Monseigneur Consumeri - 1° partie

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Le lendemain de l’ultimatum lancé par la princesse aux Grands du royaume, le prélat Ordi Consumeri avait été maintenu en résidence surveillée dans l’appartement du ministre déchut. C’est sous bonne escorte que, quelques jours plus tard, on l’amena au centre du tribunal royal.

Par bonheur, dans cette salle qui se remplissait rapidement, on le plaça bien en vue, loin du banc des accusés. Sur les côtés, les sièges sur trois niveaux trouvaient rapidement preneur. Les personnages importants prenaient place sur sa droite alors que sur sa gauche, une population moins soucieuse de son apparence se regroupait. Derrière lui, clercs, scribes et autres notables se mélangeaient. Certainement devait-il s’y trouver aussi quelques ménestrels.

Aux bruits de placement succéda le brouhaha des échanges. La bonne humeur ambiante l’incita à s’apaiser. Le duc de Sandre avait préféré la compagnie de maître Mopin plutôt que celle du comte Lucien Masori. Bon ou mauvais présage ? Difficile à dire. Gauthier, le général, qu’il connaissait de vue comme de nom, se trouvait au milieu de la première rangée sur sa gauche, accompagné d’officiers. D’honorables personnes se trouvaient ainsi mélangées au tout-venant. Ces derniers seraient-ils les compagnons du régicide ? Lui, Gauthier, qui a apporté son soutien au nouveau gouverneur jusqu’à renverser le roi, leur était maintenant assujetti !

Il salua d’un signe de tête, sur sa droite, nombre de ceux qui étaient présents lors des réunions de ralliement. Depuis, assigné à résidence, il ne pouvait qu’espérer qu’ils demeurent dans les bons sentiments qu’ils lui exprimaient initialement.

Un individu approcha avec deux sièges en chêne massif qu’il plaça face à lui. Ainsi, il aurait deux interlocuteurs. Derrière ce personnage arriva la princesse. D’un geste, l’homme proposa à celle-ci de prendre place. S’agirait-il du gouverneur ? Probable, eut égard à son habit et son jeune âge. Toujours jambes nues et outils en mains de réputation, il apparaissait cette fois vêtu d’une livrée somme toute correcte. L’homme n’appréciait ni les cérémonies fastueuses ni les extravagances de cour, une évidence lorsqu’on connaissait ses origines. La princesse à ses côtés lui apportait de fait une légitimité qu’il ne méritait en aucune façon.

Ainsi, voilà à quoi ressemblait le tueur de roi… Il aurait préféré le rencontrer en d’autres occasions. Le chef d’un groupe de jeunes gens de moins de trente ans… Sans doute appelaient-ils cela gouverner. Sans doute consultaient-ils l’homme d’église pour se donner de l’importance. Ils pourraient de la sorte annoncer au monde entier qu’ils avaient échangé avec Monseigneur Consumeri, alors qu’en réalité, ce dernier avait agi sous la contrainte.

Celui qu’on appelait le commandeur tapa dans les mains. Le silence se fit d’or.

— Chers concitoyens, messieurs les ministres, monseigneur, comme vous le savez, j’ai grandi chez les Galiens après avoir été enlevé enfant. Nous résidions dans ce qui fut le royaume voisin du vôtre avec pour frontière commune l’Isthme de Bladel.

Le regard sombre, le prélat opinait de la tête. Un jour funeste, un de plus, un royaume humain supplémentaire rayé de la carte. Cependant, des années plus tard, ces maudits Galiens eurent la mauvaise idée de laisser s’échapper un jeune prétentieux qui se présenterait à lui comme le prince de ce monde.

— Là-bas, point de Dieu unique, on en adore en réalité une multitude.

… ?

Ainsi donc, cette entrevue découlerait de sa fonction de prélat… Sans doute garderait-il la tête entre les deux épaules encore aujourd’hui ! L’homme de prière se redressa subrepticement.

— Nous avons vécu, mes compagnons et moi, sous influence polythéiste. » Puis, fixant l’homme d’église : « Monseigneur, c’est auprès de vous que je viens m’enquérir des qualités de votre foi, et ce, dans le but d’alimenter ma réflexion.

Quelle aubaine ! Oui, il était l’homme de la situation ! L’obligation de rester à demeure allait peut-être lui rapporter plus que la liberté. Cette auguste assemblée ici présente assisterait à la conversion du maître de ce royaume. Il prit une profonde inspiration.

— Rien n’est plus grand que le Dieu auquel nous croyons, mon enfant. En tant que roi des rois, nous ne pouvons que nous prosterner devant lui et acclamer sa grandeur. Il n’est pas seulement grand pour avoir créé l’univers, il l’est aussi pour le bien qui inspire nos cœurs.

— Ainsi donc, je peux croire en lui en mon cœur.

— Certes… Mais une confession publique est nécessaire pour entériner votre conversion.

L’ecclésiastique avait hésité, il ne pensait pas arriver si vite à cette conclusion. Un signe peut-être.

— Quel avantage tirerais-je d’une cérémonie ?

— Elle vous apportera d’immenses bénéfices. Tout d’abord, la reconnaissance de vos pairs. Ils vous considéreront plus aisément comme égaux.

— Est-ce là le bénéfice le plus important ?

— Sur cette terre, sans doute, oui. Et, dans l’au-delà, le salut.

— Donc, en réalité, je gagne sur tous les plans.

— Tout à fait. Vous avez tout à gagner à vous convertir, mon enfant.

— Je me convertis et je gagne ma place au ciel.

Tiens donc, un haut dirigeant plus soucieux de l’au-delà que de la gloire terrestre…

— Il s’agit du premier pas. On ne franchit pas la porte des cieux chargé de péchés. Il vous faudra faire pénitence.

