Chapitre 29F: juillet - septembre 1780

6 minutes de lecture

Comme pour l'année précédente, j'envoyais une lettre à Madeleine peu de temps après le départ des enfants pour qu'elle puisse souhaiter de ma part les anniversaires des sept ans de Léon – Paul le seize juillet, et les six ans d'Henriette le quatorze août. Mon neveu Auguste avait eu onze ans à la fin du mois de juin, aussi j'avais oublié de lui souhaiter son anniversaire, mais lorsque j'y réfléchissais un peu, je me disais que tant pis, de toute façon lui et son père ne me donnait jamais de nouvelles.

Il faisait très chaud comme tous les étés, mais cette fois, notre chienne ne survécut pas. J'avais trouvé son cadavre plein de mouches toujours accroché à sa chaîne, la pauvre bête était morte de chaud et je m'en voulais quelque peu de l'avoir oubliée. Le soir, au retour de son travail, mon mari s'étonnait de ne pas entendre aboyer le chien dans le jardin, et je lui expliquais l'incident. Il souleva les épaules.

—''De toute façon, les enfants n'y prêtaient plus attention.

Mon mari nous emmena au théâtre avec les enfants un autre soir du mois de juillet. J'avais mis mes plus beaux bijoux, Gustavine m'avait aidé à mettre et serrer mon corset, à enfiler ma robe et à nouer mes cheveux. Nous nous aidions mutuellement, de toute façon les robes que nous portions étaient impossibles à enfiler et à retirer seule. Nous partîmes donc tous les quatre pour Paris en début de soirée, peu après le souper. La pièce que nous allions voir s'intitulait ‘’ Phèdre’’, écrite par Jean Racine en 1677, elle parlait de différends familiaux entre notamment une jeune fille et son père. Léon revoyait une de ses connaissances alors que nous sortions du théâtre, et malgré l'heure tardive, nous dûmes l'attendre lui qui discuta une demie – heure durant.

J'avais eu beau lui écrire pour les anniversaires des enfants, je ne recevais pas de réponse de Madeleine alors que les enfants étaient partis depuis un mois, cela m'inquiétais grandement. J'en avais fait part à Léon, il m'avait rassuré, mais j'avais trop peur qu'il leur soit arrivé quelque chose de grave. J'en voulais à Madeleine, qui n'avait pas l'air de comprendre mon inquiétude légitime de maman, alors qu'elle avait elle-même quatre petites filles. Peut – être était - ce que, contrairement à moi, elle ne s'en occupait même pas et elle n'avait jamais eu besoin de s'en séparer.

J'avais moins de patience avec les enfants, notamment avec Michel, je m'étais d'ailleurs surprise à le gifler, un jour où il refusait de manger. La fatigue se faisait sentir, et bien que je ne sois qu'au début de ma grossesse, tout devenait plus difficile pour moi. Je n'avais donné la nouvelle ni à Gabrielle, ni aux enfants, seul mon mari était au courant. J'attendais qu'elle soit évidente pour tout le monde, comme je l'avais fait pour mes précédentes.

Cet été me parut trop long. D'abord sans nouvelles des enfants j'avais l'impression d'être totalement coupée d'eux, et chaque jour n'était qu'un jour de plus de questionnement et d'inquiétudes, ensuite je me sentais souvent mal, abattue, fatiguée. Ne me voyant plus, Gabrielle était venue m'aider, c'est là que, n'y tenant plus, je lui avais dit ce qui m'arrivait. Elle avait eu l'air heureuse pour moi, mais n'avait rien dit.

Mon frère Louis me ramena mes fils à la fin du mois d'août, accompagné comme chaque année de sa petite famille qu'il ramenait à Paris. J'étais furieuse. Deux mois sans nouvelles, c'était beaucoup trop long.

—''Vous auriez pu m'envoyer une lettre, faire parvenir un télégramme, je ne sais pas moi, me donner des nouvelles, mais je n'ai rien reçu. Je vous confie mes deux petits garçons et ma nièce, c'est le minimum.

—''Cela est étonnant puisque Madeleine m'avait dit qu'elle vous écrirait… Mon frère s'adressa à son épouse. Dites-moi, avez-vous bien envoyé la lettre à Louise ?

