027 Philippe

4 minutes de lecture

  C’est avec une sourde angoisse que Philippe se rendit au domicile des parents de Sylvane. Il n'y était jamais revenu depuis le jour maudit. Tout le long du trajet, il avait déroulé le fil des événements depuis la fête de la huitaine. Tout d'abord, sa joie de sortir avec Sylvane, ses rêves d'avenir pour le couple qu'ils allaient peut être former. Bien sûr, il pensait aussi au physique de son amie, à son envie de la serrer contre lui, de respirer son parfum et...

Il s'en voulu pour ces pensées : ne valait-il pas mieux que le prophète ? Était-il un prédateur comme lui ? Était-ce cela être un homme ? Ces idées étaient confuses et la seule chose dont il était sûr était cette angoisse, qui l'avait habité depuis le jour du premier prêche. Il avait fallu qu'il bouscule ce journaliste et que Sylvane veuille aller écouter ce maudit prophète. Le destin était en marche et allait les broyer tous les deux.

Il n'avait pas compris la ferveur du public pour ces discours creux, marqués par une morale religieuse qu'il trouvait naïve. Les grands principes c'est bien, mais la réalité est toute autre. Si le grand Antoine Bardili et sa bande voulaient s'en prendre à lui, pour le racketter, ou même simplement pour le plaisir de le tyranniser, ce n'est pas des belles paroles qui le protégerait. Les méchants ne les écoutent jamais. Cette leçon, il l'avait apprise à ses dépends, dans son quartier où la seule loi était celle du plus fort. Sylvane vivait dans un quartier cossu, loin de la réalité sordide de la banlieue. Elle ne pouvait pas imaginer ce qui se passait autour de chez lui et il ne le lui avait jamais expliqué. Il tenait à elle et il avait peur que la différence de classe sociale ne les sépare.

Le prophète l'avait subjuguée. Chacune de ses tentatives de faire comprendre à Sylvane le fossé qui existait entre les idées et la réalité la rendait plus distante. Il l'avait cueillie comme un fruit mûr,elle n'avait eu aucune chance. Quand il avait compris ce qu'il s'était passé, il avait essayé de l'éloigner de cet homme définitivement, en vain. Il n'était pas de taille. Pour elle, il n'était plus que le moyen de sortir de la maison familiale. Dès qu'ils étaient dans la clairière, elle l'ignorait. L'entourage du prophète savait, il en était sûr, les cotés sombres de leur leader, mais ils regardaient ailleurs. Le destin de cette petite gosse de riche ne leur importait pas.

Lorsque sœur Ceyla était intervenue, il n'avait pas su comment réagir. Cette chance, que la grande femme noire leur avait donné, l'avait effrayé. Il avait honte de son attitude ce jour là, de ce petit pas en arrière qu'il avait fait. Ce souvenir le hantait. Lui qui prétendait aimer Sylvane, il l'avait évité comme une pestiférée. Le journaliste l'avait compris, mais il avait été incapable de suivre ses conseils.

Ce fut le beau-père qui vint lui ouvrir. Il n’apprécia pas la présence du jeune homme.

   — Toi ici ? Tu crois vraiment que c’est ta place ?

Philippe baissa la tête.

  — Je venais prendre des nouvelles de Sylvane.

  — Sylvane ne va pas bien. Nous te faisions confiance. Qu’as-tu fait pour la protéger ? C’est bien tard pour te soucier d’elle.

La mère se glissa derrière son mari et posa la main sur son bras.

  — Ne soit pas trop dur avec lui. Il souffre aussi de la situation.

Le beau-père failli répondre vertement, mais le regard plein de larmes de sa femme l’en dissuada. Elle fit signe au jeune homme d’entrer. Il la suivit dans la maison jusqu’à la chambre de son amie. C'était la première fois qu'il avait l'occasion d'y pénétrer. Jusqu' alors il restait dans le hall en attendant que Sylvane soit prête à sortir ou, s'ils avaient besoins de travailler leurs cours, ils s'installaient tous les deux sur une petite table, dans un coin du séjour.Cela permettait aux parents de les surveiller discrètement. Mais jamais l'intimidant beau-père n'avait autorisé le jeune homme à aller plus loin.

Il fut choqué par la décoration de la pièce, très petite fille sage : beaucoup de rose, de nombreuses poupées disséminées sur les meubles au milieu de petits bibelots aux formes délicates et aux couleurs pastel. Au mur, une peinture représentant un paysage campagnard, et, plus loin, un poster de petits chats. Connaissant le caractère un peu naïf de la jeune fille, cela n'avait rien d'étonnant. Cependant, le contexte avait changé, et cette chambre d'enfant contrastait avec la situation qu'elle avait vécue auprès du prophète.

Sylvane était assise dans un petit fauteuil près de la fenêtre, prostrée. Toute énergie avait fui son corps jadis si vivant. Philippe avait le cœur serré et des crampes à l'estomac. L'injustice de la situation lui donnait envie de pleurer. Si seulement elle acceptait de lui parler, de rompre ce silence de sépulcre dans lequel elle s'était retirée. Il s’avança gauchement.

Elle regardait obstinément ses pieds. Il s’accroupit et essaya de lui toucher la main. Elle la retira vivement comme si ce contact la brûlait. Sans le regarder elle murmura:

  — Sois gentil, laisse-moi.

Il essaya de lui caresser les cheveux.

  — Sylvane…

  — Laisse-moi !

Elle avait crié, avant de tourner la tête du coté opposé. Ellet retomba dans son mutisme, une larme coulant lentement sur sa joue.

Sa mère pris Philippe par l’épaule et le fit sortir doucement de la pièce. Une fois dans le couloir elle lui murmura à l’oreille :

  — Laisse-lui du temps.

Philippe hocha la tête et sorti de la maison sans rien dire.
Il marcha longtemps, la tête basse et l'esprit plein de tumulte. Et puis, soudain, la solution s'imposa à lui. Oui, c'était ce qu'il devait faire. Cette fois, il ne reculerait pas. Mais, d'abord, il devait aller voir Antoine Bardili.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire Guy de Grenoble ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0