031 Découverte

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  Ned Laneri était le contremaître de l'équipe chargée d'ouvrir la voie à Christa, dans le puits numéro quatre. Depuis le matin, il maugréait sur le travail qui lui était demandé.

  — Ce n'est pas possible de descendre plus bas: trop dangereux.

Christa s'impatienta.

  — Dangereux ! Ça l'est depuis la surface. Je n'ai jamais vu un puits aussi pourri. Et à mon avis ça ne date pas de la catastrophe.

  — Je le sais M'dame. Trois accidents en six mois, un mort et quatre blessés. Mais que voulez-vous, il était « rentable », parait-il !

Il avait haussé les épaules, fataliste.

  — C'est incroyable de faire travailler les gens dans de telles conditions. Mais mon problème est différent : je ne travaille pas dans des conditions normales d'exploitation. Je dois me rapprocher de la cote moins cinq cent dix au maximum et nous en sommes encore trop loin. J'ai besoin de descendre quarante mètre encore au minimum. Je suis désolée de devoir vous demander ça, mais il ne s'agit pas ici de remettre un puits aussi dangereux en exploitation, avec tous les risques que cela comprendrait pour les mineurs devant y descendre tous les jours. Le président m'a confié une mission très précise et je suis déterminée à la mener à bien. Si vous jugez cela impossibl,e ce n'est pas à moi qu'il faut le dire mais à lui, et je doute qu'il soit sensible à vos arguments.

Ned grogna et sortit une thermos de son sac. Il dévissa le bouchon, remplit un gobelet d'un thé épais et noir et le tendit à la scientifique. Celle-ci s'en saisit avec précaution car la buée qui s'en échappait laissait deviner la température élevée du breuvage.

  — Merci Ned.

Sentant le contremaître peu désireux de continuer le travail, elle décida d'en « remettre une couche ».

  — Le président attend beaucoup de ma mission, et je commence à penser que, de toute façon, il faudra un jour ou l'autre descendre à cette foutue cote moins cinq cent dix. Alors, tout ce que vous pourrez faire pour sécuriser le puits sera du temps gagné.

Ned Laneri souffla un peu sur son gobelet et réfléchit avant de répondre. Il n'avait pas beaucoup d'instruction et peinait à trouver les mots justes pour exprimer sa pensée.

  — Vous savez, M'dame, je n'ai pas eu beaucoup de concurrence pour me voir attribuer ce travail. Le plus dur a été de former une équipe de mineurs. Malgré le chômage, personne n'a vraiment envie de descendre la-dedans! Je ne comprends d'ailleurs pas qu'une femme comme vous veuille risquer sa vie dans ce trou à rats.

  — Parce qu'une femme est plus à sa place en s'occupant des enfants qu'en descendant au fond d'une mine?

Christa avait réagit avec plus de vigueur qu'elle ne l'aurait souhaité, mais toute réflexion pouvant être prise comme machiste, la faisait démarrer au quart de tour. Ned se dandina, mal à l'aise.

  — Il n'y a pas que ça. Je suis ici parce que j'y suis obligé par ma situation familiale: si je veux que ma femme et mes gosses aient de quoi bouffer, il faut que je descende. Mais vous, êtes-vous obligée de prendre de tels risques?

Christa réfléchit en sirotant lentement son thé amer et brûlant. Ned voyait les choses simplement et n'avait jamais eu vraiment le choix du travail à accomplir. Il ne pouvait pas comprendre ses motivations à elle, son goût de la difficulté, le plaisir que lui apportait le petit frisson de peur qu'elle éprouvait chaque fois qu'elle descendait sous terre, la satisfaction de réussir dans des missions où ses alter-égaux, même des hommes, refusent d'aller. Pour lui qui se colletait tous les jours avec une réalité bien plus prosaïque ces sentiments lui auraient semblé futiles. Elle décida de mettre fin à cette discussion en plaisantant:

  — C'est peut-être pour cela que je suis encore célibataire ! Bon, il vous faut combien de temps pour me sécuriser ces quarante mètres?

Ned poussa un nouveau soupir.

  — Ce n'est pas une bonne idée M'dame. J'aurais tendance à envoyer promener quiconque me demanderait une chose pareille. Mais je sais que vous serez avec nous la dessous. Alors... Je vais faire deux équipes qui travailleront en alternance. Demain soir vous aurez vos quarante mètres.

