Chapitre 58

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Courir a calmé mon agitation mais pas ma colère. Ce matin, je ne peux pas faire un pas chez moi sans croiser les étrangers. La fille a une voix de crécelle qui fait trembler les murs. C'est absolument affreux à entendre. Je me pointe dans la cuisine en simple boxer, ignorant la mère qui prend son café. Je fouille dans un placard à la recherche de mes céréales préférées. 

J'ouvre le paquet et je mange directement dedans sans prendre de bol. 

— Bonjour Tonio, finit par murmurer la meuf de mon vieux, un peu mal à l'aise.

Je la détaille de bas en haut, en mâchant bruyamment la bouche ouverte, mes céréales. Elle doit avoir la quarantaine, l'âge de mon père. Elle semble embarrassée par ma présence et j'en abuse. Peut-être repense-t-elle à ses affaires que je prends un malin plaisir à mettre dans la poubelle ou encore à ma capote posée en évidence ? Avec tout le raffuts que j'ai fait cette nuit, elle n'a pas dû bien dormir mais elle se garde bien de le faire remarquer. C'est une faible, une gentille, je le vois de suite et ça m'arrange car je vais en abuser pour tenter de la pousser à bout.

Assise à la grande table, elle passe nerveusement sa main dans ses cheveux très courts. Elle n'est pas maquillée mais elle s'est habillée. Lorsque sa fille arrive, celle-ci l'embrasse affectueusement. Je sens beaucoup de complicité entre les deux. Puis la jeune se retourne et ne sait pas comment se comporter devant moi qui suis à moitié à poil, planté au milieu de la cuisine en train de m'empiffrer en me versant directement la boîte de céréales dans la bouche.

— Je ne sais pas si vous vous êtes présentés ? m'interroge la vieille. 

Je la regarde en prenant garde de ne pas réagir. Elle se râcle la gorge et se lève pour mettre la main sur l'épaule de sa fille.

— Tonio, c'est Caroline ! continue-t-elle en essayant de percer la moindre réaction sur moi.

Je reste de marbre.

— Vous avez le même âge... Elle rentre en Seconde au lycée.

Je la laisse s'enfoncer dans ses explications. L'adolescente est gênée et je suis pleinement satisfait de l'ambiance que je fais peser sur la pièce. J'ai envie de rire mais je n'en fais rien. J'attends juste qu'elles aient fini. Puis d'un coup, je pose violemment mon paquet de céréales sur le plan de travail et je lance froidement un je m'en fous, clair, net et précis qui surprend les deux étrangères. 

Alors que je m'apprête à dégager, la porte d'entrée claque et Max apparaît, complètement ivre de sa nuit. J'ai encore plus envie de rire. Il ne pouvait pas mieux tomber.

— Je crois que j'ai terriblement besoin de dormir, annonce-t-il la gueule enfarinée.

— Ou de gerber ? je rajoute en prenant mon frère par l'épaule pour l'aider à regagner sa chambre. 

Je l'aide à s'allonger sur son lit, habillé. Je suis fier de notre prestation à tous les deux, cela donne un avant-goût aux étrangers de l'ambiance qui peut parfois régner dans la maison. Mon père est certainement parti bosser, il a eu raison. Pendant son absence, je montre qui est le maître des lieux.  Moi, je circule dans la maison en boxer, histoire de marquer mon territoire. Je n'hésite pas à squatter le salon et mettre la chaîne des clips de musique à fond pendant que je suis sur mon téléphone.

Max dort à poings fermés jusqu'à midi puis il fonce se doucher. Mon père rentre enfin pendant que sa meuf s'agite dans la cuisine. Il passe sa tête dans le salon et grimace en me voyant avachi et quasiment nu sur le canapé.

— Baisse le son et va t'habiller, m'ordonne-t-il. 

Je coupe la télévision et lui passe à côté en le toisant. Je le sens énervé et j'en suis satisfait.

A l'étage, Max est enfin prêt mais il a la gueule de bois. Je me moque un peu de lui quand j'entends crier :

— À table !

La vieille est en bas de l'escalier et elle s'égosille pour tenter de rassembler tout le monde. 

— C'est une blague ? je demande à Max qui hausse les épaules.

Jamais je ne boufferai à la même table que les étrangers. J'aurai trop l'impression de trahir ma mère et mon frère. C'est quoi ce délire ? Il nous invente une famille ou quoi ?

— Allez, fais un effort, me demande Max. Ils sont peut-être sympas !

— Qu'ils aillent se faire foutre ! JAMAIS de ma vie, je ne partagerai leur repas !

— Tonio ! tente de me retenir Max alors que je file dans ma chambre passer mon maillot. 

Je vais partir surfer et aller au camping du curé puisqu'il paraît qu'il y a une fête ce soir. En plus, cela m'évitera de croiser Marion qui va arriver d'une minute à l'autre. Entre ce qu'il se passe chez moi et son retour, j'ai une pression d'enfer. Je sens que je vais faire de la merde toute la journée.

Une fois mon maillot enfilé et mon sac prêt je descends en passant par la cuisine pour faire quelques réserves de bouffe. Mon père et Max sont assis à leur place habituelle, la mienne est inoccupée, mon couvert est mis. 

D'entrée, je vois les regards niais que jettent mon frère vers la fille. Ce con serait déjà amoureux d'elle que je ne serai pas surpris...

La vieille est assise sur la chaise de ma mère que personne n'avait encore osé réutiliser et le fils est sur celle de Paulo. Mon sang ne fait qu'un tour quand je vois ça. J'ai le cœur qui se met à battre plus vite, la chair de poule et une nausée épouvantable. 

— Tonio, viens manger ! m'ordonne mon père.

J'ai envie de lui sauter dessus pour le rouer de coups. Ce qu'il fait me tue intérieurement. Toute son attitude, son ignorance, l'oubli qu'il prone me révolte et m'assassine.

— JAMAIS je mangerai avec vous ! T'entends ? JAMAIS ! C'est quoi le délire ? La vieille qui ose bouffer dans l'assiette de ma mère. T'es qui pour prendre sa place ? Ça te fait rien de dormir dans son lit, d'utiliser sa salle de bains, sa cuisine ? Crois pas que ça va durer !

— Tonio, tais-toi ! tente de m'interrompre mon père qui se lève pour me pousser vers la porte de la cuisine.

— Je me tais si je veux ! Je suis chez moi ! Vous entendez tous ? Ici, c'est chez moi !

Complètement hors de moi, je prends mes affaires, mon surf et je file en skate vers l'océan...

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