Carl Nimroy

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Jingle de l’émission.

Le présentateur Bliezel entre sur le plateau sous un tonnerre d’applaudissements.

— Bonjour à tous ! Bienvenue sur Bêta-800, pour la huitième diffusion de Tranche de Cosmos ! Le public grandit à chaque fois, je vois, nous sommes huit-cents aujourd’hui, réunis sur Eurydice, tournant tranquillement à 170 millions de kilomètres de notre très cher Soleil. La semaine dernière, nous avons accueilli Samuel Ward, de la station Héra, qui nous a parlé de ses améliorations biotechniques impressionnantes, même pour moi ! (rires). Hélios recèle toujours des pionniers incroyables, des citoyens qui ont des choses à raconter, des individus uniques.

» Et c’est l’un d’eux que nous allons accueillir cette fois aussi, puisqu’il s’agit du docteur Carl Nimroy ! Vous ne le connaissez probablement pas, et moi non plus, et pour cause, comme il va nous l’expliquer, cet homme nous vient de la Terre ! Veuillez applaudir Carl Nimroy !

Le quinquagénaire entra d’un pas chancelant sur le plateau de tournage en saluant le public. C’était un homme qui paraissait beaucoup plus âgé que ne le laissait croire son apparence. Ses gestes étaient mal assurés, ses yeux plissés semblaient faire un effort considérable pour maintenir à eux seuls l’énergie que démontrait le docteur. Il accompagna Bliezel jusqu’aux deux fauteuils qui se faisaient face. Une troisième place, formant le triangle, supportait sur un piédestal la caméra omniscope, qui diffusait l’émission en 360 degrés dans tout le système solaire.

— Bonjour docteur, et bienvenue sur Tranche de Cosmos, fit l’homme artificiel en tendant la main à son invité.

— Merci à vous, Bliezel.

— Alors, continua-t-il en s’asseyant. Nous sommes plus de huit-cents ici à ne jamais avoir entendu parler de vous. Expliquez-nous donc pourquoi. Qui êtes-vous, monsieur Nimroy ?

Le quinquagénaire sourit et croisa les mains devant lui.

— Je suis le docteur Carl Loth Nimroy. Chercheur en physique des particules, anciennement employé de l’entreprise QuanTech, anciennement habitant de la Terre.

— Voilà des précisions intrigantes. Vous dites « anciennement », êtes-vous partis ? Il y a longtemps ?

— J’ai quitté la Terre il y a peu, environ une vingtaine de jours. En revanche, je ne travaille plus chez QuanTech depuis 1073 ans.

Il y eut quelques rires dans l’assemblée, mais face au visage sérieux que gardait Bliezel, le silence se fit rapidement. La caméra trois zooma sur le visage du docteur Nimroy.

— Voilà une révélation plutôt surprenante, commenta le présentateur. Je crois que maintenant, notre public est très intéressé par votre histoire. Racontez-nous donc ce qui vous a permis de battre à plate couture même les plus anciennes formes d’intelligences encore actives aujourd’hui dans tout Hélios. Est-ce que vous avez voyagé dans le temps ?

Des rires francs s’élevèrent du public, faisant écho aux croyances complotistes de nombreuses personnes à travers les stations, qui avaient de tout temps essayé d’amener les foules vers un alarmisme paranoïaque accusant les dirigeants planétaires.

Nimroy fut secoué d’un petit rire.

— Non, pas du tout. Je viens du passé, comme chacun de nous, mais je n’ai pas brûlé les étapes.

— Vous avez donc vécu entièrement ce millénaire d’existence ? J’imagine qu’il doit y avoir en effet des choses à raconter. Je vous laisse la parole.

— Merci, acquiesça l’homme. Je suis né sur Terre en l’an 2103, durant le vingt-deuxième siècle, donc, à Chicago, dans les États-Unis d’Amérique. J’ai travaillé chez QuanTech dès mes dix-neuf ans, en 2122. J’ai oublié énormément de choses de cette époque ; au fil du temps je n’ai fait l’effort de conserver que les quelques points chronologiques importants. En 2138 donc, j’ai quitté QuanTech pour rejoindre un projet de recherche nommé Utos, en Europe, avec onze autres scientifiques aux spécialités différentes. Le projet était dirigé originellement par le professeur Noah Köhler, physicien également, et sa femme, Sonja Karlsson, une mathématicienne de grand talent.

» Le projet Utos avait pour but initial la réflexion et l’expérimentation sur la dimension temporelle de la réalité. Nous comptions également dans nos rangs un physicien quantique, un ex-ingénieur de Sky-AI, l’entreprise internationale de développement de l’intelligence artificielle, une biologiste transhumaine, et d’autres dont malheureusement je n’ai pas le souvenir des noms ou des spécialités.

» J’ai travaillé avec l’équipe d’Utos durant près de quinze années sur un projet dont j’ai – dont nous – avons découvert le but concret au fil du temps. En 2149, notre première percée a été également notre première prise de conscience de l’ampleur de notre découverte. Nous cherchions à isoler la dimension temporelle des dimensions physiques de la réalité, et nous avons découvert le transphasage. En parvenant à retarder l’existence d’une particule d’une seconde, celle-ci disparaissait tout simplement de la réalité. Cela ne durait que le temps où lui était envoyée de l’énergie, bien sûr, après quoi elle reprenait sa place dans notre temporalité. La première expérience donc, qui a mis cela en évidence, a bien failli mettre un terme définitif au projet. La particule, en se rephasant dans une temporalité qui avait comblé son absence, émit un très fort rayonnement thermique. Il y eut une explosion. Imaginez : une goutte d’eau disparaît subitement d’un verre rempli. L’eau, liquide, comble instantanément le vide créé. Maintenant, imaginez que dans ce verre apparaisse soudain une goutte d’eau. Pas juste plongée dans le verre, écartant les molécules et trouvant sa place, non, mais là où il y a déjà de la matière, elle apparaît comme si elle n’avait jamais disparu, amalgamant la matière, fusionnant les noyaux, perturbant les liens atomiques.

» C’était le premier pas vers l’aboutissement d’années de recherche, et à partir de cet instant, tout alla très vite. L’Europe, très intéressée par nos recherches, nous alloua toutes les ressources nécessaires. Nous créâmes de nombreux caissons à vide afin de répliquer l’expérience sans danger, et avant la fin de l’année nous expérimentions sur des animaux équipés de combinaisons.

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