033 La fuite (1)

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  En arrivant devant l'hôtel « Galaxie Royale », Alter Pavi fut impressionné par le luxe de l’établissement. L’entrée était constituée d’une grande allée bordée d’arbres, où les limousines des clients avaient assez de place pour se croiser, et traversant un parc admirablement paysagé. Devant le bâtiment, un gigantesque rond-point permettait à plusieurs clients de stationner en même temps. La façade était un mélange de faux-ancien avec corniches ouvragées et de moderne avec de grandes baies vitrées polarisées, juxtaposition de styles en vogue sur Solera. Le hall d’entrée continuait dans la démesure : on se serait plutôt cru dans un hall d’astroport avec des boutiques, des coins salons, plusieurs bars et restaurants. A la réception, l’employé consulta un terminal informatique.

  — Monsieur Milton est dans le solarium, au dessus de la piscine, emplacement C3.

Alter fut surprit par la précision de la localisation.

  — Vous en êtes sur ?

  — Oui Monsieur. Tous nos clients ont un transmetteur qui leur permet d’exprimer leurs besoins où qu’ils soient et qui nous permet de les retrouver facilement.

Alter suivi les panneaux indiquant la piscine. Un majordome l’arrêta à l’entrée du solarium.

  — Bonjour Monsieur, que puis-je pour vous ?

  — Je voudrais parler à Monsieur Milton.

  — Très bien Monsieur. Qui dois-je annoncer ?

  — Oh il ne me connaît pas. Dites-lui que je viens de la part de Mademoiselle Bouabe.

  — Veuillez m'attendre ici, je vais le prévenir de votre visite.

L’employé traversa le solarium et se pencha au dessus d'un transat où un client était installé. Celui-ci, sans doute étonné par la requête, se pencha sur le coté pour regarder Alter. Une autre personne, qui occupait le transat voisin, en fit autant. Alter sursauta en reconnaissant le Président. Le majordome revint vers lui et le pria de le suivre. Alter s’avança gauchement, pas du tout à l’aise. Il se sentait déplacé avec son costume-cravate dans cet espace de repos où tout le monde arborait une tenue décontractée, voire « minimaliste » pour les femmes.

Hugues Milton était plus jeune qu’il ne l’avait imaginé, les cheveux châtain bouclés lui descendaient presque sur les épaules. Il était en maillot de bain, ce qui semblait logique vu l’endroit. A ses cotés, le Président préférait protéger son teint pâle des ardeurs du soleil. Installé sous un parasol, il arborait une chemise fantaisie sur laquelle était imprimé un paysage paradisiaque et un pantalon blanc au pli impeccable. De toute façon, pensa Alter, même en bleu de travail il serait élégant.

  — Monsieur Milton, je viens à vous de la part de Mademoiselle Bouabe.

Il lui tendit la petite puce électronique donnée à Prita. L’homme s’en saisit et la connecta sur sa montre pour y lire le message électronique. Il secoua la tête en signe d’assentiment.

  — Elle me prévient de la visite de deux personnes. A vous voir, je suppose que vous n’êtes pas Mademoiselle Prita Saldanera. Donc vous êtes…

— Monsieur Alter Pavi.

  — Journaliste. Je confirme.

C’était le Président qui était intervenu. La situation l’amusait visiblement.

Alter, ennuyé par sa présence, essaya de le faire comprendre à son interlocuteur.

  — Voilà, j’ai des informations confidentielles….

  — Lâchez-vous mon vieux ! - coupa le Président - Vous avez le feu au cul depuis que le Prophète est mort et vous souhaitez quitter Solera au plus vite.

Alter resta une seconde bouche bée avant de lui jeter un regard noir mais il ne contesta pas.

  — Je vous avais prévenu. Vous vous êtes mis dans un sacré guêpier. « Le Tenos » ne va pas vous lâcher facilement.

Alter haussa les épaules. Implacable le Président repris :

  — Et la grossesse de Sœur Ceyla, vous y croyez vous ?

Là Alter accusa le choc. Le Président se leva en ricanant et, en passant derrière Alter, il lui tapa sur l’épaule avec commisération.

