Chapitre 2 - 1160 -

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Après avoir énuméré tous les délits qu’il nous reproche, le CPE retire ses lunettes et les pose délicatement devant lui sur son bureau. Max, droit sur sa chaise, est en train de jouer avec un bouton de son polo bleu. Il est nerveux, normal, c’est une première pour lui d’être convoqué ici. En plus, il a le cœur brisé depuis qu’il a quitté sa Hollandaise. Si le CPE le secoue un peu trop, il est capable de chialer, vu la tête qu’il arbore en ce moment. Il pince ses lèvres épaisses et affiche une mine de chien battu.

Je commence à m’impatienter, j’ai envie de connaître la sentence rapidement. Je soupire un brin trop fort et tout le monde se tourne vers moi. Ça me fait sourire, mais je me ravise vite en croisant le regard de mon vieux qui est noir de colère. Il a pas intérêt à me saouler celui-là, c’est le premier de ma liste qui va s’en prendre plein la gueule aujourd’hui.

Il s’est déplacé jusqu’au lycée en tenue de travail, c’est-à-dire avec son treillis et ses chaussures de sécurité pleines de terre. En regardant par terre, je me rends compte qu’il a laissé ses empreintes sous sa chaise. Il y a de la boue séchée partout où il est passé.

— Tu en penses quoi, Tonio ? m’interpelle le CPE.

Qu’est-ce qu’il veut encore, putain ? J’ai chaud ! Je vais partir de son bureau, voilà ! J’en peux plus. Il y a une partie de ping-pong qui m’attend dehors et si ça continue je vais louper la récré.

— Tonio ? insiste l’homme aux cheveux grisonnants.

Il joue avec les branches de ses lunettes pour essayer de paraître décontracté.

— Oui oui, c’est bien ! je lâche sans savoir de quoi il parle.

Tout le monde écarquille les yeux dans ma direction alors que je m’enfonce dans ma chaise. J’ai dû dire une connerie vu la tête que mon frère me tire. Par-dessus le marché, mon portable n’arrête pas de vibrer dans ma poche et ça me déconcentre. Je n’écoute rien, j’en veux à mon vieux, cet enfoiré assis à côté de moi, à cause de son attitude envers Paulo. Je pense à ce dernier qui est défoncé et à ma mère qui n’est plus là pour nous extraire de cette galère. J’ai mal au fond de moi, tout ce que j’ai enfoui remonte pour m’étouffer. Je n’arrive plus à respirer et je suffoque dans cette pièce trop fermée. Je n’ai qu’une envie : sortir pour prendre l’air et oublier tout ça.

— Plus aucun voyage scolaire pour vous deux, un renvoi de quarante-huit heures et une lettre d’excuse à adresser aux deux professeurs qui vous accompagnaient… Compte tenu des excellents résultats de Max et Tonio, je ne convoque pas de conseil de discipline. Tonio, j’espère que je ne le regretterai pas parce que depuis le temps que je freine les professeurs sur cette décision, je ne te cache pas que là c’est la bêtise de trop. Et on sait tous les deux qu’une telle sanction dans ton livret scolaire pourrait briser tes espoirs d’entrée aux grandes écoles.

S’il savait ce que je m’en fous de ses ambitions pour mon avenir. Le téléphone sur son bureau sonne et interrompt notre CPE. Celui-ci regarde le numéro qui s’affiche avant de répondre en s’excusant.

— Oui…

Il lève les yeux vers mon père et se passe la main dans les cheveux en faisant une grimace.

— Vous avez bien fait, je garde Monsieur Arand cinq minutes de plus… on a fini, de toute façon… merci !

Il raccroche puis soupire fortement en arquant les sourcils. Je pense aussitôt à Paulo. Y a une merde avec lui, c’est obligé !

— Nous en avons terminé. Vous pouvez repartir en cours, lance le principal. Monsieur Arand, je dois vous garder pour régler un autre problème…

En même temps que Max, je me lève pour sortir en ignorant mon père qui trépigne de colère. Lorsque j’ouvre la porte, la première personne que je vois est Paulo, avachi sur une chaise. Il presse un Kleenex plein de sang sur son nez. Pas besoin d’explication, je comprends qu’il s’est battu. Putain, ça va chier pour lui et pour nous trois ce soir…

La cloche sonne annonce la fin de la récréation, nous rejoignons rapidement notre classe sans échanger un mot. Sachant pertinemment que je suis dans la ligne de mire des professeurs, je me tient tranquile le reste de la journée.

Plus tard dans le bus du retour, je prends des forces auprès de la nouvelle. Je suis affalé sur elle, et dans ses bras, j’oublie presque ce qui m’attend en arrivant chez moi. Elle me caresse la nuque pendant que je consulte mes réseaux. Pas question de m’en faire pour le renvoi quant à mon vieux, je suis prêt à le rencontrer de pied ferme.

— Tu viens dormir chez moi, ce soir ? je propose à Julie en souriant.

— Vendredi si tu veux, mais pas en semaine ! Mes parents voudront jamais !

C’est chiant les parents ! Marion qui est assise sur le siège juste devant se retourne. Elle a l’air embarrassée depuis ce matin. Si c’est parce que je suis collé à la nouvelle, il va bien falloir qu’elle s’y fasse !

— Tonio, faut que je te parle… me dit-elle lorsque le bus se gare à notre arrêt.

En descendant, je galoche à grands regrets une dernière fois Julie pour la soirée. Marion, le regard inquiet et le visage fermé, attend patiemment que je termine et rien que pour l’embêter, je prends tout mon temps.

Max et Paulo sont rapidement rentrés chez nous. Contrairement à eux, je ne suis pas du tout pressé, d’autant plus que la voiture du vieux est garée devant la maison…

Lorsque je lâche enfin Julie, Marion s’avance pour s’excuser auprès d’elle de devoir me parler seul à seule.

— Je suis désolée mais c’est vraiment important !

Elle dit ça sans colère, presque avec fragilité. Elle semble inquiète et j’en souris parce que je suis persuadé qu’elle va finalement m’annoncer qu’elle a réfléchi à notre sujet.

— Je comprends, pas de soucis, lance la nouvelle qui pose un dernier bisou sur ma joue alors que je ne quitte plus Marion des yeux.

Je suis prêt à entendre ce qu’elle veut me dire. Évidemment que je larguerai la nouvelle immédiatement si Marion l’exige ! Nous nous asseyons côte à côte sur le banc de la place du village, face à nos maisons respectives.

— J’ai un truc vraiment très important à te dire et j’y ai pensé toute journée…

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