Elle se releva et lui tapa amicalement sur l'épaule.

  — Formidable Ned. J'essayerai de vous avoir une prime de risque auprès du président.

Elle s'étira, fit trois pas en terminant son thé et se retrouva au départ d'une galerie latérale. Elle caressa la paroi de la main puis se tourna vers le contremaître.

  — J'adore me trouver ici, sous terre. Le contact avec la paroi de la galerie... je ne sais pas comment dire... c'est presque sensuel. Je dois être un peu folle!

  — Non M'dame. Malgré vos diplômes vous êtes mineur comme nous. Ici, c'est chez nous.

Il arborait un grand sourire. Elle le lui rendit, heureuse de cette fraternisation.

Quatre jours plus tard, Christa put enfin terminer ses mesures et s'attela à leur interprétation, avec l'aide de son équipe. La discussion était vive entre Gunther et Rangoon qui n'arrivaient pas aux mêmes conclusions. Pensive, elle suivait leur débat, attendant que le sujet mûrisse et qu'un détail, considéré jusqu'alors comme insignifiant, soit brusquement mis en lumière. Gérard Lepin intervint timidement:

  — Nos mesures sont concentrées sur la cote moins cinq cent dix depuis le début. Pourquoi?

Interloquée Christa le regarda, cherchant ce que sous-entendait cette question, à priori saugrenue. Depuis le début, ils concentraient leurs efforts sur cette fameuse cote et, comme ils y avaient trouvé une anomalie, ils ne s'étaient pas posés la question du « pourquoi là justement? ». Les autres membres de l'équipe regardaient le pauvre Lepin comme le débile de service. Christa répondit en hésitant:

  — C'était la demande du président...

Elle s'interrompit, repensant à la réflexion de Steve Maroco au bar « Les sirènes » en s'adressant à Ruslan:

« On compte vous faire transporter ce qui sera découvert par votre amie, et donc votre commanditaire, vraisemblablement commun, en sait beaucoup plus que vous sur ce que contient le sous-sol de cette mine. Et si cela tombe, ce n’est pas du minerai de fer… »

Aurait-il vu juste sur toute la ligne ? Gunther fit une réflexion désobligeante sur les personnes qui égarent les recherches au lieu de les faire avancer mais elle tendit une main dans sa direction pour lui intimer le silence.

  — Attendez, Gérard a raison: le président devait déjà avoir une idée de ce qu'il nous demandait de chercher.

  — Et alors?

Le ton de Gunther était sec. Visiblement il ne comprenait pas que l'on put prêter la moindre attention à ce que pouvait dire un simple technicien.

  — Nous nous sommes concentrés sur l'hypothèse que nous avions à faire à une anomalie géologique qui faussait nos mesures. Et si c'était autre chose?

  — Quoi?

  — Peut-être une machine?

Gunther fronça les sourcils.

  — Une machine? A cette profondeur?

  — C'était une idée que j'avais en tête au début, mais le président m'ayant certifié qu'il n'y en avait aucune en activité dans les galeries depuis la catastrophe, je m'étais tournée vers d'autres hypothèses. Voyons ce que cela peut donner. Reprenons toutes nos mesures et essayons de les interpréter dans ce nouveau contexte. Gérard, vous avez peut-être eu « l'idée du siècle ».

Lepin sourit, mais garda le triomphe modeste. Après tout il n'avait fait qu'exprimer à haute voix une idée fugace qui lui avait traversé l'esprit, sans qu'il en mesura toutes les conséquences.

  Lorsque l'on a une idée sur ce que l'on cherche le travail devient plus facile. Christa et son équipe travaillèrent d'arrache-pied et, en analysant les résultats obtenus, elle eut un choc. Elle ne prit pas le temps de rédiger un rapport et bondit vers le bureau du président pour le mettre au courant.

Sur le chemin elle croisa Steve.

  — Vous, il faudra que vous m'expliquiez comment vous trouvez des réponses à des problèmes qui, à priori, dépassent vos compétences!

Il la regarda, étonné, puis lui sourit.

  — Je ne sais pas de quoi vous parlez, mais je suis ravi d'avoir pu vous être utile.

  — En tout cas j'ai appris une chose: il faut se méfier des mercenaires, ils sont loin d'être aussi primaires que leur travail pourrait le faire penser. Je suis très pressée, nous en reparlerons plus tard.