  — Asseyez vous à ma place. Je vous laisse traiter votre affaire. Prenez un verre de Champagne, il est excellent.

Il s'éloigna, fort content de l'effet produit sur le journaliste. Alter reprit ses esprits rapidement. Il avait compris que le président s'était exprimé d'une manière trop directe et avec un langage trop vulgaire pour ne pas l'avoir fait exprès. Cet homme était toujours en représentation, et il avait décidé ici de corser le personnage interprété. Le journaliste s’assit sur le bord du transat, face à Hugues Milton. Celui-ci eu un petit sourire affable.

  — C’est dur d’avoir le dernier mot avec lui. Vous le connaissez bien ?

Alter secoua négativement la tête.

  — Nous avons eu un différent, un reportage que j’avais fait et qui ne lui avait pas plu. C’est tout.

  — Je comprends. On parle affaire  ? Mademoiselle Bouabe me demande de vous prendre en charge, vous et une certaine Prita Saldanera. Elle me demande de ne l’attendre que dix jours. Ce message est d'hier donc embarquement dans neuf jours. Cela vous va  ?

  — Je ne suis pas en mesure d’imposer mes volontés et j’aimerais que Mademoiselle Bouabe puisse venir avec nous. Donc va pour huit jours.

  — Bien entendu si elle arrive plus tôt on embarque plus tôt. Je peux vous joindre où ?

  — Nulle part. C’est moi qui vous appelle, une fois par jour. Excusez ma curiosité, mais j’aimerais savoir ce que vient faire le Président dans notre affaire.

Hugues fronça les sourcils, contrarié par la question.

  — Rien du tout. Il est là à titre privé. Et je ne crois pas qu’il apprécierait une publicité tapageuse à son sujet dans la presse à scandale. Moi non plus d'ailleurs.

  — Ne craignez rien. Mon activité journalistique est en baisse en ce moment. Mais je me demande si je dois me méfier de vous ou si c’est vous qui devriez vous méfier de lui.

Hugues le foudroya du regard.

  — Monsieur Pavi, j’ai peur que vous ne dépassiez les bornes. Mêlez-vous de ce qui vous regarde, ou cherchez un autre transporteur.

  — Vous savez bien que je n’ai pas le choix. Mais je ne suis jamais à l’aise lorsque le Président est trop proche de moi.

Hugues eut un petit rire. Il saisit sa coupe de champagne et en bu délicatement une gorgée.

  — Moi, sa présence ne me dérange pas, au contraire. Mais je vous donne raison sur un point : je ne ferais jamais d’affaire avec lui. A bientôt Monsieur Pavi.




Alter ouvrit avec précaution la porte de l’appartement. Depuis deux jours, il craignait de voir surgir un agresseur de n’importe où. Cela tournait à l’obsession. Tout était calme, silencieux. La télévision n’était même pas en marche. Il appela.

  — Prita  ?

  — Oui. Je suis dans le living.

Il alla d’abord vers la cuisine où il rangea les provisions qu’il avait apportées, puis il alla la rejoindre.

Prita était assise dans un fauteuil profond. Elle avait juste allumé un lampadaire au dessus de sa tête, pour pouvoir lire. Alter l’observa. Elle semblait calme, sereine même. L’éclairage, placé juste derrière elle, transformait son abondante chevelure rousse en une auréole orangée. Alter se sentit tout drôle devant cette femme. Peut-être le fait de savoir qu’elle allait être mère lui donnait un regard différent. Elle sentit sa présence, tourna la tête vers lui et sourit.

  — Tu as pu rencontrer la personne que Ceyla nous a recommandé.

  — Oui. Je crois que l’on peut lui faire confiance, et que c’est réciproque. Il attend quand même de voir si Ceyla arrive à se libérer elle aussi avant de nous emmener tous..

  — Pour où  ?

  — C’est à définir avec elle. De préférence sur une planète où il n’y a pas de mineurs  !

  — Trascan ? Boscudir ?

  — Oui, Boscudir peut-être.

  — Chouette, le retour à la nature. On va cultiver la terre, élever des chèvres et se baigner dans les rivières.

  — Tu sais, sur toutes les planètes on a besoin de bonnes infirmières.

