Chapitre 26

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Je sais à quoi pense Paulo en préparant sa séance de Ouija : à tout ce qui nous arrive dans la maison depuis deux ans et que nous ignorons complètement, comme par exemple les cadres photos qui se décrochent des murs, le pare-brise arrière de la voiture de ma mère qui explose dans le garage, des verres que l'on retrouve éclatés au petit matin ou encore de tous les bruits inexpliqués et de cette sensation de présence parfois oppressante. Même mon vieux a pris peur un jour et a décidé de faire intervenir le curé qui a soit-disant béni la maison. C'est vrai que durant un certain temps, à notre plus grand soulagement, tous ces phénomènes ont complètement disparus.

Puis, petit à petit, certains indices ont laissé entendre qu'elle n'était pas partie, peut-être que tout simplement elle était cachée ou endormie. Maintenant, je sens sa présence, parfois douce et parfois torturée. Je n'ai pas peur d'elle. Je ne la perçois pas menaçante mais comme tout ce qui est inexplicable, cela crée en moi un profond malaise. Et surtout cela me perturbe émotionnellement car cela relance beaucoup de questions restées en suspens sur sa mort. Oui, si on m'interrogeait sur ce qu'il se passe chez moi la nuit, je répondrais que l'esprit de ma mère erre dans ma maison...

Le tonnerre gronde encore et me sort de mes songes. Jenny est en train d'écrire les lettres de l'alphabet sur une feuille blanche, pendant que Max cherche un verre en cristal. Paulo a installé le guéridon de mon arrière-grand-mère à la place de la table basse du salon.

Je me contente d'allumer le grand chandelier en argent en songeant que ce n'est pas une bonne idée. Le curé a dit de laisser les morts reposer en paix et je ne veux pas troubler le repos éternel de ma mère.

— C'est bon, tout est prêt ? m'interroge Paulo.

Tout le monde s'est assis en cercle autour de la vielle table aux trois pieds bancals. La planche de ouija improvisée est en place, éclairée du cierge de ma communion. Je viens de le retrouver dans un placard avec un cadre horrible que je tends à Nina.

— Speed, c'est toi en photo de communiant ? interroge-t-elle.

— Non, c'est Max !

Max fait la grimace et arrache la photo des mains de sa crush et fonce la ranger où je l'ai prise. J'éclate de rire en repensant à sa façon de se tenir dans son aube immaculée et à son sourire fier qui affiche ses bagues.

— Oh, putain ! Max ? l'interroge-t-elle ahurie.

— Une bonne tête d'abruti ! je commente.

— Bon Speed, c'est bon ? me tacle Jenny impatiente de commencer.

Putain, ça y est, elle va me saouler, la commandante en chef ! Elle change pas celle-là, toujours aussi dictatrice. Je sais pas comment Dylan arrive à la supporter depuis tout ce temps...

Nous nous avançons tous pour être au plus près de la table. Le verre est à l'envers, au milieu, et nous plaçons nos doigt au dessus du cristal sans le toucher.

— Qui a déjà fait ? demande Jimmy qui recrache la fumée de son joint dans son dos.

À priori personne... On est bien barrés !

— Bon, je vais poser les questions, annonce Paulo. Chut, on se concentre et on fait silence.

Personne ne parle. Jimmy qui est à côté de moi veut me passer son joint. Merde, j'ai mon index gauche sur le verre. Je tente d'attraper le pétard avec ma main droite, mais loupé, je fais tomber le pétard sur le tapis. En bon gaucher, je ne sais rien faire avec mon autre main !

— Putain, Speed ! râle Max en soufflant.

— Rho, ça va ! Attendez, je change de doigt !

Tout le monde éclate de rire. Je pose mon doigt droit sur le verre et je ramasse le joint qui a fait un trou dans le tapis. Putain, je suis bon pour le cacher avec la table basse.

— Non, mais avec Tonio, c'est même pas la peine, se plaint Jenny qui me regarde faire.

J'ai coincé le pétard entre mes dents pendant que je rapproche ma chaise maladroitement d'une seule main pour pas sortir mon doigt du verre...

— C'est bon, il a changé de doigt, il va se tenir tranquille maintenant... me défend Jimmy.

Nous éclatons tous les deux de rire en pensant à ma courte expérience dans les bras de Jenny.

— Speed, ta gueule ! m'ordonne Paulo en se raclant la gorge.

Je tire sur le joint et je recrache la fumée en riant vers Jimmy. Tout le monde se tait. Les yeux rieurs de mon pote me font encore sourire.

— Chut, concentrons-nous... continue paisiblement Paulo toujours en se raclant la gorge. Esprit, es-tu là ?

Jimmy fait un grand oui de la tête et je pouffe de rire en le voyant faire.

— Putain, Speed ! Tu sors si tu peux pas la fermer ! se fâche Max.

— Je tousse, c'est bon ! C'est pas ma faute si le joint est trop chargé !

Jimmy continue de rire avec moi. La situation est tellement comique. Entre Paulo, Dylan et Max qui sont sérieux, Jenny et Nina qui ont le visage habité par la peur et Jimmy et moi qui n'avons qu'une envie : rire.

— On fait une minute de silence pour se concentrer. Et je repose la question ! Fermez les yeux si vous pouvez pas rester tranquilles...

Plus personne ne bronche. Tout le monde ferme les yeux même Jimmy. Je n'ai plus personne pour deconner !

— Esprit es-tu là ?

Tout le monde ouvre les yeux pour fixer le verre qui ne bouge pas quand le tonnerre gronde brutalement. Aussitôt, nous échangeons tous des regards inquiets...

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