Chapitre 2B : mai - septembre 1753

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Petite Louise appréciait les filles comme les garçons, tous gentils, mais certains un brin bagarreurs. Armand–Marie, un beau petit garçon de deux ans qui portait un col et des manchettes de dentelle, montrait au groupe d'enfants autour de lui ses talents d'écrivain. Il s'empara d'un bâton de bois et se mit à écrire avec concentration son nom en lettres majuscules dans la terre. Anne lut à sa cousine Louise qu’il avait écrit : ''Châstenet Puységur''.

Plusieurs fois il alla sans raison voir sa nourrice, qui le surveillait sur un banc, et posa délicatement sa tête sur ses genoux pour recevoir une caresse. La jeune femme tenait un enfant d’environ un an qui ne marchait pas encore, Antoine-Hyacinthe. Armand-Marie était très fier de son petit frère.

A la fin de l’après-midi, tout le monde rentra à l'hôtel. Une délicieuse odeur de potage embaumait le salon, qui mit la petite famille en appétit. Lorsque tante Marguerite en eut donné l’autorisation, ils s'installèrent autour de la table joliment décorée d’une nappe immaculée. Ils firent leur prière, que Louise répétait après eux, ne la connaissant pas encore.

L’esclave apporta sur la table le plat dans lequel se trouvait une soupe de légumes fumante, qui lui parut être délicieuse.

Tante Marguerite montra à Louise la cuillère à soupe, car il y en avait deux, une pour la soupe et une pour le dessert. Pour les repas dit simples, il n’y avait qu’un verre, une fourchette, deux cuillères et un couteau utilisé seulement par les plus de sept ans. Lors des repas de famille, on lui expliqua que c’était bien plus complexe. Elle mangea donc sa soupe comme on le lui dicta, sans faire de bruit, les bras le long du corps; en ne s’appuyant pas contre le dossier, et en mangeant la bouche fermée.

C’était particulièrement contraignant pour elle qui avait toujours été habituée à prendre ses repas sans aucune manière. Puis le souper se termina sur une part de tarte aux fraises. Enfin, morte de fatigue et après avoir souhaité le bonsoir, Louise s'en retourna vers sa grande chambre qu'elle ne partageait avec personne. Cette nuit-là, ses cauchemars réapparurent. Elle avait vu tellement vu d’horreurs chez sa nourrice qu'elle se retrouva submergée de ces images atroces.

Elle revit le garçon au visage dévoré par le rat, le petit chien près du cadavre de l’enfant. Tout ça lui fit passer une nuit chaotique, et elle pleurait, seule dans son grand lit. Au milieu de la nuit, alors que Louise n'arrivait toujours pas à dormir, sa tante Marguerite vint la prendre dans ses bras. La petite fille entendait le souffle doux de ses mots dans son oreille et sentait la chaleur de sa peau à travers sa chemise légère. Elle la soulagea en lui permettant de finir sa nuit apaisée et calmée. Lorsqu'elle fut rendormie, Marguerite retourna se coucher dans sa chambre. Les époux ne dormaient pas ensemble.

Au lendemain, Louise prit son déjeuner composé de pain blanc, de confiture de fraises, de lait cacaoté, les yeux encore ensommeillés, mais la tête reposée. Comme nous étions le jour du Seigneur, après le repas, toute la famille se prépara pour la messe. On enfila à Louise sa robe du dimanche ainsi qu'à Camille–Marie, et ses deux cousines France et Anne. Marguerite portait une grande robe de satin bleue surmontée d’un ruban blanc et un beau chapeau empanaché de plumes d'autruche. Oncle Jean les accompagnait au bras de son épouse, tout aussi bien vêtu. Ils montèrent dans la voiture, qui les emmena vers l’église. Située à une lieue de l'hôtel, elle était immense, et expliqua à Louise que s'y pressaient tous les dimanches des dizaines de fidèles. Sur le parvis, Marguerite et Jean discutaient avec leurs connaissances, en prenant des nouvelles de ces gens qu’ils n’avaient pas dû voir depuis longtemps.

Le couple en question venait de perdre leur premier enfant récemment baptisé à cause de l’eau trop froide des cuves baptismales. C’est ce que Louise avait perçu de leur conversation parmi la cohue. Puis la famille pénétra dans l’édifice, et s'installa sur les bancs inconfortables. Tout se déroula normalement. Ils se levèrent pour chanter dans une langue qu'elle ne connaissait pas, les adultes tenaient entre leurs mains un livret qu’ils lisaient, répétant après le prêtre.

À la sortie, la voiture les attendait sous une pluie fine, ‘’un crachin’’ d’après tante Marguerite. Louise courut donc pour lui échapper, et… Badaboum !

Ses pieds dérapèrent sur le sol rendu glissant et elle se retrouva les fesses par terre, le bas de sa robe trempée. Jean lui asséna une petite gifle lorsqu'elle rentra dans la voiture, car une enfant bien élevée ne courait pas.

Au début de l’été, on lui retira définitivement les langes. Elle venait d’apprendre l’utilisation du pot de chambre. Pour la féliciter de ce progrès, sa tante lui accorda une petite excursion dans Paris. Là - bas, elle lui offrit un pendentif en or et l'emmena voir les beautés du jardin des plantes. Lorsqu'elles rentrèrent en fin de journée, Louise avait des étoiles plein les yeux. Le souper l'attendait, tout fumant sur la table. L’odeur lui rappelait celle des fleurs lorsqu'elle se rendait au marché avec sa nourrice.

Anne pleurait sa sœur France, qui venait d’entrer au couvent, rejoignant ses deux aînées. À son retour, alors âgée de dix-huit ans, elle resterait quelques années à la maison avant de se marier.

Avec ses amis, elle jouait à Colin–Maillard, au loup ou aux billes. Elle adorait et riait de bon cœur en écoutant les chansons, ritournelles sans fin et entêtantes, qu'apprenaient Jules ou Armand– Marie de leurs nourrices. Au parc, les petits formaient deux clans : il y avait le clan d'Armand–Marie et celui de Jules, leur ennemi. Le clan d'Armand– Marie, dont Louise faisait partie, comptait quelques filles, tandis que celui de Jules ne comptait que des garçons.

En septembre, elle apprit que son frère Louis, bientôt dix ans, célébrerait prochainement sa première communion, étape importante dans la vie d’un chrétien.

Le jour de l’événement, ils s'habillèrent de leurs plus beaux vêtements pour se rendre à l’église. Quand enfin son frère arriva, suivi d’autres enfants, Louise le trouva beau et élégant. Habillé d’une tunique blanche et une croix accrochée autour du cou, il avançait vers l’autel en tenant dans ses mains d’ange un petit luminaire.

Enfin il alla baiser les joues de Jean et Marguerite en signe de paix et honora un instant de recueillement, que tous respectèrent d’ailleurs. Il vint ensuite s’asseoir près de Louise, mais à sa plus grande déception, ne lui accorda aucune attention, malgré le fait qu'elle soit sa sœur cadette. Petite Louise était tellement déçue à la sortie de l’église qu’en rentrant, elle ne mangea pas et alla directement faire sa prière pour se coucher. L’on s’inquiéta de sa santé, car une enfant qui ne mangeait pas, c’était une enfant forcément malade. Sa tante ramena le médecin, Louise n’était pourtant pas souffrante. Il diagnostiqua une fatigue passagère et prescrivit du repos à la petite fille.

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