Chapitre 33

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— Je t'emmène dans une pharmacie chercher des genouillères ! m'annonce Paulo après le petit déjeuner.

J'ai le cafard. Je suis toujours contrarié qu'il nous laisse à Nice. C'est l'anniversaire de la mort de ma mère et je tourne ça en boucle dans ma tête. J'ai refusé tous les appels de Marion hier soir. J'ai juste écrit pour me soulager et vider mon cœur.

— C'est pas la peine, ça va passer tout seul ! je lui réponds, la voix cassée.

Pour la troisième année consécutive, je suis aphone ce putain de jour. Comme si quelque chose était bloqué en moi et m'étouffait à petit feu. Je me râcle gorge pour essayer de me dégager mais rien n'y fait. Je sens que j'ai encore perdu ma voix.

— Bouge ton cul, ducon ! Dépêche ! m'ordonne Paulo en s'agenouillant devant ma chambre de tente pour me sortir mon portable des mains.

Je me résigne à le suivre en silence, en trainant des pieds. Max nous regarde monter dans la voiture sans réagir.

Le silence est pesant. Paulo conduit nerveusement jusqu'à la première pharmacie du front de mer dans laquelle il me pousse pour m'acheter deux genouillères et des cachets pour les extinctions de voix. Puis au lieu de repartir, il prend le chemin de la plage. Je descends tant bien que mal les escaliers derrière lui. Il est encore tôt. Il n'y a pas grand monde sur les galets de Nice pour se baigner. Paulo attrape quelques cailloux dans sa main et fait des ricochets. Il n'y a quasiment pas de vagues. Tout est calme et il fait déjà très chaud, facilement trente degrés alors qu'il n'est pas encore dix heures. Je retire mon T-shirt pour me mettre torse nu et je m'assois par terre. Paulo qui est en maillot retire ses chaussures.

— Viens te baigner, me propose-t-il en mettant les pieds dans l'eau.

Je lui fais signe que non. Il soupire et fais demi-tour pour s'assoir à côté de moi.

— Tu fais vraiment chier, Tonio !

Je fais tourner la poche de la pharmacie entre mes genoux, laissant le silence peser sur mon frère. Il se frotte le visage en soufflant. On ne peut pas se comprendre tous les deux. On ne ressent pas la même chose. Il ne sait pas qu'être abandonné laisse une blessure en soi irréparable. Il ne sait pas que le manque maternel me ronge, que je me force à l'enfouir mais qu'il revient toujours, que chaque évènement m'inquiète et me ramène à cette blessure. Il ne sait pas qu'il va me manquer, lui, mon frère. Que je ne veux pas voir sa chambre vide à mon retour de vacances, qu'il ne sera plus là quand j'ai le cafard, que je ne pourrais plus aller me réfugier à côté de lui, peu importe l'heure du jour où de la nuit.

— Mcdo m'a embauché pour tout le mois d'août et après, en horaire aménagé à la rentrée !

Paulo tente de se justifier sur son prochain départ. Il sait, comme moi, qu'au final la date n'y change rien. Nous sommes arrivés au bout d'un chemin où chacun va continuer seul. C'est toujours quand on perd les gens qu'on réalise qu'on les aime.

— Tu veux pas prendre un truc pour ta gorge parce que j'en ai marre de faire la conversation tout seul !

Machinalement, j'ouvre la poche pour sucer une pastille sous le regard perdu de mon frère.

— Écoute Tonio, je peux pas t'emmener à Ibiza. T'es mineur ! Tu peux comprendre ça, oui ou non ?

— Tu piges vraiment rien ! je lui réponds avec un filet de voix cassé.

— Explique-moi !

Mais je ne sais pas quoi lui dire. J'ai peur de paraître idiot, qu'il me prenne pour un sale gosse égoïste qui fait sa petite crise existentielle. Je suis pas le premier qui a perdu sa mère, je ne serai pas le dernier. On se remet de tout dans la vie. Mon frère se barre et alors ? Je ne vais pas vivre avec lui jusqu'à la fin de mes jours. Au final, tout est normal, pas vrai ?

Je tente de me lever en disant :

— C'est bon, laisse tomber !

Mais Paulo appuie sur mon épaule et m'oblige à rester assis. Je n'ai aucune force dans mes jambes et je me laisse retomber sur le sol.

— Je laisse pas tomber, continue Paulo calmement. Tonio...

— Arrête, putain !

Sa main n'a pas bougé de mon épaule et j'essaie de me dégager mais elle reste fermement accroché à moi. Il remonte même jusqu'à ma nuque pour crisper ses doigts dans ma peau.

— Je sais que c'est pas facile tous les jours, mais le vieux s'est calmé et Max est vraiment cool ! Tu devrais parler avec lui plutôt que l'emmerder tout le temps ! En plus, je suis pas loin ! Les grands-parents déménagent en fin août. Il y aura de la place pour tous les trois dans le nouvel appartement à Bordeaux, tu pourras venir le week-end ! Et le téléphone, ça existe, même si tu n'appelles jamais personne.

La poche de la pharmacie glisse de mes doigts pour tomber sur le sol. Il me fait chialer, ce con. Je m'essuie les yeux rapidement pour ne pas qu'il s'en aperçoive et je regarde droit devant moi. Loin. Je ravale les sanglots qui commencent à monter.

— Demain soir, on part fêter tes quinze ans tous les trois ! Je vous emmène à Cannes. T'as intérêt à mettre tes putain de genouillères car tu vas ramper tellement tu seras bourré ! On fera nuit blanche !

Je souris en nous imaginant déjà tous les trois ivres dans les rues de Cannes. Paulo serre ses doigts sur ma nuque et me met une tape sur la tête.

— Dire que y a pas si longtemps je te faisais des câlins. Putain, t'as grandi trop vite, merdeux. Tu vas me dépasser si tu continues.

Il se lève et me tend la main pour m'aider. Mes genoux me font mal mais Paulo ne sait pas à quel point il m'a fait du bien. Nous nous faisons face. Presque prêt à nous prendre dans les bras une dernière fois. Puis, non. Je lui tourne le dos. Juste par pudeur. Par peur de m'effondrer sur son épaule. Une dernière fois avant une nouvelle vie loin de lui. Nous rentrons apaisés par ce moment où tout est maintenant plus clair pour moi.

Dans l'après-midi, Paulo part courir seul avec Max. Je me suis toujours demandé ce qu'ils pouvaient bien se dire tous les deux. Si leurs échanges étaient plus pertinents que les miens. Si c'est moi qui ne sait pas leur parler.

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