Chapitre 29G: septembre 1780

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Un après-midi, Émile me surprenait dans ma chambre alors que je prenais un repos bien mérité, heureuse après avoir senti mon bébé bouger pour la première fois dans mon ventre.

—''Maman… François pour son anniversaire, il m'invite chez lui pour goûter.

—''D'accord. Et que voulez-vous savoir ?

—''Est ce que je peux y aller ?

—''Vous avez la possibilité d'utiliser vos jambes et vos pieds pour vous déplacer jusqu'à chez lui, mais moi je ne vous donne pas la permission.

Alors que Émile fronçait les sourcils, très frustré de se voir refuser ce qu'il pensait déjà acquis, Gustavine, qui nous avait rejoint, lui chuchota quelque chose à l'oreille, qu'il répéta je suppose.

—''Est - ce que vous me donnez l'autorisation de m'y rendre…

—''Voilà qui est mieux mon fils. Bien sûr que vous pouvez vous y rendre, mais rentrez avant le souper ce soir.

Émile, très satisfait, courut et dévala les escaliers pour rejoindre la maison de son ami, tandis que Gustavine m'adressait un sourire complice. Je riais intérieurement parce-que mon ventre devenait flagrant, mais que personne ne posait de question, ou du moins n'osait. Je savais que j'avais énormément dit non à mon mari pour ce petit dernier, et que j'acceptais relativement bien cette grossesse, mais c'était parce que j'étais sûre que je mettrais cette fois - ci au monde une petite fille.

Il y avait bien longtemps que je n’avais pas reçu de nouvelles de France, qui vivait seule avec son fils et son neveu depuis le départ de son mari. Je me décidais a lui écrire car je pensais au fait que je prenais rarement cette initiative, que j'avais tendance à attendre que les gens m'écrivent. Une lettre sans importance et trop vite écrite, que j'oubliais finalement d'envoyer.

Alors que je commençais à penser que j'accoucherais sans que les enfants ne soient au courant, Malou me demanda l'air inquisiteur et hésitante, un soir où je m'apprêtais à la laisser dormir :

—''Vous allez avoir un bébé ?

Je m'approchais d'elle et lui caressais doucement les cheveux en lui chuchotant :

—''Oui… Allez dormez maintenant.

Le lendemain matin, avant même que je ne sois levée, toute la maisonnée était au courant de la venue prochaine d'un enfant. Émile était le plus heureux je crois, il voulait un petit frère.

—''On ne décide pas de ces choses-là chéri… Je vous l'ai déjà dit, c'est Dieu qui choisi.

J'avais lu dans plusieurs ouvrages des méthodes pour influencer le sexe de son futur enfant. Je m'étais d'abord dit que c'était ridicule et que si cela fonctionnait vraiment, tous les couples n'auraient que des garçons, mais de temps en temps, seule dans ma chambre, je tentais certaines des techniques pour tenter de deviner le sexe, car l'influencer se faisait évidemment avant la conception. J'avais déjà essayé de suspendre mon alliance au-dessus de mon ventre pour savoir s’il tournerait ou se balancerait, comme il tournait, j'avais donc raison de croire attendre une fille. C'était idiot je savais, mais j'espérais tellement cette petite fille que j'aurais cru n'importe quoi pour m'éviter une mauvaise surprise le jour de l'accouchement.

Les mois d'octobre et novembre furent froid, comme mon cœur le jour de l'anniversaire de ma défunte sœur, j'avais mal mais je continuais malgré tout de compter, elle aurait eu trente - quatre ans… Michel et Malou ne m'en parlait que très rarement, je crois qu'ils étaient trop jeunes à son décès pour exprimer un quelconque manque ou une souffrance dû à son absence.

