026 Lendemain de fête

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  Lorsque Christa ouvrit les yeux, ce fut pour constater qu’il faisait grand jour et qu’elle avait un mal de crâne carabiné. Ah les lendemains de fête ! Cela faisait plusieurs années que cela ne lui était pas arrivé. Et en plus, elle allait pour la première fois être en retard à son travail. Un malheur n’arrivant jamais seul, dès qu’elle entra dans le local réservé à son équipe, elle compris aux mines consternées qui l’accueillirent qu’il y avait un problème. Ce fut Gunther qui lui expliqua.

  — Hier soir, nous avons voulu mettre en place le générateur de rayonnements, mais il ne marchait pas. J’ai donc entrepris une réinitialisation complète suivie d’une mise en rodage. La procédure prévoit de laisser tourner la machine au maximum huit heures. Je suis parti vers vingt et une heures trente et je me suis pointé ce matin vers cinq heures. Mais le connard de gardien de l’équipe à Maroco n’a pas voulu me laisser entrer, sous prétexte que mon badge n’était valide que pour les heures ouvrées des bureaux. J’ai du patienter trois heures dans ma voiture. Lorsque, enfin, il m’a laissé entrer, j’ai constaté que le générateur était passé en surchauffe et était complètement grippé. On n’a pas de pièce en réserve, il faut les commander sur Ursianne. Délai : au minimum deux à trois périodes. Et sur cette planète elles font quinze jours !

  — Putain non ! Ce n’est pas possible !

  — Trois heures que j’ai attendu. Et je lui en ai dit. Mais parlez à un mur, il vous répondra !

  — Ça ne va pas se passer comme ça : viens avec moi, on va voir Maroco.


Steve était dans son bureau, en train de mettre à jour le planning avec Erin. Deux de ses hommes s’étaient installés au fond de la pièce, pour vérifier leurs armes. Christa entra comme une furie.

  — Qu’est-ce que c’est que cette histoire d’horaires ? Depuis quand empêchez-vous les gens de travailler ? Vous savez ce que va me coûter cette plaisanterie ? Au moins dix milles galactics et deux à trois périodes de retard pour mon chantier !

Steve la regarda, ahuri.

  — Mais de quoi s’agit-il ? Je ne comprends rien…

  — De quoi il s’agit ? Gunther, ici présent, avait un besoin impératif d’intervenir à cinq heures du matin et un de vos hommes l’en a empêché. Bilan  : une machine foutue dont les pièces de rechanges ne sont disponible que sur Ursianne. Vous comprenez maintenant ?

Steve se retourna vers Erin.

  — Qui était de garde à cinq heures ?

  — Abdul.

  — Ce fils de pute n’a rien voulu savoir. J’ai poireauté trois heures devant les grilles par sa faute.

Gunther était aussi emporté que sa patronne. Erin se pencha sur l’ordinateur de Steve et fit une vérification rapide.

  — Je suis désolée, Mademoiselle Kalemberg, mais aucune personne de votre équipe n’est autorisée à entrer sur le site lorsque celui-ci est fermé.

  — Comment ça  ? Nous sommes amenés à travailler dans n’importe quel horaire, nous ne sommes pas des ronds de cuir, nous.

  — Ce n’est pas un problème, il suffit de le prévoir à l’avance. Si vous nous aviez demandé l’autorisation pour votre employé, il aurait pu travailler à l’heure qui lui convenait. Il suffisait de le demander au plus tard en fin d’après midi hier.

Christa s’approcha du bureau et s’adressa directement à Steve, martelant bien ses mots.

  — Gunther a constaté hier soir, vers vingt et une heures, qu’il y avait une manipulation à faire sur une machine. Cette manipulation devait obligatoirement être arrêtée au bout de huit heures. Pour gagner du temps, il l’a fait exécuter de nuit. Il est revenu exprès à cinq heures ce matin pour la terminer. Hier soir je n’étais pas présente, vous êtes bien placé pour le savoir. Mais mes collaborateurs sont capables de prendre des initiatives, eux. Ils ne travaillent pas avec un règlement mais avec des compétences. A cause de l’attitude bornée de votre Abdul, non seulement il n’a pas pu faire son travail mais en plus une machine a été détruite.

