Chapitre 5F: février - mars 1757

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Au mois de février, les jumelles m'invitèrent chez elle pour la deuxième fois, le parc était enneigé et faire des glissades sur la rivière gelée ne nous tentaient pas. Après avoir demandé l'autorisation à ma tante et reçu une réponse positive en contrepartie que ma gouvernante m'accompagne, toutes deux m'emmenèrent là où elles vivaient. Madame Grosein me suivait de près, inquiète de savoir où nous allions. Nous marchâmes un peu, pour pénétrer dans un vieil immeuble de pierres. Les jumelles m'indiquèrent qu'elles vivaient au dernier étage. L'immeuble en comptait trois.

Une fois que nous eûmes gravis les interminables escaliers, dans l'ambiance d'un immeuble populaire, les jumelles nous firent entrer dans leur petit logement, bien agencé, coquet. Une voix se fit entendre lorsque nous y pénétrâmes, puis une jeune femme apparue, mince, ayant l'air d'une adolescente. Elle portait dans ses bras un petit garçon de deux ou trois ans aux cheveux bruns courts, qui suçotait un morceau de chiffon.

— '' Les filles, ce sont des invitées ?

—''Oui, il s'agit de Louise et de sa gouvernante.

—''J'ai entendu parler de Louise, installez-vous.

La jeune femme déposa délicatement l'enfant à terre, qui se dirigea et disparu dans une des pièces de l'appartement. La jeune femme avait l'air débordée. Nous nous installâmes autour de la petite table, puis elle installa un bol devant chacune de nous pour y verser du lait chaud.

—''Désirez-vous des biscuits ?

—''Oui, s'il vous plaît.

Elle distribua à chacune de nous un biscuit tout juste sorti du four, puis elle s'éclipsa, accaparée par les tâches ménagères à accomplir dans ce logement. Sans même poser une seule des nombreuses questions qui me trottaient dans la tête, je terminais mon bol de lait, mangeais sagement mon biscuit, en attendant qu'une des sœurs me propose d'aller jouer.

Le petit garçon refit alors son apparition, la bouche pleine, l'autre morceau du biscuit dans la main, qu'il écrasait avec cruauté, ce qui créait une mixture sur ses petits doigts et autour de sa bouche.

Marie–Catherine lui ébouriffa les cheveux, et s'exclama :

—''Voici notre petit frère Jean–Baptiste, celui que vous avez vu l'autre jour. Il fêtera ses trois ans en mars, il est mignon, mais un peu chenapan.

Il cria, avant de repartir en trottinant.

—''Moi pas chenapan !

Après quelques jeux, comme il se faisait tard, ma gouvernante prit la décision de nous faire prendre le chemin du retour. L'heure du souper allait bientôt sonner. Je disais au revoir aux sœurs, puis suivais ma gouvernante. Dès la porte refermée, elle ne pu alors s'empêcher de commenter.

—''Quelle pauvre jeune fille ! N'y a t-il donc pas de parents pour prendre en charge ces enfants ?

Le vingt-huit mars, en début d'après-dîner, nous nous préparâmes à assister à ce qui s’apparenterait à un grand spectacle. En effet, Robert–François Damiens, accusé d'avoir tenté d'assassiner le roi, allait être écartelé en place publique. Je n'avais jamais assisté à ce genre d'exécution, juste quelques pendaisons, et une décapitation qui m'avait marqué.

Nous nous rendîmes donc en place de la Grève pour assister à ce qui serait sans doute '' le spectacle du siècle''. Nous n'y voyons rien, il y avait trop de monde, mais ma tante avait heureusement réservé un balcon. Installées confortablement, ayant une vue plongeante sur la scène préparée pour l'occasion, nous attendîmes sagement l'arrivée du condamné, une demie - heure peut - être.

Les quatre chevaux bruns arrivèrent, puis les seize bourreaux, et enfin, le condamné. Il fut hué, on lui jetait des tomates, des touffes d'herbes, on lui crachait dessus, tout ça dans un immense capharnaüm. Puis vêtu d'une simple chemise de couleur blanche, il fut conduit sur ce qui serait sa dernière demeure. Devant nos yeux ébahis, on attacha chacun des membres de l'accusé à un cheval, puis sur les ordres d'un supérieur, les animaux galopèrent dans quatre directions opposées.

Ensuite, ce fut très long. L'homme s'égosillait de douleur, ses tendons n'ayant pas été préalablement coupés.

Une demie - heure après le début, le premier bras céda dans un flot de sang, c'était atroce. Le cheval continuait de galoper en traînant derrière lui le membre arraché, sous une immense flaque de sang. Ensuite, il fut calmé, débarrassé du membre et attaché plus loin en attendant la fin du spectacle. Cela se reproduisit lorsque la première jambe céda, Damiens était alors toujours conscient mais avait cessé de crier, la douleur le paralysant. Puis le second bras fut arraché, et il nous fallut attendre encore vingt minutes avant que la fin du spectacle ne soit annoncé, une fois le dernier bras décroché. Le condamné était mort, une mort qu'il avait depuis des heures désirée plus que tout, je le pense.

Progressivement, la foule rendue silencieuse par l'horreur quitta la place, et nous fîmes de même. La nuit suivante, il me fut impossible de fermer l’œil, mon imagination me laissant penser qu'il serait là, au pied de mon lit, à attendre dans sa flaque de sang que je m'endorme pour m'emporter avec lui dans les ténèbres. Les larmes me montèrent vite aux yeux, je n'en pouvais plus, c'était trop dur à supporter pour ma conscience si fragile. Fatiguée, j'avais envie de dormir mais une voix intérieure me l'interdisait, c'était trop dangereux. J'alla donc voir ma tante, qui n'était pas dans son lit. Mon cœur se mis alors à battre à toute vitesse, j'avais peur qu'il lui soit arrivée un malheur. Bien heureusement je la retrouvais au salon, consolant ma sœur, elle aussi traumatisée.

Elle m'invita à la rejoindre, et je déversais mes larmes, ce qui me fis un bien fou, mais ne me permis quand même pas de passer une nuit agréable. Je continuais à imaginer le corps au pied de mon lit, vision qui me terrorisait. Je mis des semaines à réussir à vivre avec, mais jamais je n’oublierai, on oublie pas ces choses-là.

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