034 Les mineurs

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  Hugues sortit de la salle de bain, drapé dans un peignoir de soie rouge. Depuis sa rencontre avec le président, il avait repris goût au confort du « Galaxie Royale ». Oublié le spleen ressentit jusqu'à lors. Tout lui paraissait à nouveau délicieux. Le monde entier aurait bien pu s'effondre autour de lui sans qu'il ne s'en alarme. Mais si vous oubliez le monde, le monde se rappelle bientôt à vous.

Il trouva le Président penché sur son ordinateur,visiblement énervé. Celui-ci avait beau relire pour la troisième fois l'information qu'il venait de recevoir, il était bien forcé d'admettre la vérité. Quelqu'un en savait trop sur ses combines et ses projets étaient en danger. Le président avait l'habitude de tout contrôler et d'avoir toujours une longueur d'avance sur les autres. Mais pas cette fois. Il fulminait d'être mis ainsi devant le fait accompli.

L'attitude crispée de son ami désola Hugues. Il s'approcha et l'interrogea avec sollicitude:

  — Un problème ?

  — Je le crains. Je viens d’être prévenu que, vraisemblablement, la clef de cryptage utilisée pour échanger des messages avec la direction de la Société des Mines a été cassée.

  — Quels termes barbares ! Tu sais, je suis un littéraire, alors l'informatique et moi ça fait deux. Tant que son utilisation est simple et qu'elle me facilite le travail, ça va. Par contre, toutes ces subtilités techniques me passent au dessus de la tête. Cryptage, clé, je ne sais pas ce que cela veut dire. Une fois traduit en langage courant, ça donne quoi ?

  — Cela veut dire que des personnes non-autorisées peuvent lire des messages confidentiels entre la direction générale et moi. Certainement les responsables du Syndicat des Mineurs, ou pire encore ce Tenos dont on parle tant en ce moment.

Le Président frappa le bureau du poing. Hugues se positionna derrière lui et commença à lui masser les épaules.

  — Tu es trop tendu. Tu te fais du mal. Tu devrais prendre un bain pour te relaxer.

Le Président soupira sans cesser de regarder son écran.

  — Si mon dernier message a été intercepté, la situation va devenir explosive: les mineurs vont apprendre que l'exploitation ne reprendra pas.

Hugues marqua son étonnement :

  — La mine n'est plus rentable?

Le président lui jeta un coup d'œil en coin et eu un drôle de sourire.

  — Question indiscrète.

  — Hum... Si je comprends bien, il s'agit plus de politique que d'extraction de minerai.

  — Disons cela comme ça.

Hugues n'insista pas et préféra changer de sujet.

  — Allez vingt minutes de bain à remous. Et pas de discution, c’est un ordre.

Le Président rit et se leva. Avant de se diriger vers la salle de bain, il déposa un baiser rapide sur la bouche de Hugues.

  — Je peux te demander un service ?

  — A vos ordres Président !

Hugues s'était mis dans un garde-à-vous approximatif. Avec son peignoir rouge et ses savates aux pieds le résultat était assez comique, mais son ami était trop contrarié pour apprécier le spectacle.

  — Sois sérieux une minute, la situation est très grave. Essaie de joindre de ma part mon responsable de la sécurité, monsieur Maroco, et dis-lui qu’il soit vigilant. Son numéro est sur sa carte de visite, à coté de mon ordinateur. Il risque d’y avoir du grabuge dans pas longtemps. Qu’ils s’enferment tous dans les bâtiments et qu’aucun responsable ne se ballade en ville. Tu as compris ? C'est capital ! Et surtout qu'ils tiennent leur position dans le bâtiment administratif à tout prix. Je ne veux pas que des excités volent ou détruisent des documents.

  — Comment ça, tu n'as pas de sauvegarde de tes données informatiques ?

Le président lui jeta à nouveau un regard contrarié.

  — Les données informatiques sont trop exposées malgré toutes les précautions que l'on peut prendre.

Hugues sourit.

  — Encore de la politique?

  — Si tu veux. Appelle-le vite.

  — Je m’en occupe tout de suite. Ne t’en fait pas et profites de ta balnéothérapie. Tu m’appelles quand tu a fini, je viendrai te masser. Tu verras que je suis très doué pour cela aussi.

Le président soupira mais céda à l'injonction et se dirigea vers la salle de bain.

Hugues s'approcha du bureau, amusé par la situation. Jusqu'à maintenant, il n'avait pas jugé bon de communiquer avec le mercenaire. Il ne voyait pas le rapport qu'il pouvait y avoir entre l'arrivée remarquée de sa passagère auprès du prophète et le travail effectué par Christa dans la mine. Maintenant que les choses commençaient à converger, c'est le président lui-même qui lui demandait de mettre au courant Maroco. Même pas besoin de l'espionner.

Il jeta un coup d’œil à l'ordinateur et constata, sans surprise, que le président l'avait verrouillé. Il composa le numéro de téléphone du mercenaire.

  — Oui ?

  — Monsieur Maroco ?

  — Non. Il est sorti.

  — Je voudrais lui parler de toute urgence, de la part du président des mines de Solera.

  — Ne quittez pas, je l'appelle tout de suite.

Hugues se retrouva en attente, devant supporter un message publicitaire sur les offres de services de la société Maroco. Le président avait l'air très inquiet. La menace était-elle si sérieuse ? Il éprouva une appréhension en pensant à Christa qui évoluait au milieu de tous ces événements sans se rendre compte du danger.



  Christa s’intéressa à la météo, pour la première fois depuis son arrivée sur Solera. Après avoir travaillé dur, elle voulait s’accorder un moment de détente en allant faire un tour en ville. Le temps était très favorable. Le soleil brillait, comme toujours en cette saison, mais un petit vent rafraîchissait agréablement l’atmosphère sans être suffisamment violent pour soulever la poussière.