Steve sentit un étau lui serrer le cœur. Si seulement Christa était venu le voir en tête-à-tête, il aurait fait tout ce qu’il pouvait pour l’aider à résoudre ce problème, quitte à aller lui-même chercher les pièces sur Ursianne. Mais elle l’avait agressé devant son équipe et s’en était prise violemment à ses hommes, injustement en plus. Il ne pouvait pas laisser passer cela. Il en allait de sa crédibilité en tant que chef. Il répondit calmement d'une voix qu'il s'efforça de rendre ferme mais non agressive.

  — Mademoiselle Kalemberg, depuis que vous êtes entrée dans cette pièce vous n’avez cessé de vous en prendre verbalement à mes collaborateurs. Sachez, qu’en l’occurrence, ils n’ont fait que leur devoir et que je les soutiens à cent pour cent. Je suis responsable de la sécurité de ce site et, à ce titre, j’ai mis au point les procédures qui régissent l’accès et la circulation dans l’enceinte de la mine. Je vous en ai déjà remis un exemplaire, en voici un autre au cas où vous l’auriez égaré. Dorénavant, je vous saurai grès de bien vouloir vous y conformer.

Steve tendit une feuille imprimée à Christa. Celle-ci rougit violemment et la lui arracha des doigts.

  — C’est vraiment tout ce que vous êtes capable de faire : des procédures  ! On est bien protégé avec ça.

Elle lui jeta la feuille à la figure et sortit en claquant la porte.


Steve poussa un soupir. Les deux hommes, qui préparaient leurs armes, jugèrent plus prudent de s’éclipser. Erin lui tapota l’épaule en signe de commisération ironique.

  — Désolé pour toi. N’aurais-tu pas été à la hauteur hier soir  ?

Il haussa les épaules.

  — Non non, tout baignait. Mais maintenant c’est fortement compromis. Si seulement elle m’avait pris en aparté. Mais là, devant mes hommes…

  — En tout cas quel tempérament  ! Une vraie tigresse  ! Si tu arrives à conclure un jour il faudra que tu assures.

  — Assurer ce n’est pas le problème, mais conclure, je crois qu’il vaut mieux oublier.

  — Bah  ! je ne suis pas inquiète pour toi. Une de perdue dix de retrouvées !

  — Le problème est que, pour une fois, je ressentais autre chose que la simple envie de draguer.

  — Ah ! Steve amoureux  ! J’aurais tout entendu. Bah, ne désespère pas. Laisse-là se calmer. Si elle est si bien que cela, elle finira par comprendre que tu n’as pas tout à fait tord.

  — Puisses-tu dire vrai  !



Lorsque Christa retourna dans l’espace qui servait d’atelier à son équipe, elle trouva le générateur de rayonnements en pièces détachées sur le sol. Au milieu de ce marché aux puces, Gérard avait entrepris de nettoyer les pièces ayant souffert le matin.

  — Ne vous faites pas de soucis : il n’y a pas de casse. Je vais nettoyer certaines pièces, en polir d’autres, bien lubrifier tout ce qui tourne et remonter la machine. Avec un peu de chance elle sera prête demain matin.

Christa ouvrit des yeux ronds.

  — Vous êtes sûr de ce que vous faites  ?

  — Pas de problème. De toute façon, il était exclu de renvoyer la machine au constructeur sur Ursianne, on perdait facilement deux périodes.

  — Et ça va marcher  ?

  — Bien sûr  ! La mécanique, moi j’adore  ! Il faudra quand même prévoir une petite révision chez le fabriquant à notre retour. Mais le principal, c’est que la machine soit utilisable pour la fin de la mission.

Christa le regarda faire un moment.

