Monseigneur Consumeri - 2° partie

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Une rumeur s’éleva des différents groupes constitués. Qui pouvait oser remettre en doute la Sainte Religion ?

— Et ces fondations sont excellentes. Votre Dieu est honorable et réclame toute notre attention.

Les visages s’éclairèrent. Point de nuages à l’horizon.

— Toutefois, un édifice a été bâti sur ces mêmes fondations, et celui-ci n’a rien d’honorable.

Le discoureur passa d’un visage dubitatif à l’autre.

— Ne le discernez-vous pas ?

Habile, estima Sara. Par cette simple question, chacun se retrouvait face à l’énigme posée. Dès ce moment, il profitait totalement de l’attention du public. Quant à elle ? Elle ne parvenait pas à répondre à la question.

— Monseigneur Consumeri m’a présenté deux êtres différents. L’un peut être considéré comme un père attentif. L’autre est austère et demande soumission. Il ne s’agit en rien d’une seule et même personne. Un père affligerait-il le fils qui vient lui demander pardon de trois à dix suppliques de l’heure, toutes sous forme de répétitions ? L’affligerait-il d’œuvres de pénitence et d’amendes ? La charge accomplie, le quitterait-il en le laissant dans le doute concernant son pardon ?

Un silence embarrassé affecta toute personne présente dans la salle. La princesse cherchait à juxtaposer ses croyances à la contradiction exposée. Bien entendu, un père n’agirait pas ainsi. Alors pourquoi… Mais Krys la coupa dans sa réflexion.

— Et si ce n’était que d’exiger des récitations sans cesse répétées… Quel père avantagerait un de ses enfants du simple fait des moyens dont celui-ci dispose ? La capacité à sous-traiter ses complaintes auprès de personnes plus saintes que lui en ferait-il quelqu’un de plus honorable ? Quel père comptabiliserait le nombre de phrases dites et leur accorderait plus d’importance si un personnel missionné les récitait à sa place ?

Gênée par cette évidence, Sara avait cessé d’observer les réactions du prélat. Même son père n’aurait jamais accepté qu’elle lui répète ses excuses en espérant qu’il finisse par les accepter.

Le commandeur se tourna vers les siens.

— Chacun se souvient ici que j’ai demandé s’il m’était possible d’obtenir au ciel une place digne de mon rang, c’est-à-dire supérieure à la vôtre ! Là-haut, l’argent semble faire le même effet qu’ici, et Monseigneur Consumeri m’a garanti cette possibilité. Il ne m’a pas conseillé de me comporter correctement, il m’a fait comprendre que c’était principalement une question de moyens ! En somme, les riches, par la hauteur de leurs dons, sont avantagés. Un Dieu juste et bon agirait-il ainsi ? L’argent est-il capable de couvrir nos actes à ses yeux ?

Il fit une pause et ajouta :

— Non, mais un dieu créé par les hommes, oui !

Ébranlée, Sara avait failli sursauter. Comment la dimension de cette partie de l’échange lui avait-elle échappée ?

— Messieurs, mesdames, si vous désirez atteindre le ciel plus vite, ne cherchez pas à devenir meilleur, il suffit de faire dire des prières ! Le plus possible de prières ! Des paroles inscrites dans un bréviaire dont personne n’osera changer un seul mot. À quoi cela ressemble-t-il ? Je vous le demande.

Il fit quelques pas.

— Cela ressemble à des formules magiques ! Vous récitez une parole magique, sur le ton et le phrasé attendu, en espérant que l’esprit invoqué daigne vous répondre !

Un silence absolu pétrifia toute personne présente. Sara respirait difficilement. Pour le peu qu’elle avouait lors de la confession, on lui demandait de réciter deux ou trois prières afin que le péché soit effacé des cieux. Des récitations bien sûr, même si, sans l’avouer à personne, elle les accompagnait de ses propres paroles. Elle le savait, jamais quiconque ici-bas n’accepterait un repentir dicté par un autre. Si cela ne vient du cœur, tout n’est qu’apparence. Alors, effectivement, pourquoi Dieu l’accepterait-il ?

— Ne repérez-vous pas de contradictions entre les deux Sauveurs qui nous ont été présentés ?

Le vainqueur de Bladel lâcha sa proposition :

— L’un attend notre amour et l’autre ? Des formules !

Il fit quelques pas et répéta en haussant le ton :

— Il est impossible qu’il s’agisse du même être !

À force d’être martelés, les arguments commençaient à porter.

Un feu se consumait à l’intérieur de Monseigneur Consuméri. Comment cet ignorant total pouvait remettre en question une croyance millénaire ? Utiliser la logique pour expliquer une religion est pure folie. La Vérité est une et indivisible, elle ne peut être contrariée par le moindre argument provenant de la bassesse humaine. Les nobles attendaient sa réponse. Il lui fallait réagir.

— Dieu n’a à pas s’expliquer devant les hommes ! rugit-il en se levant. Il est au-dessus de tout cela.

Sur le même ton, Krys tonna :

— De quel Dieu parlez-vous, prélat, vous nous en avez présenté deux !

— Il n’y en a qu’un ! » Pris d’une soudaine fatigue, le dos courbé, il se rassit difficilement, et répéta : « Il n’y en a qu’un.

— Oui, pour vous, il n’y en a qu’un : celui qui enrichit votre église. Celui qui sème le doute dans l’esprit des hommes pour que même les pauvres donnent de leur nécessaire. Celui qui engendre la peur pour mieux les asservir. C’est celui-là votre Dieu, prélat !