—''Oh mince… J'ai complètement omis de poster le courrier, je l'avais pourtant écrit, mais il doit encore être sur la table. Excusez - moi de tout mon cœur Louise, je suis désolée de vous avoir fait vous inquiéter, mais tout s'est très bien passé avec les enfants.

—''En attendant j'étais très inquiète… Ce n'est pas si grave après tout… Ils sont bien arrivés, ce n'est pas grave. Mais la prochaine fois, n'oubliez pas.

—''C'est une fâcheuse erreur de ma part, je m'excuse encore, j'y songerais la prochaine fois.

Louis et Madeleine restèrent pour le souper avec leurs quatre filles, qui avaient chacune bien grandi. Malou s'entendait mieux avec Françoise, elle m'avait dit que leur relation s'améliorait, qu'elle la trouvait moins mouflette que l'année passée, avec les années leur différence d'âge en réalité assez courte, je pense qu'il s'agissait plutôt d'une différence d'éducation et de caractère, avait de moins en moins d'importance.

Madeleine m'avait raconté qu'à l'institution où étudiait Henriette, Françoise et d'ici quinze jours Victoire, il y avait des jeunes filles de bonnes familles qui venaient spécialement de Rouen, Saint - Germain, ou même de Lyon avec leurs gouvernantes ! Elle m'avait aussi raconté les mésaventures d'Henriette, qui dans son étude, avait été confrontée à une jeune fille un peu particulière renvoyée depuis qui l'avait accusée d'un vol qu'elle n'avait pas commis aussi d'après Henriette, elle apportait des ouvrages protestants et censurés, qu'elle lisait a ses camarades lors des pauses entre les cours. Un fait absolument inadmissible dans une institution censée enseigner l'amour de Dieu et la piété aux jeunes filles dès l'âge de cinq ans.

Après leur départ, que j'avais en réalité précipité en omettant le dessert, je m'occupais de Léon – Paul, qui avait passé sa soirée allongé sur le canapé. Il avait refusé de manger, et ses joues rouges et son front chaud ne m'avait pas rassurée sur son état. Pendant le souper, mon mari avait voulu l'obliger à venir à table, mais devant son teint livide et mes contestations, il l'avait laissé. Mon fils supporta ses nausées toute la soirée, mais lorsque je le conduisit dans sa chambre pour lui donner un bain visant à le rafraîchir, il vomit entre deux crises de larmes, ses boucles rousses épaisses dégoulinantes de sueur. Son petit frère le regardait avec pitié en suçotant le pouce qu'il avait adopté.

— ‘’ Émile, voulez - vous bien me ramener le gant de toilette posé sur ma coiffeuse dans ma chambre ?

Mon fils m’apporta le gant que je mouillais, pour que je puisse au moins rafraîchir Léon – Paul, faute de pouvoir lui donner un bain. La nuit suivante fut tout aussi pénible que n'importe quelle autre nuit où un des enfants était malade, ponctuée de nombreux réveils et larmes d'enfant.

La rentrée à l'école de Léon – Paul se passa plutôt bien, se sachant avec ses deux amis Charles et Lucienne, il n'était pas pour le moins inquiet. Je me souviens qu'à presque chaque retour d'école, je m'occupais personnellement de lui, pour pouvoir ensuite le laisser aller jouer et profiter de ses amis dehors. Certaines fois, il allait faire ses devoirs chez Charles ou Lucienne, mais la plupart du temps, c'était eux qui venaient à la maison. Je préférais suivre ses études de près, car mon mari m'avait dit que s’il excellait dans ses études, il l'enverrait au collège à Paris, ce que je souhaitais le plus au monde pour mes fils.

Le jour des dix ans de Malou, mon mari me demanda quand elle célébrerait sa première communion. Quelque peu perturbée par cette question, je ne pouvais que lui rappeler qu'elle l'avait effectuée au mois de mars avec son frère aîné. Je pouvais comprendre qu'il ait dépassé les quarante ans, mais de là à oublier un événement aussi important passé de six mois seulement, il ne fallait pas exagérer.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 4 versions.

Vous aimez lire Lanam ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0