilette de la même teinte, les hommes habillés de costumes glauques, les enfants étaient fermement tenus par la main pour ne pas qu'ils expriment leur incompréhension du deuil par de sautillantes et joyeuses danses. Le ciel était gris, les corbeaux tournoyaient au-dessus de nous, les arbres sans feuilles dansaient dans un ballet macabre au gré du vent glacé de ce mois de décembre, c'était bien le pire jour de ma vie. Je lançais une rose sur le cercueil et je m'effondrais de douleur près de la fosse. Elle était toute ma vie, celle qui l'avait toujours éclairé et voilà maintenant qu'elle s'éteignait.

Le cœur brisé, je me relevais malgré la douleur lancinante dans ma poitrine et je priais une dernière fois pour que sa vie dans l'au-delà soit douce et paisible. Nous rentrâmes le visage creusé de sillons de larmes, enfin, surtout moi, j’étais la personne la plus proche d'elle présente à l'enterrement.

Le nouvel an 1774, nous l'oubliâmes, tant la douleur du départ de Camille était forte.

Suite au décès de son épouse, Auguste, après avoir vendu l'étage qu'il occupait dans la bâtisse, avait pris son aîné avec lui et l'avait emmené vivre dans un autre logis à Paris. Nous dûmes vider leur appartement, aussi pour moi ce fus très dur. Je m'occupais de la chambre de ma sœur, récupérant ses affaires personnelles, ses vêtements, ses bijoux, et aussi tout un tas de petites choses secrètes et intimes qu'elle cachait dans ses tiroirs.

Il me revenait la charge de Malou et bientôt Michel, lorsque les parrains et marraines me le laissèrent, en donnant comme excuse '' il sera mieux avec vous'' et encore '' il vous connaît mieux'' pour ne pas dire '' il est aveugle, nous ne voulons pas l'élever'' ou '' il est handicapé, il nous fait honte'', je tentais d'accepter cette injustice. J'avais moi-même un enfant et jamais je n'avais demandé à ce qu'on me confie les deux bambins plein d'énergie de ma sœur, mais avais-je seulement le choix ?

Nous n'avions pas beaucoup de place dans l'appartement, il n'y avait que trois chambres, dont une pour moi, une pour mon époux et une seule seulement réservée aux enfants, déjà occupée par les deux filles de Léon. Nous trouvâmes malgré tout une solution : nous réaménageâmes la chambre de Caroline et Gustavine en retirant l'armoire, aussi nous rajoutâmes le lit de Malou en poussant un peu les autres meubles. La nourrice quant à elle, dormait dans le salon, sur un matelas posé à même le sol tandis que Michel resterait avec moi et Léon – Paul. Michel avait besoin d'aide la nuit pour sortir le pot de chambre, boire ou encore allumer sa bougie pour se rassurer sans se cogner et renverser tout ce qui passait près de ses pieds. Nous dûmes aussi apprendre à vivre a sept dans un cinq pièces, ce qui comprenait de nombreuses règles de savoir vivre, notamment pour Michel une vigilance de tous les instants quand il se levait le matin, je lui appris à bien lever les pieds quand il marchait et cela donnait un résultat comique, dont nous nous moquions gentiment.

Le bébé de France à venir réchauffait l'atmosphère, il égayait ces longues soirées d'hiver, rythmait les discussions, surtout autour du prénom : comment allait -il s’appeler ?

Quand je posais la question à Joseph, il hochait la tête en regardant son épouse, qui elle, était pleine d'idées. Clément, Robert, Léopold, Henri pour un garçon, Clémentine, Marie, Rose, Virginie pour une fille. Elle imaginait déjà sa couleur de cheveux, et même la réaction des aînés à la naissance... mais pas ça.

France avait eu l'espoir de voir cet enfant naître et grandir, elle avait eu l'espoir de porter dans ses bras le nourrisson.

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