045 Le grand départ

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Le lendemain matin, comme d'habitude, Steve fit le point avec ses hommes. La mission touchait à sa fin et une atmosphère de vacances régnait, un peu trop à son goût. Il convenait de garder la discipline jusqu'au bout.

  — Rien à signaler pour hier ?

  — Si une visite de M. Dornier dans l'après-midi. Le Président m’a demandé de le laisser passer. Ils ont visité le chantier puis ils sont allés dans le bâtiment administratif.

  — Et il est reparti quand ?

  — A la fin de mon service, il était toujours là.

Intrigué, Steve continua son interrogatoire.

  — Qui était de garde au portail après toi ?

  — Abdhul. Il dort en ce moment. Mais il a du faire son rapport à Carlos. C'est lui qui a fait la première ronde de la journée.

Steve resta pensif, puis, mu par l’habitude, il appela Carlos sur son interphone.

  — Salut c’est Steve. Abdhul t’a fait un rapport pour cette nuit ?

  — Oui : une voiture vers 22h30. Badge anonyme, l’un des trois que nous avons fourni au Président. Il est reparti un quart d’heure plus tard, suivi du véhicule de M. Dornier. C’est tout.

  — Les voitures n’ont pas été fouillées ?

  — Tu n’en avais pas donné l’ordre. Je pense d'ailleurs que le président n'aurait pas apprécié.

  — C’est vrai. OK. Merci.

Erin haussa un sourcil.

  — Un problème ?

  — Pas vraiment. Un truc bizarre, c’est tout. Mais je n’aime pas quand un client nous fait des cachotteries. Notre mission approche de sa fin, il faut ouvrir l’œil deux fois plus qu’avant. Le danger est peut-être plus dedans que dehors maintenant.



Deux heures plus tard, Erin était en train de déjeuner, tout en regardant les informations à la télévision, lorsque la photo de Donério Dornier apparu à l’écran.

« Monsieur Donério Dornier, directeur adjoint de la Compagnie Intergalactique des Mines pour la planète Solera, a été retrouvé mort à son domicile. Il s’est suicidé hier en début de soirée en avalant du poison. Il était paraît-il très affecté par la fermeture des mines. Il la considérait comme un échec personnel... ».

Erin bondit vers le bureau de son chef.

  — Steve ! Dornier est mort !

  — Quoi ?

Sous l'effet de la surprise, le mercenaire s'était levé brusquement.

  — Ils viennent de le dire à la télé. Il s’est suicidé hier soir, chez lui, en avalant du poison.

  — Mais il était ici hier soir. Bon sang, je voyais venir le coup fourré. Où est le Président ?

  — Il est parti en fin d’après-midi et il n’est pas revenu.

Steve réfléchit quelques instants avant de distribuer ses ordres:

  — Bon. Écoute les nouvelles, et essai de voir s’il y a enquête, ou si le suicide ne fait pas de doute. Personne ne parle d'hier soir avant que je donne mes instructions. C'est capital !

  — Compris.

Steve se dirigea vers le bureau de Christa. Elle était en train de plier bagage, sa mission terminée.

  — Salut Steve. Ça y est, je pars.

  — Hum… Avez-vous eu des nouvelles de Hugues ou de Ruslan ?

  — Ruslan est en plein chargement. Quand à Hugues, il m’a envoyé un message hier soir. Il partait précipitamment, à la demande d’un client, et me donnait rendez-vous sur Ursianne, dans une vingtaine de jours. Qu'est-ce qui se passe ? Vous avez l’air contrarié.

   — Monsieur Dornier est venu faire un tour hier. Il s’est entretenu longuement avec le Président et il est reparti en milieu de nuit. Et ce matin on annonce son suicide à la vidéo. Sa mort remonterait à hier soir, à une heure où il était encore présent sur le site. Quand au client de Hugues je parierais que c’est le Président lui-même.

Les yeux ronds, Christa le regardait comme s'il venait de lui annoncer la fin du monde.

  — Ce n’est pas possible. Ce n’est pas le genre d’homme à se suicider.

Le mercenaire ricana.

  — A SE suicider non, mais à ETRE suicidé certainement. Il devait connaître tous les petits secrets du Président.

La géologue fit la moue.

  — Pas sûr. Il est venu me parler pendant le siège, et, visiblement, il ignorait tout de ma mission.

  — Alors cela veut dire que le Président lui a tout collé sur le dos. Un cadavre ne peut plus protester.

  — Nous faisons quoi ?