  — Et de bons journalistes ?

Alter fit une grimace.

  — Journaliste, c’est un métier un peu trop en vue. Si je veux que l’on m’oublie, il faudra que je me recycle. Professeur de lettre ça me plairait pas mal. Tu imagines : je me laisse pousser la barbe, je fume la pipe, je me promène en permanence avec un livre sous le bras... et je porte des lunettes à monture en écaille bien entendu  !

Elle rit de bon cœur. Il s’assit dans un fauteuil en face d'elle.

  — Qu’est-ce que tu lis ?

  — Un traité de puériculture.

  — Tu as trouvé ça ici ? Dans la bibliothèque d’un célibataire !

  — A voir l’état du livre, je pense qu’il appartenait plutôt à sa grand-mère  ! Mais enfin, un bébé est toujours un bébé. Je pense que les conseils donnés dans cet ouvrage ne sont pas tous obsolètes.

  — C’est important pour toi ce bébé ?

  — Au départ, c’était lui qui le voulait. C’était presque une obsession. J’ai pensé que c’était une façon de me l’attacher. Maintenant il n’est plus là, j’ai ce petit bébé dans mon ventre et j’ai vraiment envie de le garder. J’ai changé, je crois.

Elle sourit, les yeux dans le vague. Il se pencha vers elle et pris ses mains dans les siennes.

  — Oh oui, tu as changé. Et en bien  ! Tu es rayonnante  ! Tu n’as plus peur  ?

  — Si, mais c’est différent. Jusqu’à hier, le fait de porter l’enfant du Prophète était une arme, un moyen de m’imposer dans la société..

  — Cette arme s’est retournée contre toi !

  — Oui mais ce n’est pas ça l’important. Enfermée dans cet appartement, j’ai réfléchi à beaucoup de choses. J’ai fini par comprendre que je n’étais plus seule, que j’avais une raison de me battre pour autre chose que pour satisfaire ma vanité.

Elle resta songeuse un moment puis une ombre d’inquiétude vint troubler son regard.

  — J’ai peur quand même. Pas de ce Ténos, ni de ses sbires, mais de me retrouver seule, entourée d’étrangers, à un moment où ma grossesse me rendra très dépendante.

  — Tu ne crois pas que je vais te laisser tomber à ce moment là. Tu peux compter sur moi. Je ne te laisserai pas vivre ces épreuves toute seule. Je te dois bien ça. Sans toi l’épopée du Prophète n’aurait peut-être pas eu lieu.

  — Et il serait toujours vivant, et nous ne serions pas en fuite…

  — Prita, honnêtement, l’histoire de ces derniers mois ne se résume pas seulement à ça. Le Prophète nous a apporté une révélation. Il a modifié le sens de nos vies

Elle secoua négativement la tête.

  — Moi je n’ai rien compris. J’étais à ses cotés, toujours égoïste, intrigante, cynique…

  — Tu étais comme ça, mais ce n’est plus vrai. Il a peut-être fallu le choc des événements de ces derniers jours, ou ta grossesse, mais toi aussi tu as évolué. Je suis sûr que tu ne seras plus jamais égoïste ou cynique comme tu t’en accuses.

Elle resta songeuse quelques instants puis son regard pétilla à nouveau.

  — Alors tu veux bien m’aider ?

  — Si tu as peur d’apparaître comme une fille-mère indigne, je t’apporterai la respectabilité nécessaire.

  — C’est vrai ? Tu veux bien jouer le rôle de mon petit mari pendant quelques temps  ?

Son regard moqueur était braqué sur Alter, mal à l’aise.

  — Oui, bien sûr, je te l’ai déjà promis...

  — Alors, il faudrait peut-être nous entraîner ?

  — Com…

  — Tu sais, chez certaines femmes le fait d’être enceinte fait croître leur appétit sexuel. J'ai bien peur que ce soit le cas pour moi.

Alter rougit en même temps qu’il sentit le désir monter rapidement en lui. Elle se leva et lui pris la main pour l’entraîner vers la chambre.

  — Je parie que tu n’as jamais fait l’amour avec une femme enceinte. N’aie pas peur, mon bébé est encore trop petit pour donner des coups de pied.

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