Finalement, j’ai aucun regret. Je suis même mort de rire en ce qui concerne Whitney. Putain, je l’ai eue et bien comme il faut ! La nouvelle s’en remettra, je ne suis pas inquiet pour elle. En revanche, à présent je me retrouve dans un groupe de TPE avec elle et c’est Marion qui va pas être contente. D’autant plus qu’elle m’avait parfaitement mis en garde, comme si elle avait deviné l’issue de cette histoire. Maintenant, ça promet ! Et pas question d’en changer, j’ai déjà fait tout un foin en début d’année pour pouvoir être avec Marion…

Je suis assis tout seul en fond de classe. Évidemment, la nouvelle ne me parle plus et Marion la soutient. En plus, je suis d’humeur massacrante ! Mon vieux est rentré tout guilleret de son week-end et savoir qu’une autre femme que ma mère puisse le rendre heureux, me brise le cœur.

Je me suis fait viré de cours trois fois aujourd’hui. À la première heure, j’ai répondu à mon prof de maths qui me demandait de me taire. À la deuxième, j’ai fait un croche-patte à Jimmy qui allait présenter un truc au tableau, du coup, il s’est cassé la gueule. Pour finir, j’ai tatoué mon voisin de devant au marqueur indélébile. Je ne comprends pas pourquoi le prof rage et m’engueule. Ethan était pleinement consentant. Bon, j’avoue qu’il m’avait commandé un tribal et qu’il a fini avec une bite donc il était pas très satisfait du résultat. Mais merde, ce sont les risques du métier !

Une fois de plus, j’échoue chez le CPE.

Il ne faut pas croire que ça l’énerve ! Non, il en profite pour me filer un coup de pression sur mon orientation. Il met un point d’honneur à me présenter toutes les options de grandes écoles exceptionnelles alors que moi, j’en ai strictement rien à foutre précisément en ce moment.

Dans ses étagères, il récupère mon dossier qu’il remplit au crayon à papier et le pose devant lui.

Pour moi, l’an prochain a pour unique signification le départ de Paulo et par conséquent, ce sera la porte ouverte à tout pour mon père. Il pourra ramener sa meuf et sa marmaille à la maison si ça lui chante. Max n’ose rien lui dire et moi, j’ai beau lui envoyer de la merde à la gueule, il n’en tient jamais compte. Alors l’avenir lointain, je lui pisse à la raie !

— J’ai un problème avec votre dossier, dit Monsieur Boulain en attrapant sa gomme.

Je soupire et m’enfonce dans ma chaise. Quand il commence comme ça, j’en ai pour un moment.

— Quoi ?

— Il y a trois mois, vous désiriez faire Sciences Politiques…

Il sort ses lunettes et me fixe, en attendant que je me décide à lui répondre.

— C’était les élections présidentielles, je souhaitais créer mon parti politique…

J’avais eu de trop bonnes idées ! Je voulais faire un parti centriste basé sur l’environnement. Après tout, on ne peut pas vivre sans la nature et c’est notre devoir de le préserver. Je me serais d’abord occupé des centrales nucléaires et j’aurais entrepris une étude pour trouver des solutions alternatives d’urgence. Ensuite, j’aurais travaillé sur les économies d’énergies et la pollution. Puis le développement de l’agriculture biologique. Ces sujets auraient été mes priorités. Les thèmes secondaires auraient été la protection intérieure du pays à cause des menaces terroristes. J’aurai formé les plus jeunes et relancé l’armée pour les volontaires. Puis j’aurais sévi sur les statuts des prisonniers pour favoriser les conditions de vie des gens dans les hôpitaux ou les personnes âgées en maison de retraite. Mon dernier point aurait été la révision de la sécurité sociale où je me serais occupé de couper le droit au remboursement des soins aux individus qui ne souhaitent pas arrêter de fumer ou de boire…

— Et vous ne voulez plus ?

— Non, je dis en haussant les épaules.

Finalement, me battre pour défendre mes idées, je fais ça tous les jours. Ça finit toujours par me porter sur les nerfs car je ne sais pas garder mon calme !

Le CPE remet ses lunettes en faisant une moue et continue d’éplucher mon dossier.

— Ensuite vous avez envisagé HEC ? s’arrête-t-il à nouveau.

— Ah non, mais ça c’était quand y a eu le scandale Lactalis, j’avais vu le salaire du gars qui parlait à la télé, le président… Il gagnait bien sa vie, mais ça m’intéresse plus !

Putain, il va pas me faire la chronologie de toutes mes élucubrations ? J’en ai pour l’après-midi ! J’espère ne pas louper la récré, j’ai plus que besoin de me défouler à l’extérieur et de prendre l’aire ! En ce moment, on fait des tournois de ping-pong, je veux pas laisser ma place.

— Ensuite vous avez songé à une école d’ingénieur pour être océanographe ?

— J’avais vu un reportage sur un navigateur qui faisait le tour du monde en bateau et comme je surfe et que j’aime bien l’océan… mais en fait, non ! J’ai plus envie !

Je l’avais oubliée celle-là ! Je me retiens de rire. Mon CPE passe son temps à gommer les lignes dans le tableau d’orientation de mon dossier de vœux post-bac. Si ça continue, il va faire un trou dans la feuille qui est déjà chargée en blanco.

— Votre lubie d’être CPE, je ne l’ai pas prise au sérieux…

— Ah, mais si ! C’est vachement bien ! Entre les vacances scolaires et les grèves, moi je veux bien étudier cette voie !

— Et vous n’avez pas une option de secours, parce que pour être CPE il faut de la patience, de la diplomatie et une grande passion…

— J’ai le hobby des vacances, ça me permet de surfer !

La sonnerie retentit, je lève un regard désespéré vers Monsieur Boulain qui pousse un grand soupir et me fait signe de la main de débarrasser le plancher.

— Les récréations aussi, c’est votre passion ! lance-t-il dans mon dos. Et pitié, tenez-vous tranquille pour le dernier cours de la journée !