Conscient de l’animosité des nobles, Krys ajouta prudemment :

— Je veux bien croire au premier être que vous nous avez présenté. Le second est son ennemi.

Par cette tirade, il assurait l’assistance du bien fondé de leur religion, même si les contradictions évoquées semblaient irréconciliables.

— Et donc ? réagit l’homme d’église. Qu’allez-vous faire ? Allez-vous révoquer les prêtres ?

— Non. Si quelqu’un veut continuer à croire à la puissance des récitations, ça ne regarde que lui.

La princesse sourit. Elle ne scrutait plus le prélat mais suivait, sur sa chaise, les déplacements du discoureur. Il avait une façon de présenter les choses qui décrédibilisait des années de normalité. Tout devenait maintenant si cruellement évident. Oui, il y avait des éléments de vérité et de fausseté dans ce qu’elle croyait. Il avait fallu un regard extérieur pour le lui révéler. La démonstration portait en elle. Elle ne rejetterait pas sa foi, seulement ce qui l’avait gangrenée. Plus de confessions ni de récitations, seulement la vérité du cœur. Dieu allait redevenir un père pour elle. Autrefois juge austère, dorénavant, elle le croyait à son écoute.

C’en était trop pour Son Éminence. Le maître des lieux ne s’en prenait pas seulement à Dieu, mais à toute l’Église. Par malheur, le régicide était en position de force.

— Vous n’avez jamais eu la volonté de vous convertir, n’est-ce-pas ?

Krys jaugea l’homme d’église. Son regard s’apaisa.

— Je vais vous surprendre, mais si. Les dieux des Galiens sont changeants. Ils s’aiment bien trop eux-mêmes pour penser aux hommes. On les a affublés des pires défauts. Ces dieux n’ont pas pu créer la vie. À l’inverse, le Dieu des humains serait bien plus cohérent si on lui ôtait les caractéristiques humaines dont vous l’avez affublé. En somme, humains et Galiens se sont évertués à imaginer des dieux à leur image. Je ne vois pas dans la description que vous avez faite autre chose qu’une croyance pratique pour vous.

Il temporisa.

— Votre Dieu est petit, aussi petit que nous. C’est celui qui est capable de créer l’univers que je cherche.

Sara approuva de la tête. Le raisonnement de Krys lui semblait infaillible.

— Dieu est grand ! répondit une jeune voix.

Des rires fusèrent. Krys chercha l’auteur de cette parole. Au milieu d’un banc, une mère tentait de calmer un petit garçon. Son mari, à côté d’elle, paraissait gêné. Il reconnut un des migrants qu’il avait invités. Cette assemblée devait réunir les différentes couches de la société, avait-il déclaré. Il leur sourit, puis s’orienta vers la princesse.

— Comment dites-vous ? All… Allé…

— Alléluia, devina Sara.

— Alléluia, oui, Dieu est grand. C’est pour cela qu’il désire que nous nous conduisions comme de grandes personnes. Merci de nous le rappeler, mon garçon.

Situé devant eux, André Champenois lui fit signe, accompagné d’une partie de sa troupe de ménestrels. Il les salua, espérant qu’ils resteraient après la réunion. Il dirigea à nouveau son attention sur le prélat.

— Monseigneur, j’ai ouï dire que les neuf royaumes seraient en train de réunir une immense armée contre nous.

Le regard moribond du prêtre en disait long sur son état d’esprit. Non seulement on l’accusait d’appartenir à un ordre qui profitait de la crédulité du peuple, mais en supplément, la princesse avait deviné son implication dans l’appel à la mobilisation. Les choses pouvaient mal tourner pour lui.

— Qui plus est, pour augmenter le nombre de volontaires, vous promettez à ceux qui mourront l’absolution, c’est-à-dire le salut. Si je suis votre raisonnement…

Il fit une pause, faisant mine de réfléchir.

— Si je suis votre raisonnement, Dieu devra bien à un moment donné se plier à vos désirs afin d’accomplir votre promesse. Qu’il le veuille ou non. Parce que je suppose que vous ne lui demandez pas permission d’agir ainsi. Cela signifie, Monseigneur, que vous estimez votre volonté au-dessus de Dieu. Vous promettez, Dieu exauce. Vous claquez des doigts, il répond. Il est aux ordres, en quelque sorte.

Sara ressentait la colère qui grondait sous la coiffe du prélat. Krys lui donnait le temps de répondre, mais il n’en profitait pas. Une erreur, car les pièces du discoureur s’emboitaient une à une. Un tableau d’ensemble risquait d’apparaître dans l’imagination de tous.

— Mais s’il vous obéit selon vos désirs, au final, il acceptera auprès de lui bien des personnages qui ne sont pas dignes de lui, des criminels que vous auriez graciés par la seule force de votre promesse, sans leur demander autre chose que de tuer plus de gens. Ce n’est donc pas Dieu qui sauve, c’est vous ! Vous ordonnez, il se doit de répondre.

Krys longea le banc des nobles, semblant s’adresser à eux.

— Qu’en est-il ? Dieu a-t-il donné tout pouvoir aux prêtres ? Leurs prières sont-elles un moyen magique contraignant les cieux à se soumettre à leur volonté ? Finalement, qui est hérétique ? Moi ? ironisa-t-il en se montrant du doigt.

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