  — Vous arrivez toujours à m’étonner, Gérard. Vous n’avez pas de diplôme flatteur, ni d’expérience importante. Dans le travail de tous les jours vous n’êtes pas mon collaborateur le plus enthousiaste. Et aujourd’hui, alors que nous sommes dans une situation critique, vous vous lancez dans un numéro de haute voltige mécanique, et avec beaucoup de plaisir visiblement.

  — J’ai toujours été plus intéressé par comprendre comment fonctionne une machine plutôt qu’à l'utiliser. Je suis sûr que ni vous, ni mes collègues, (il avait prononcé le mot collègues avec mépris) n’avez une idée précise des processus mis en œuvre dans un émetteur de rayonnement. Je ne parle pas des grands principes, mais de la réalisation pratique, de ces tas de petites astuces qui permettent de passer d’une théorie physique à une machine qui fonctionne.

  — Non, effectivement. N’auriez-vous pas votre place dans un bureau d’étude plutôt que sur le terrain ?

Gérard haussa les épaules.

  — Je n’ai pas le bagage universitaire suffisant. Et puis, vous connaissez le reste… Je vous suis très reconnaissant de m’avoir donné ma chance. J’ai beaucoup de plaisir à travailler pour vous et j’espère apporter ma modeste contribution au fonctionnement de l’équipe, même si certains en doutent !

  — J’en ai toujours été convaincu. Ne vous occupez pas des ragots. J’apprécie beaucoup votre collaboration.

  — Je vous remercie.

Gérard s’était arrêté de travailler un instant et avait les yeux brillants de larmes. Christa repensa à toutes les humiliations qu’il avait subi dans sa vie. Elle avait été sincère avec lui, elle l’appréciait vraiment.

Elle le laissa travailler et vint refaire le point en fin d’après-midi.

  — J’ai de bonnes nouvelles Madame. J’ai vérifié toutes les pièces et je vais commencer le remontage. J’y passerai la nuit s’il le faut mais demain matin Gunther pourra reprendre ses tests.

  — Ça m’ennuie de vous voir pratiquer des horaires si importants.

Gérard eut un geste d’insouciance.

  — Je vous l’ai déjà dit, c’est du plaisir pour moi. Par contre, il serrait peut-être prudent de prévoir des accès autorisés la nuit, le temps que l’équipe rattrape le temps perdu.

  — Bonne idée. Je m’en occupe.

Facile à dire, moins à faire. Christa se voyait mal arriver devant Steve, la bouche en cœur, pour effectuer cette démarche. Et pourtant il le fallait. Elle se dirigea donc vers le bureau du service de sécurité. Le hasard se montra généreux en lui faisant rencontrer Erin dans le couloir.

  — Excusez-moi, Erin, pourrais-je vous demander quelque chose ?

La guerrière toisa la scientifique du haut de son mètre quatre vingt, visiblement peu enthousiaste.

  — Voilà… Il existe des procédures de sécurité… Pour éviter de nouveaux ennuis, il serait préférable que je m’y conforme.

Un sourire ironique passa sur les lèvres d’Erin.

  — Je vous écoute.

  — Et bien…voilà : je souhaiterais que mes collaborateurs dont le nom figure sur cette feuille puissent accéder au site dans des plages horaires élargies, disons de cinq heures à vingt deux heures.

Le sourire s’agrandit.

  — Comme Steve vous l’a dit ce matin, si nous sommes prévenus à l’avance il n’y aura pas de problème.

Elle se saisit de la liste.

  — Je vais m’en occuper tout de suite.

Christa hésita entre faire demi-tour ou continuer la discussion.

  — Je voulais vous demander… Steve ne m’en veut pas trop pour ma sortie de ce matin ? Vous savez, j’étais très contrariée et…

  — Le mieux serait de le lui demander.

La mercenaire avait toujours son sourire ironique. Christa baissa la tête.

  — Vous me jugez mal !

Erin redevint grave et répondit avec douceur:

  — Je n’ai pas à vous juger. Mais Abdhul n’y était pour rien. Il a reçu des consignes très strictes et il les a appliquées.

Elle brandit le papier.

  — Je fais le nécessaire, la modification sera active dès ce soir.