Il y avait de l'angoisse dans la voix de la jeune femme. Steve haussa les épaules.

  — Rien. Je pense que le Président à payé un «nettoyeur» pour la mise en scène du suicide. Si c’est un bon professionnel, on n’a rien à craindre. Version officielle pour nous tous : Monsieur Dornier est venu hier après-midi, pour s’entretenir un moment avec le Président. Puis il est reparti rapidement. Je fais passer la consigne à mes hommes tout de suite.

  — Mais, c’est un faux témoignage !

  — Écoutez : le coup a été bien préparé. Nous n’allons pas le faire échouer, en disant bêtement que Monsieur Dornier était sur le site à l’heure de sa mort. Le Président s’est envolé, et c’est nous qui serions dans le collimateur de la justice… A moins de dénoncer Hugues Milton comme complice. Ce n’est pas ce que vous voulez ?

Christa soupira.

  — Non bien sûr. C’est bon. On fait comme vous avez dit.

  — Il y a quand même une chose que j’aimerais savoir, pour assurer définitivement nos arrières: c’est où est allé le Président. Vos amis ne me diront rien. Mais à vous, et vu le contexte, il seront peut-être plus bavards.

   — Vous voulez savoir où Hugues a emmené le Président ?

  — Oui. Et, accessoirement, où Ruslan va livrer la machine. Logiquement, ce devrait être au même endroit.

Christa secoua la tête, indécise.

  — J’arriverais peut-être à convaincre Hugues, mais je ne le verrais que dans une vingtaine de jours. Quant à Ruslan, n’y comptez pas trop. Il se couperait la langue plutôt que de faire une confidence, même à moi.

   — Je m’en doutais. Essayez quand même, on ne sait jamais.

Steve hésita une seconde avant de demander :

   — Vous avez des projets ?

Christa sourit.

  — J’ai reçu une demande qui me parait intéressante, mais rien n’est signé. Je vais d’abord prendre un peu de repos dans ma famille. Ce séjour sur Solera a été… éprouvant, ne trouvez-vous pas ?

  — Heu… Quand on fait appel à mes services, c’est rarement de tout repos.

  — Alors, si je vous croise un jour sur une mission, je me sauve à toutes jambes !

C’était une boutade, mais il eut l’air peiné. Christa referma son attaché-case, après avoir jeté un regard circulaire sur le bureau.

  — Bon. Et bien je crois que je suis la dernière de mon équipe. Ils vont m’attendre, comme d’habitude…

Elle attendit une ou deux secondes. Steve restait planté près de la porte, sans rien dire. Christa poussa un soupir et se dirigea d’un pas ferme vers le mercenaire.

  — Et bien au revoir. Peut-être à une prochaine fois, au milieu d’une guerre civile, d’une révolution ou d’un putsch militaire.

Il eut un petit sourire, ne sachant pas trop si elle se moquait de lui, ou si elle essayait seulement de détendre l’atmosphère. Elle fit encore deux pas et se trouva juste devant lui. Se grandissant sur la pointe des pieds, elle déposa un baiser rapide sur ses lèvres, recula un peu pour le regarder, puis, se pendant à son cou, l’embrassa carrément. Gauchement, il posa ses mains sur sa taille. Elle redressa la tête, le regarda dans les yeux, puis elle le repoussa doucement. Il la laissa faire. Elle le regarda encore, puis fit demi-tour, récupéra son attaché-case et sortit de la pièce sans se retourner. Il n’avait pas bougé.



N’ayant aucune idée, à priori, sur le gabarit de la chose présente près du puits numéro quatre, le Président avait affrété un transporteur de bonne taille. En fait, la machine n’était pas si grosse que cela, et la navette était disproportionnée.

Ruslan en profita pour parfaire la protection, en rajoutant une surcouche épaisse de mousse qui, en séchant, forma une coque semi-rigide autour de l’objet.

Il surveilla la phase de chargement, bien qu’il eut toute confiance en ses manutentionnaires. Mais son premier principe était, justement, de ne faire confiance à personne. Quand il était jeune, dans les ghettos de la Nouvelle Stalingrad, c’était une question de survie. Maintenant, c’était un principe de réussite, dans un métier très marginal. Il était capable de transporter aussi bien de lourdes machines-outils que de la vaisselle fragile, avec sécurité, célérité et discrétion. Le sigle de son entreprise était un triple « S », pour « Speed », « Secure » et « Silent ». Il était naïvement fier de son slogan.

