Chapitre 1 - 1149 -

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En marchant dans le couloir qui mène au bureau du CPE, Max et moi tombons sur Paulo. Je le reconnais de suite, derrière la vitre du corridor. Il erre avec nonchalance dans la direction opposée à la nôtre. Il a le visage fermé et le regard triste et ça réveille en moi la révolte qui avait presque disparu ces derniers mois. J’en veux à mon père de manquer de considération envers mon aîné, de le rabaisser continuellement, car il n’a pas eu son bac, de le lui reprocher toutes les trois minutes et de tout simplement le traiter comme de la merde.

— Y a Paulo ! je signale à Max en lui tapant dans le ventre.

Il s’arrête pour regarder l’heure sur son portable alors que moi je n’hésite pas une seconde pour faire demi-tour et rejoindre mon grand frère.

— Speed, on va être à la bourre ! On verra Paulo en sortant ! hurle Max.

— Rien à battre !

— Oh putain, t’es chiant, merdeux !

Je cours vers l’extérieur, poursuivi par Max qui râle contre moi, car le CPE nous attend. Je remarque de suite que Paulo n’est pas dans son assiette. Il porte un vieux jean's troué au genou et il n’est ni rasé ni coiffé. Les lacets de ses Converse sont défaits et j’ai l’impression qu’il est encore bourré de la veille. En arrivant face à lui, je m’arrête net tandis qu’il arque un léger sourire embarrassé. Max s’approche pour lui faire la bise pendant que je reste en retrait.

— Dis pas bonjour, branleur ! me reproche mon grand frère en s’avançant vers moi.

Je recule aussitôt d’un pas. Il croit quand même pas qu’on va s’étreindre tendrement et encore moins dans la cour devant mes potes. Je déteste dire bonjour à cause du contact physique que ça engendre, sauf peut-être avec certaines filles, je l’admets. Mais merde, j’embrasse pas les mecs, même si ces gars sont mes frères…

— Ouais ! je lui réponds sur la défensive.

Je sens des regards posés sur nous parmi les élèves. La disparition de Paulo a dû faire le tour de l’école, comme mes frasques à Londres. On est observés et je suis mal à l’aise, mais cet abruti de Paulo insiste.

— Fais-moi la bise, merdeux !

Il va pas me lâcher avec ça, je le connais. Je m’avance vite fait pour lui tendre la joue. Il pose tendrement sa main sur ma nuque puis colle son front contre le mien. Tandis que son regard me transperce, je devine qu’il sait ! Il a toujours été présent pour moi à cette date. Ses doigts me serrent un peu plus fort quand il sent que je veux fuir. Il n’a pas besoin de me parler, son retour et son affection intacte me suffisent à me réconforter.

Il finit par me mettre une tape sur la joue sans me quitter des yeux. Putain, il m’énerve à tout flairer. Je me dégage sans l’embrasser. Il me lâche et titube en jetant un coup d’œil vers Max avant de lancer avec amertume :

— C’est pas parce qu’elle est morte qu’on doit pas penser à son anniversaire !

Voilà, il l’a dit ! Son attitude et ses paroles me confirment que Paulo est vraiment défoncé. Max lève un sourcil et déglutit pendant que nous échangeons un regard discret. Si je pouvais disparaître vingt pieds sous terre à cet instant, je le ferai. Il se passe un truc pas clair : c’est pas le genre de Paulo de se mettre dans cet état dès le matin. Il a les yeux tellement explosés qu’un gosse de trois ans s’en rendrait compte.

Ça me fend le cœur de le voir comme ça. Je ravale mes larmes et serre les poings. Mon frère a le regard triste et nous sommes chargés de la même peine. Cette blessure cicatrisera-t-elle un jour ? Probablement pas…

— Bon Speed, on doit y aller ! m’interrompt Max pendant que je dévisage encore Paulo.

— Tu rentres à la maison, ce soir ? je demande sans prêter attention à Max qui trépigne d’impatience.

Ma question surprend Paulo qui hausse les épaules en regardant devant lui. Sa ténacité à fixer loin en avant m’intrigue et lorsque je me retourne pour voir ce qui l’attire, je découvre mon père qui attend calmement qu’on vienne le retrouver. Les deux s’affrontent et je n’ai pas besoin que Paulo m’explique que c’est à cause du vieux s’il est encore parti.

— Speed ! insiste Max.

Autour de nous, plus personne ne nous accorde d’attention et pourtant la scène est digne d’un arrêt sur image de film. Au milieu des cris des élèves qui chahutent pendant la récréation, Paulo finit par nous dire :

— Allez-y sinon, il va être vénère…

Il enfonce ses mains dans ses poches et jette un dernier regard provocateur à mon père avant de tourner les talons pour retrouver son groupe d’amis. Max rejoint notre vieux pendant que je braille dans le dos de Paulo :

— À ce soir, ducon !

Il me répond par un doigt d’honneur puis remonte son jean's qu’il perd, car il n’a pas mis de ceinture. C’est la première fois que je m’inquiète pour quelqu’un. J’ai soudain peur qu’il disparaisse lui aussi, qu’il se fasse du mal, qu’il s’enfonce sur une pente dangereuse. Je me rends compte que je tiens à lui, bien plus que je ne peux l’admettre ou que je ne veux le montrer.

Il n’est pas bien et peut-être que ça ne date pas d’aujourd’hui. Peut-être que je n’y ai jamais prêté attention avant. Peut-être qu’il le cachait mieux jusqu’à maintenant. Je ne sais pas comment agir avec lui ni comment lui demander franchement ce qui ne tourne pas rond et ça me fait mal.

— Tonio ! appelle mon vieux désormais impatient.

Je me dirige vers lui en traînant des pieds. Nos rencontres avec le CPE sont toujours folkloriques, mais aujourd’hui je n’ai pas la tête à en rire. J’ai une boule au ventre, comme une bombe prête à exploser. Il ne faudra pas grand-chose pour que je sois hors de moi…

En arrivant dans les locaux de la vie scolaire, la secrétaire nous indique que le CPE nous attend. Mon père le visage fermé, les cheveux ébouriffés, dans son accoutrement de travail, ne nous adresse pas la parole. Froidement, il nous laisse entrer les premiers dans le bureau, avant de s’asseoir entre Max et moi. Il se tient raide sur sa chaise, prêt à tout entendre du costard-cravate agacé d’avoir poireauté depuis un long moment.

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