Elle fit tout d'abord une dernière inspection de son labo et donna quelques instructions à son seul collaborateur présent. Elle quitta ensuite le bâtiment et se dirigea vers la voiture que la Société des Mines avait mise à sa disposition. Il s'agissait d'une berline confortable mais affublée des logos de l'entreprise sur les portières. Sur le parking elle croisa Steve qui faisait sa ronde avec son bras droit Erin. Il avait fière allure: la démarche volontaire, une arme d'une taille impressionnante à l'épaule, le mâle dominant dans toute sa splendeur. Cette pensée la fit sourire. Dès qu'il l’aperçu il l’interpella.

  — Oh Christa où allez-vous comme ça ?

  — Faire un peu de shopping en ville pour me changer les idées. Mes collaborateurs sont au repos pour la journée. Ils ont bien mérité de souffler un peu. Je ne connais pas vraiment Solera City par manque de temps jusqu'à maintenant, alors c'est le bon moment.

  — Je ne sais pas si cela est très prudent. Il y a beaucoup de manifestations de mineurs en ce moment. Ne vous affichez pas trop avec cette voiture, elle est un peu trop voyante. Ce n’est jamais conseillé d’agiter une cape rouge devant un taureau.

Christa rit et promit d’être prudente. Leur conversation fut interrompu par un appel reçu sur son oreillette. Discrètement, la jeune femme s'éclipsa.

Après avoir passé des heures sous terre dans des puits étroits et obscurs, le fait de traverser les espaces arides entourant la mine lui donnait une impression de liberté qui lui tournait presque la tête. Elle se mit à fredonner une chanson tout en conduisant tranquillement.

Après avoir traversé une grande plaine, la piste s'engageait dans une gorge sinueuse. Christa n'aimait pas ce passage. Elle s'y sentait oppressée, comme si la montagne se refermait sur elle. Aux moutonnements doux des dunes de sable avait succédé la verticalité de grandes falaises de couleur ocre. Faute de vent, la chaleur était atroce et la climatisation du véhicule tournait à fond. Un éboulement se produisit, loin sur sa gauche. Le fracas retentit à ses oreilles avec un temps de retard à cause de la distance. Ses mains devinrent moites sur le volant. Enfin le décors minéral relâcha son étreinte et la voiture déboucha de nouveau sur une plaine désertique et caillouteuse.

Soudain, elle aperçu des véhicules venant en sens inverse, à vive allure à en juger au panache de poussière qu'ils soulevaient. Ils occupaient toute la largeur de la piste. Elle ralentit, persuadée qu’ils allaient se ranger, mais ils continuèrent à lui barrer le chemin en lui faisant des appels de phares pour l’inciter à s’arrêter, ce qu’elle fit. Les véhicules en face d’elle étaient de petits bus de transport de passagers utilisés habituellement pour amener les travailleurs sur leur chantier. Deux hommes habillés en mineurs descendirent du premier et s’approchèrent. Elle ouvrit sa vitre pour leur parler. La chaleur du désert la frappa au visage.

  — Bonjour messieurs. Que se passe-t-il ?

  — C’est nous qui posons les questions. Que faites-vous dans un véhicule de la mine ?

Elle fut surprise par l'agressivité de la question.

  — Il m’a été prêté pour que je puisse aller en ville.

L’homme eu un rire gras.

  — Oh les gars ! On lui a prêté une voiture pour aller en ville !

L'homme se retourna vers elle.

  — Vous savez que ce coin n'est pas le lieu idéal pour faire ses courses?

L'attitude machiste des deux hommes énerva Christa mais elle vit du coin de l’œil d'autres mineurs s'approcher. Voyant qu'elle avait à faire à un groupe d'hommes important et visiblement hostile elle essaya de ne pas être trop agressive dans sa réponse.

  — Toutes les femmes ne sont pas seulement ménagères, certaines ont des activités professionnelles.

L'homme n'eut pas l'air d'apprécier.

  — Que faites-vous à la mine?

  — Je travaille.

  — Sans blague ? Vous faites des gâteries au patron ?

Des rires résonnèrent à nouveau. La voiture était maintenant entourée par une vingtaine de personnes. Soudain l’un d’eux la reconnut. Il s’écria, surexcité :

  — C’est l’experte ! C’est elle ! C'est la salope !

Le cercle se resserra autour de la voiture, menaçant. Des coups de poings claquèrent sur la carrosserie, des injures fusèrent.

L’homme qui était venu parler en premier à Christa essaya de calmer les esprits.

  — On se calme les gars. Madame, vous êtes bien l’experte venue d’Ursianne ?

  — Oui, mais je ne vois pas le rapport…

  — Elle ne voit pas le rapport cette salope ! -Vociféra un mineur - On va lui faire voir le rapport. Sortez-là qu’on lui montre ce qu’on en fait de ses rapports.

Une clameur monta du groupe. De nouveaux coups résonnèrent sur la carrosserie. L’homme venu parlementer fut bousculé et Christa sentit des mains s’agripper à ses vêtements. Paniquée, elle essaya maladroitement de se débattre mais les hommes étaient décidés et la firent sortir du véhicule par la force, lui cognant violemment la tête contre l'encadrement de la portière. Elle se retrouva debout, adossée à la carrosserie. Sa tête lui faisait mal, du sang lui coulait dans les yeux. Elle eut un vertige. Les hommes hurlaient. Elle sentit que l'on essayait de déchirer ses vêtements. Des coups pleuvaient sur elle, les injures fusaient de partout. Elle distingua un coin de ciel bleu puis tout devint noir et elle sombra dans l’inconscience.

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