Fatiguée, je déléguais à une nourrice dès le mois de novembre. Elle prenait soin des enfants et cela me soulageait grandement. Je profitais de ce luxe éphémère pour recevoir plus souvent Gabrielle, elle qui en profitait pour laisser François à la nourrice, elle me faisait rire avec ses anecdotes et j'oubliais un instant mes douleurs de femme enceinte, mais aussi mon appréhension de l'accouchement, une épreuve pour chaque femme en 1780. Mon amie me racontait notamment l'histoire d'un jeune homme dont le père avait décidé le mariage, et lorsqu'il avait voulu savoir le nom de sa future épouse, son père lui aurait répondu de se se mêler de ses affaires. J'avais beaucoup ri car la situation, pourtant véridique, était complètement ridicule. Lorsque j'avais mal au ventre à force de rire, mon bébé s'agitait dans mon ventre, et je disais sans cesse à Gabrielle :

—''Vous me faites tant rire que je risque d'accoucher maintenant ! Surtout que mon enfant s'agite, je le sens pressé, alors ne précipitez pas trop les choses !

Lors d'un moment intime, nous nous étions retrouvées toutes les deux dans ma chambre, je lui avais laissé écouter le cœur et les mouvements de mon bébé, elle avait posé son oreille contre mon ventre rebondi, scrutant le moindre mouvement de l'enfant, une chose que je n'aurais même pas fait avec Émile. Je m'attachais à elle plus que je ne m'étais jamais attachée à une amie, après tout, nous nous connaissions par cœur, depuis cinq ans déjà, et cela allait bien durer. Mes tentatives de me rapprocher de Anne avaient échouées, et bien que nous nous détestions pas, je ne lui parlais que très peu, en fait je me privais de nouvelles rencontres parce que j'avais peur de la perdre, Gabrielle, avec sa jalousie qui jouait bien souvent avec mes nerfs. Gabrielle était une jeune femme simple, issue d'une famille d'artisans, son père était cordonnier à Paris. Brune, elle avait toujours quelques mèches rebelles qui s'échappaient de sa coiffe, un regard d'ange et un sourire agrémenté d'une fossette causée par la morsure d'un chien quand elle était plus jeune. Il nous arrivait de passer de longues minutes à nous contempler, nous ne nous disions rien mais c'était agréable, d'ainsi se comprendre sans aucunes paroles.

Léon rentrait depuis quelques temps un peu plus tôt un ou deux jours dans la semaine pour pouvoir aider son fils dans ses apprentissages, une première. Léon – Paul n'avait pas de patience, alors cela se terminait souvent en larmes, après que mon fils se soit pris une gifle pour avoir tapé du pied d'énervement ou sali le bon Dieu avec cette fâcheuse expression : Nom de Dieu ! Un blasphème, inacceptable, apprit je ne sais où, mais certainement pas à l'école, enfin j’espérais car sinon mon mari l'y retirerais aussi vite. Sœur Émilie venait parfois à la maison pour me parler des progrès de Léon – Paul en lecture et en écriture, il savait à peu près lire mais l'écriture lui était plus difficile. Il fallait qu'il réussisse, pour lui d'abord, car cela lui permettrait d'accéder à un bon métier et de bien gagner sa vie, aussi un peu pour nous, puisque la réputation de la famille Aubejoux tenait sur l'éducation reçue par les garçons et puis enfin pour son petit frère Émile, qui allait avoir besoin d'un exemple, même s’il ne faisait pas trop attention à son frère aîné.

Je me souviens de cette soirée comme si elle s'était littéralement gravée dans ma mémoire, tellement magique et chaleureuse. Après le souper, Michel avait joué quelques morceaux au clavecin, comme souvent d'ailleurs, nous l'écoutions avec plaisir, mon mari avait posé sa lecture, je rêvais sur cette douce mélodie, tranquillement assise dans le fauteuil près de la cheminée, Malou et Gustavine, assises par terre, jouaient aux cartes, tandis que Léon – Paul contemplait son cousin assis près de lui au clavecin. Émile quant à lui, dormait, exténué par la journée de jeux qu'il avait passée avec François, dans la neige et sur l'étang gelé.

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