Confessions et prières, détailla le prélat. Chaque acte délétère nécessite le pardon. La confession représente l’acte de regret. Les prières expriment combien l’intéressé rejette son acte. Plus lourde est la faute, plus longue sera l’intercession. C’est lors de la confession que le prêtre estime la durée de celle-ci. Tout au long de sa pénitence, le pécheur trouvera avantage à égrener ce fardeau au moyen d’un chapelet jusqu’à ce que la faute soit totalement pardonnée.

Si le pénitent ne dispose pas du temps nécessaire à sa complète mortification, il pourra faire dire des messes. Pour avoir fait don de leur vie au roi des rois, les prêtres bénéficient d’une prière efficace et on gagne à passer par eux. Les cieux s’en trouvent influencés d’autant.

Bien entendu, le prélat évita de mentionner l’importance pécuniaire des messes, car une partie des revenus de l’Église en dépendait.

L’ancien esclave avait préféré rester debout malgré la chaise qu’il avait amenée pour lui-même. Il parut soudain en grande réflexion, les deux mains sur le dossier de celle-ci.

— J’entrevois tout de même une faille dans votre discours, Monseigneur.

— De quelle nature ?

— Une fois arrivé au ciel, je serais n’importe qui. Or j’estime avoir droit, là-haut, à une place digne de mon rang sur terre.

Un peu de normalité dans un monde de sauvages, se rassura l’évêque.

— Et nous sommes en mesure de vous la garantir !

Les yeux du commandeur brillèrent. Il serait bientôt prêt. En comparaison, la princesse se révélait bien plus énigmatique. Lorsqu’il la regardait, par intermittence, beauté oblige, celle-ci ne cessait de le dévisager. Elle n’avait certainement pas l’habitude de se retrouver devant un homme de sa qualité.

— Que dois-je faire pour cela ?

— Beaucoup se construisent un mausolée, mais toujours, vous avez intérêt à donner généreusement.

— Et je donne à qui ?

— À Dieu, mon fils, à Dieu, bien sûr. En donnant à l’Église, vous donnez à Dieu et aux pauvres, car nous redistribuons.

— Mais… Est-ce tout ?

— Vous préparerez ainsi votre place au ciel. Faites dire beaucoup de prières pour vous. Plus on priera pour vous, plus vous serez prêt.

Il avait failli utiliser le terme « avantagé ». Un mot que les prêtres n’utilisaient qu’entre eux.

Sur ce, Krys s’enquit des critères utilisés par les hommes de prière pour estimer cette charge. Existe-t-il une loi divine qui institue un barème fiable ? À tel acte mauvais doit bien correspondre une charge de pénitence donnée, afin que l’estimation ne devienne aléatoire. Il lui fut répondu qu’aucun texte n’existait, d’où la nécessité de se fier aux prêtres. Par crainte que ceux-ci ne sous-évaluent la charge, mieux valait donner plus. Quoiqu’il en soit, tout converti atteindrait un jour les cieux. En cas de déficit de bonnes œuvres sur cette terre, il attendrait dans les limbes où seule la grâce divine – ou la prière des prêtres rémunérés qui lui ont survécu – pouvaient l’en délivrer.

Krys approuva de la tête. Par pure cachoterie. Il avait préparé cette entrevue. Pour avoir échangé avec plusieurs prêtres, aucun ne pouvait certifier à partir de quelle valeur de sacrifice le pardon était assuré. Eux-mêmes espéraient leur salut sans en être totalement persuadé. Ils faisaient ce qu’ils pouvaient et ensuite… il n’y avait plus qu’à attendre. À la grâce de Dieu, répétaient-ils.

En somme, en avait déduit Krys, il n’existait aucune certitude. Un converti accédait en principe au ciel, mais sans en connaître le moment. Des siècles de souffrance l’attendaient peut-être dans les limbes jusqu’à ce que la peine soit accomplie.

Dans l’ignorance des exigences célestes, mieux valait ne pas compter, ce pour quoi les riches s’en trouvaient réellement avantagés.

— Monseigneur, parlez-moi de votre Dieu.

Retour aux notions élémentaires. Rien d’étonnant avec ce type d’interlocuteur.

— Eh bien, il est le créateur de touches choses, de l’inerte comme du vivant. Il est bon, il aime les hommes et désire les sauver. La vie n’est pour nous qu’un passage durant lequel nous devons gagner notre place au ciel, lieu où il réside.

— Encore une fois, sur quels textes l’Église se fonde pour déclamer ces dogmes ?

— Nous les avons perdus, sire, depuis les fins fonds de l’Histoire. Nous ne savons ce qu’ils sont devenus.

— Alors pourquoi tant d’assurance de votre part ?

— La tradition orale, sire. De génération en génération, les hommes se sont répété ces textes.

— Dans ce cas, de quelles portions de texte sommes-nous absolument sûrs ?

— De très peu en réalité. Mais en voici un : "Aimez-vous les uns les autres", et : "Ne faites pas aux autres ce que vous ne voudriez pas qu’on vous fasse". Il y a encore celui-ci : "Soyez bons les uns envers les autres, pardonnez-vous réciproquement."

Krys nota que Soline, au premier rang sur sa droite, inscrivait ces bribes de texte sur son carnet. Il sembla réfléchir, un silence qui attira l’attention. Dans une rotation lente sur lui-même, il embrassa du regard le public.

— Messieurs dames, noble assemblée, je vous ai réunis en ce jour pour vous offrir les moyens de vous construire votre propre opinion. J’ai posé des questions volontairement naïves, voire intéressées, pour juger des fondations de votre foi.

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