La manœuvre était quasiment terminée, lorsqu’il aperçu Christa. Elle se dirigeait vers la navette. Il descendit de la passerelle et la rejoignit dans la cour. Elle s'enquit de l'avancée de son travail.

  — Ça y est, l’embarquement est terminé ?

   — Oui. On part dans une heure, on rejoint le cargo sur son orbite basse en cinquante minutes. Une heure encore pour le transfert puis on met les voiles.

  — Pour quelle destination ?

  — Christa ! Ta question contrevient à tous nos principes. J’ai mon boulot, tu as le tien, un point c’est tout.

Christa se balança d’un pied sur l’autre, mal à l’aise.

   — Le Président nous a fait un bébé dans le dos. Officiellement, Monsieur Dornier, l’un des ex-directeurs de la mine, s’est suicidé chez lui hier soir. Le problème c’est, qu’à ce moment là, il était sur le site de la mine, et il discutait avec le Président.

Ruslan se gratta le menton dubitatif puis il eut un mauvais sourire.

  — C’est con pour Maroco.

Christa le fusilla du regard.

   — On dirait que ça te fait plaisir !

   — Hum…Je n’ai pas de tendresse particulière pour ce genre d’individus. Qu’il se débrouille !

   — Crois-tu qu’il ne se doute pas au moins un peu de ce que tu transportes ?

Ruslan haussa les épaules sans répondre. La jeune femme continua, véhémente:

  — La réussite de ton travail dépend de sa discrétion. On est tous dans le même bateau. Il m’a sauvé la vie. Que tu le veuilles ou non, il assure ta protection pendant que tu es vulnérable, en train d’effectuer ton chargement. Je n’ai jamais apprécié les métiers basés sur l’utilisation de la violence, mais je reconnais qu’ici nous en avions rudement besoin. Tu ne le ressens peut-être pas, parce que tu es arrivé après la bagarre. L’attaque que nous avons subie, c’était l’horreur, comme on en voit en vidéo lors des infos. Et, avec son équipe, il nous en a sortit vivants.

   — Tu es une avocate très impliquée.

La remarque ironique déchaîna la colère de la jeune femme.

   — Moque-toi de moi par dessus le marché. La vérité c’est que tu le détestes depuis notre entrevue aux « Sirènes » et tu te réjouis à l’idée qu’il puisse avoir des ennuis. C’est lui qui avait raison depuis le début. Si Hugues nous avait communiqué à temps ce qu’il savait, je n’aurais pas failli me faire lyncher par les mineurs. Et maintenant, c’est toi qui te la joue solitaire, « débrouillez-vous ça ne me regarde pas ». Décidément, côtoyer ses amis dans leur travail, ça les fait voir sous un autre aspect, beaucoup moins flatteur.

Elle fit demi-tour et s’éloigna furieuse. Ruslan, ennuyé, la héla.

   — Christa ! Attends !

En quelques enjambées il la rejoignit.

  — Écoute, s’il a un problème à cause de cette histoire, tu me préviens. Je tacherais d’arranger le coup avec mon client. Après tout la discrétion ça se monnaie et pas seulement avec de l’argent. C’est d’accord ?

   — C’est d’accord. Merci Ruslan. Excuse-moi, je me suis emportée. Je ne voulais pas te froisser…

  — Mais si, tu voulais me froisse,r pour me forcer à réagir. Tu y tiens tant que ça à ton mercenaire ?

Christa rougit et répondit mollement.

  — Ce n’est pas ça du tout. J’ai une dette envers lui c’est tout. Imagines-tu ce que ça a été pour moi la rencontre avec les mineurs ?

Ruslan serra les poings.

   — Tu sais que j’aurais voulu être là pour te protéger…

   — Je ne te reproche rien. Tu étais loin d’ici, et après tout, tu n’es pas mon baby-sitter. Tu l'as dit toi-même: ce n'est pas dans nos « principes ». Mais admets que c’est normal que je veuille lui renvoyer l’ascenseur.

Elle se rapprocha de lui et déposa un baiser sur sa joue.

   — Avec Hugues on a prévu de se revoir dans vingt jours. Tu y seras ?

  — Bien sûr.

Il faillit lui demander si Steve y serrait aussi, mais il n’osa pas relancer le débat. Il regarda, le cœur serré, la jeune femme qui s’éloignait, en se disant «et en plus je dois lui être reconnaissant de l’avoir sauvée !».

Puis il retourna vers sa navette, vérifier une fois de plus que tout était en ordre, avant de décoller.

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