Le bureau du président était gardé par son secrétaire, un « cerbère » un peu maniéré mais qui ne laissait entrer personne sans rendez-vous. Pour son malheur il ne connaissait pas Christa Kalemberg: on ne résiste pas à une tornade! Il était encore en train de l'annoncer au téléphone qu'elle piétinait déjà devant la porte du président, attendant avec impatience que son client la déverrouille. Elle expédia les politesses et entra tout de suite dans le vif du sujet.

  — Je suis désolée de vous déranger sans préavis, mais ce que j'ai découverts est tellement invraisemblable...

Le président la regarda attentivement.

  — Je suppose que cette découverte vaut le coup pour vous mettre dans un tel état.

  — Effectivement. Maintenant je sais ce qui se trouve à la cote moins cinq cent dix.

  — Je vous écoute, ne me faites pas languir.

Un petit sourire ironique démentait la curiosité exprimée dans la réponse mais Christa, exaltée, ne s'en aperçu pas.

  — Les causes du rayonnement qui a perturbé mes premières mesures sont bien d'origine artificielle. Une machine, d'un type inconnu, se trouve enterrée à quelques mètres de la galerie sud de la cote moins cinq cent dix. Et le plus extraordinaire, c'est qu'elle fonctionne encore. Je suis capable de vous indiquer la puissance dégagée, la force du rayonnement, sa direction, la chaleur dégagée, enfin presque tout.

  — Avez-vous une idée de son utilité ?

  — Absolument pas, c'est ce qui fait le coté invraisemblable de la chose. Comment cette machine fait-elle pour fonctionner ? et depuis combien de temps ? Et dans quel but ?

  — Y-a-t-il un lien possible avec la catastrophe que nous avons connu?

  — Pas directement: la machine n'a pas été touchée par l'explosion. Cependant la déformation des strates autour de celle-ci laisse à penser que la catastrophe n'est pas d'origine naturelle.

  — En quelque sorte, les mineurs en forant seraient tombés sur une sorte d'explosif caché dans le sol ?

  — C'est une possibilité, mais nous n'en serons sûrs qu'en analysant les matériaux, donc en descendant à la cote moins cinq cent dix. Mais, vu le danger que cela représente, Je ne sais pas si cela se justifie.

  — Et cette machine est arrivée là comment?

  — Elle se trouve au fond d'une sorte de puits, lui aussi d'origine artificielle qui a été ensuite rebouché. Cela demande une technologie pointue et difficile à mettre en œuvre sans se faire remarquer. D'autant plus que celà a été fait à mon avis récemment. Les gens qui ont fait ça dispose d'une technologie très en avance sur la votre.

Le président hocha la tête; songeur.

  — Beaucoup de mystères entourent ce site. Le tremblement de terre qui a mis à jour les premières strates n'a jamais été expliqué. Et maintenant une machine, de l'explosif, à moins cinq cent dix mètres... Vous avez fait du bon travail, Mademoiselle Kalemberg. Je savais que je pouvais vous faire confiance. Puis-je vous charger d'une mission complémentaire?

  — Je suis à votre service.

  — Il s'agit tout simplement de guider le travail des mineurs jusqu'à cette « machine ». cela vous parait possible?

  — Possible mais très dangereux. Vos gars ont déjà pris de gros risques pour me donner des conditions de travail suffisantes. Sans vouloir me mêler de ce qui ne me regarde pas, Ted Laneri et son équipe mériteraient une prime de risque, ne serait-ce que pour les encourager à continuer leur travail dans des conditions de plus en plus difficiles.

  — Ne vous faites pas de souci pour ça. Peu importe le prix, seul le résultat compte. Je vous donne carte blanche. Vous avez la direction des opérations.

  — Je vous en remercie. Je vous tiendrai au courant de l'avancement des travaux.

En sortant du bureau du président, Christa était toujours aussi excitée. Elle espérait bien que son client prenne la décision d'aller jusqu'au bout malgré les risques. Et maintenant, elle était décidée à lever ce mystère. Elle eut quand même un serrement au cœur en pensant aux mineurs qui affronteraient le puits meurtrier. Un mort de plus serait un mort de trop, et celui-là elle l'aurait sur la conscience. A aucun moment il ne lui vint à l'esprit que ce pourrait être elle la victime.

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