Elle partit en direction du bureau de Steve. Christa hésita puis lui emboîta le pas.

  — Attendez-moi, je viens avec vous.

Elle dut trottiner pour ne pas se faire lâcher par la mercenaire qui faisait de grandes enjambées. Quand elles entrèrent dans la pièce les conversations s’arrêtèrent d’un coup. Erin s’avança, décontractée, vers Steve.

  — Mademoiselle Kalemberg vient faire modifier les autorisations d’accès de certains membres de son équipe qui ont besoin de travailler de nuit.

Steve resta stupéfait. On aurait entendu une mouche voler. Christa poussa un soupir et s’avança au milieu de la pièce.

  — Je voudrais présenter mes excuses à tous. La colère est mauvaise conseillère et, ce matin, mes propos ont dépassé l’acceptable. Contrairement à ce que j’ai pu laisser entendre, j’apprécie de pouvoir évoluer dans un environnement sécurisé, même si cela présente quelques petits inconvénients.

Steve eut un sourire chaleureux.

  — Soyez sûre que nous avons oublié tout ce qui pourrait empêcher des rapports cordiaux entre nos deux équipes.

Il tendit la main vers Erin pour récupérer la feuille. Après la lui avoir donnée, elle lança un coup d’œil expressif et un mouvement de tête aux deux soldats présents au fond du bureau. Ceux-ci sortirent de la pièce et elle les suivit, laissant Christa et Steve en tête-à-tête. Celui-ci ne savait pas quelle attitude prendre. Ce matin, il avait dû se montrer tranchant à cause de la présence de ses hommes : pour lui donner toute leur confiance, ils devaient en retour se sentir soutenus. Maintenant, Christa venait de faire le premier pas en vu d'une réconciliation. C'était donc à lui de jouer, mais il ne savait pas quoi faire. Ce fut la scientifique qui repris l'initiative pour rompre le silence qui devenait pesant.

  — J’ai honte de mon attitude de ce matin…

Steve soupira, soulagé. Il ne lui restait plus qu'à saisir la balle au bond.

  — Mais vous pouvez être fière de celle de ce soir. Il est facile d’avoir un coup de colère. Il est beaucoup plus difficile de savoir le reconnaître. Et vous avez eu ce courage.

Elle le remercia d’un sourire.

  — Au fait, et votre machine  ? Comment allez-vous faire sans elle  ?

  — Gérard est en train de la réparer. Il a des dons cachés et adore la mécanique. Il m’a étonnée.

  — Alors c’est vous qui aviez raison à son sujet. Un bienfait n’est jamais perdu  !

  — Effectivement. Et en travaillant quelques nuits, nous allons récupérer rapidement notre retard.

Comme il se levait pour s’approcher d’elle, elle ajouta vivement :

  — Je ne m’attarde pas. Je suis débordée de travail. Dès demain je vais préparer ma descente dans le puits numéro quatre.

Elle fit quelques pas vers la porte. Il la suivit.

  — Vous allez descendre là-bas dessous  ? Vous êtes folle  ! Même les mineurs refusent d’y retourner.

Il semblait inquiet. Elle se rengorgea, flattée par cette réaction venant d'une personne habituée au danger.

  — Lorsque l’on fait appel à mes services c’est rarement pour des promenades de santé. Je suis une femme de terrain et je préfère une exploration risquée à un travail de bureau.

Elle lui fit un sourire crispé et sortit dans le couloir. Steve voulu opposer un argument mais il sentit chez la jeune femme la même excitation qu’il éprouvait à l’approche du danger. Il n’était pas machiste et avait deux femmes dans son équipe. Mais il s’agissait d’athlètes entraînées, des risque-tout fort peu féminines dans leur comportement. Christa, par contre, rayonnait de féminité presque malgré elle, malgré ses vêtements stricts, malgré son air autoritaire. Il répondit d’une voix enrouée

  — Fais attention à toi.

Puis il se détourna et repartit vers son bureau. Il n’avait même pas remarqué qu’il l’avait tutoyée. Christa le regarda s’éloigner, troublée.

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