Monseigneur Consumeri - 3° partie

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Il fit face à nouveau au public, accompagnant son discours de grands gestes.

— J’apprends aussi que, lorsque deux royaumes se font la guerre, les prêtres de chaque nation bénissent leurs propres armées afin qu’elles remportent la victoire. Deux camps prient le même Dieu de favoriser les siens au détriment du camp adverse. Auquel celui-ci doit-il répondre en définitive ? En somme, quel Dieu nous présentez-vous là, Monseigneur ? Un Dieu qui se plierait aux moindres désirs des hommes, bons ou mauvais ? Non ! Dieu ne peut être la caricature infame que vous nous présentez, vous et vos sbires, depuis des siècles !

Krys marchait maintenant le long des premiers bancs, prenant à parti chacune des personnes présentes.

— Vous comprenez ? Votre religion d’origine a évolué, recouverte de strates diverses dont chacune a pour fonction d’avantager les catégories aisées et leur apporter la légitimité qu’ils supposent mériter. Si les fondations sont saines, ce qu’on a construit par-dessus est inique et mensonger. Deux systèmes s’opposent, ce qui explique ce nombre incalculable de contradictions que vous avez à supporter aujourd’hui.

Suite à cette accusation, il lui fallait temporiser.

— Si j’ai choqué quelqu’un dans cette assemblée, qu’il le fasse savoir. Je suis prêt à revoir mon jugement si vous m’en convainquez.

Des regards tournés vers lui, il en repéra de toutes sortes, des vaincus, des convaincus, des sceptiques, des mécontents.

— Il est dans la nature de l’homme de chercher sans cesse son intérêt partout où le vent le porte. Mais, pour éviter le jugement, il lui faut corrompre. La religion fait travailler sa conscience ? Il adapte la première pour museler la seconde. Dame religion enseigne aux masses ? La royauté se marie avec elle pour la transformer à son image et gagner en influence. De cet ensemble d’intérêts, nous héritons. C’est la vision faussée, que nous avançons.

Sara ne faisait pas seulement face au prélat, elle avait devant elle les gens du peuple. Bien des têtes opinaient, sans doute entraînées par la sienne, car Krys venait de survoler des siècles de comportements et manipulations de toutes sortes dont la plupart estimaient avoir pâti. Par cette dernière tirade, il justifiait son propos et, subitement, tout devenait clair pour l’âme assoiffée.

En tout cas, cela le devenait pour elle. Elle allait devoir se demander comment de telles contradictions ne lui étaient pas apparues d’elles-mêmes. Son siège grinçât. Krys, qui tardait à reprendre la parole, s’adressa à elle.

— Princesse ?

Sara leva la tête. L’ancien gladiateur avait lancé le débat. En tant qu’étranger à cette terre et à ses coutumes, son opinion, tout génie qu’il était dans la guerre, avait toutes les chances d’être rejetée par le plus grand nombre. Qui pouvait s’attaquer aux croyances centenaires ? Il avait besoin d’un appui intérieur. Elle serait cet appui.

Transportée par l’importance du message, elle se leva et, comme dotée d’une énergie nouvelle, affirma d’une voix claire :

— J’ajoute qu’il est tout autant dans la logique des choses qu’il ait fallu un regard extérieur pour nous révéler nos contradictions. Je suis comme vous. Qui peut s’attaquer à notre religion ? J’aurais envie de dire : personne ! Mais je n’ai rien à répondre à ce qui vient d’être dit. Pourquoi n’ai-je rien à répondre ? Au contraire, j’ai l’impression de sortir la tête de l’eau, de respirer enfin un air plus pur. Krys a raison : qui se comporterait comme l’être que notre religion nous présente ? Il y a du bon et du mauvais dans ce que nous croyons. Or…

Elle prit une grande respiration.

— Or nous croyons dès notre naissance que la religion est bonne, qu’elle ne peut rien contenir de mauvais.

Obéissant à l’ordre impérieux de soutenir son ami, consciente de son rôle, elle continua :

— Ne restons pas murés dans la peur de l’inconnu comme il nous arrive trop souvent, à rejeter les nouveaux venus comme s’ils charriaient la peste. Krys et les siens ne nous ont pas seulement apporté la victoire, mais aussi l’acuité d’un regard neuf. Profitons-en pour reconsidérer nos positions, ces interrogations nouvelles le méritent. Je propose que nous constituions un groupe de réflexion dans le but d’en tirer des conclusions qui portent à vérité. J’en ferai partie, le commandeur aussi, et tous ceux qui le voudront. Qu’il en soit ainsi, car nous ne pouvons pas laisser un thème de cette importance stagner en eaux troubles comme aujourd’hui.

Médusée, l’assistance se tint coi. Une telle autorité, de la part d’une simple princesse, sans pouvoir ni responsabilités… On aurait pu penser que ni sa fonction ni son jeune âge ne lui permettrait de pérorer sur un domaine aussi singulier, cependant, en tant que dernière représentante de la royauté, qui l’en empêcherait ? Son ami avait besoin de son soutien et elle venait de lui apporter.

Le commandeur allait-il la contredire ? Deux mains claquèrent dans les rangs de la noblesse. Lorsque maître Mopin remarqua la prise de position de son fils, il se leva avec lui. André Champenois, accompagné de ses ménestrels leur emboîtèrent le pas. Krys, abasourdi, applaudit, puis Soline, l’ensemble des siens, et finalement, toute l’assemblée réunie se leva dans les applaudissements.

Les sourires illuminaient de nombreux visages. Le duc de Sandre, très réticent au départ, emporté sur le tard par l’enthousiasme général, décida en lui-même de participer jusqu’à la décision finale. Après tout, qu’avait-on à perdre à débattre ? Le débat représentait une bonne idée.

Attirée par le bruit, Sara avait tout d’abord remarqué Francis se lever et lui avait souri ; elle avait été ensuite charmée par la réaction des nobles, mesurée au départ, volontaire ensuite, puis, dans un mouvement tournant, elle avait croisé le regard de Krys. La fixait-il depuis son allocution ? Elle lui avait, en quelque sorte, volé la vedette et, peut-être, lui en voulait-il ? Non, elle lut sur son visage son admiration. Son propos consistait à donner une suite à ce rassemblement, à lui permettre de concrétiser son discours, à lui donner forme. Sa proposition avait guidé les nobles dans son camp, pour le moins, en apparence.

Korynn aussi avait été charmée. « Les enfants, on a gagné une reine ! prédit-elle à ses voisins. » Non loin, Soline avait remarqué les longs regards que s’étaient portés ses deux amis. Un sentiment indéfinissable la troubla. Une certitude toutefois, la longueur de cet échange démontrait qu’ils ne s’étaient pas concertés.

Krys, qui avait décidé d’en terminer aujourd’hui même, accepta l’idée d’en débattre. Un seul exposé ne pouvait ensevelir à lui seul un système de croyance depuis longtemps établi. Et, même s’il n’avait pas réussi à convaincre, au moins chacun aura remarqué sa volonté de réaliser un pas vers leur religion.

Il conclut en entérinant la proposition de la princesse et invita le public pour une collation dans la salle attenante.

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