018 Sylvane

6 minutes de lecture

Attention, le contenu de ce chapitre est très sensible. Je n'ai pas l'habitude de dévoiler à l'avance mon histoire, mais la peur de choquer, voire de réveiller des souvenirs douloureux chez certains de mes lecteurs, m'oblige à préciser qu'il s'agit d'un viol. Je résumerai brièvement ce chapitre au début du suivant à l'attention de ceux qui préfèreraient ne pas le lire.


Sylvane sentait son cœur battre à tout rompre : elle allait rencontrer le Prophète, en tête à tête ! Lorsque la femme rousse était venue lui parler, lors du rassemblement dans la forêt, elle n’en avait pas cru ses oreilles. Le Prophète l’avait remarquée, il avait beaucoup apprécié qu'une jeune fille comme elle s’intéressent à son message. Il souhaitait la rencontrer, pour mieux connaître les préoccupations de sa génération. Les murs dansaient devant ses yeux, tandis qu’elle montait l’escalier menant au premier étage de la Maison du Mineur. Elle n'avait pas conscience des peintures défraîchies et des tapisseries décollées. Le prophète habitait là, donc c'était un palai pour elle. Cette porte, LA porte de son bureau, le saint des saints. La femme rousse l’avait prise par l’épaule, et lui expliquait patiemment que le prophète était épuisé par ses prêches, qu’il avait besoin de sentir l’amour de ses disciples, pour le conforter dans sa mission. Et puis la porte s’ouvrit.

A gauche, se trouvait un bureau, recouvert de dossiers. Sous la fenêtre, un grand fauteuil, dans lequel le prophète semblait en méditation. A droite un canapé rouge usagé.

Le prophète releva doucement la tête, et mis quelques secondes à la reconnaître, comme sortant d’un rêve.

« Il a des visions » pensa-t-elle.

Il se leva, lui pris les mains avec délicatesse, et la fit asseoir sur le canapé. Il s’assit auprès d’elle et fit un signe de tête à son accompagnatrice, qui ressortit du bureau et ferma la porte derrière elle.

  — Petite sœur, comme je suis content que tu ai accepté de me rendre cette petite visite. Je suis heureux de porter la parole à tous les hommes et femmes de bonne volonté, mais ceux qui me sont fidèles depuis longtemps sont particulièrement chers à mon cœur.

  — J’étais là pour le premier prêche ! fit Sylvane d’une voix chevrotante.

  — Je sais, petite sœur, je sais.

Le prophète la regardait attentivement, comme pour jauger ce qu’elle avait dans le cœur, au-delà des apparences. Elle se rendit compte qu’elle tremblait.

  — N’ai pas peur, petite sœur, tu n’es pas là pour être jugée. Seul le Seigneur peut nous juger. Mais il aura pitié de nos faiblesses, s’il trouve en notre cœur la flamme de la vérité.

 — Que la vérité guide nos pas !

 — Que le Seigneur soit miséricordieux !

L’échange de ces deux phrases rituelles permit à la jeune fille de se détendre un peu.

   — Que penses-tu du prêche de cet après-midi ?

  — Ah ! C'était merveilleux de vous entendre. Tout ce que je pensais confusément devenait clair et évident.

   — Tu es d'accord pour reconnaître que chaque individu est une entité dont il faut respecter la liberté, car il ne peut appartenir à personne ?

  — Oui, bien sûr.

  — Tu te sens toi-même une personne libre ?

  — Oui, tout à fait.

  — Et ton petit ami, est-il d accord avec ça?

  — Philippe ? Il est très gentil et ferait tout pour me faire plaisir.

  — Il n'est pas jaloux ?

  — Nous ne sommes pas mariés, ni même fiancés, juste copains.

  — A la bonne heure. Mais tu l'aimes bien ?

Elle fit une petite moue.

  — Oui, bien sûr. Mais nous avons le temps...

  — Le temps de mieux vous connaître, pour être sûrs de vos sentiments ?

  — Oui.

  — Vous avez déjà fait l'amour ?

Sylvane rougit et ne répondit pas.

  — Comprends-moi, petite sœur, je ne te questionne pas pour savoir tes secrets, mais pour avoir une idée de la vie que mènent les jeunes actuellement. Tu es mon témoin. Veux-tu me répondre ?

Elle s'en voulu d'avoir hésité à parler, c'était vraiment ridicule de buter sur un terme qui n'a rien d'extraordinaire. Le prophète faisait preuve d'une telle patience avec elle, elle devait s'en montrer digne.

  — Non, nous ne l'avons pas encore fait.

Malgré ses efforts sa voix était un peu plus rauque, les mots étaient plus durs à sortir. Le prophète l'écoutait avec attention. Une grande douceur émanait de lui. Elle se sentait tellement en confiance qu'elle ajouta d'elle même :

  — Philippe voudrait le faire mais j'ai peur qu'après il soit moins gentil...

  — Tu es jeune, mais ton instinct féminin ne te trompe pas. Les adolescents éprouvent le besoin de faire leurs preuves en tant que mâle, et le premier amoureux est rarement le compagnon de toute une vie. Tandis qu'un homme plus âgé voit les choses différemment. Il n'est plus seulement dirigé par ses pulsions, il sait reconnaître les qualités de sa partenaire, sa beauté, son intelligence, sa sensibilité.

Tout en parlant il s'était rapproché de Sylvana et lui avait pris la main. Il reprit.

  — Ma mission est dure. Je porte l'espoir de toute une foule, je ne dois pas les décevoir, je ne dois surtout pas me tromper. Je me sens si seul !

  — Mais, la dame rousse...

  — Prita ? C'est ma bonne fée. A l'hôpital, elle était mon infirmière. Et lorsque j'en suis sorti, elle a voulu me suivre. Heureusement qu'elle est là, à veiller sur ma santé, car sinon je me surmènerais, et j'oublierais de prendre mes médicaments. Et puis, elle me protège aussi des importuns. Sans elle, je serais sans arrêt dérangé, et ne pourrais pas mener à bien ma tâche.

Sylvane hocha la tête en signe de compréhension.

  — Mais son rôle s'arrête là. Il me manque quelqu'un qui me prendrait la main lorsque je suis las, qui m'apporterait un peu de douceur et de repos entre deux combats.

Sylvane posa timidement sa main sur celle du prophète. Il lui sourit.

  — Je sais que tu as un grand cœur. Je sais aussi que tu es prête à m'aider à porter mon fardeau. Petite sœur, notre mission est exaltante. Tu resteras auprès de moi ? Tu me permettras de surmonter la lassitude qui m'envahis parfois devant l'immensité de ma tâche ?

Sylvane se sentit partagée entre plusieurs sentiments. Elle ne comprenait pas très bien ce que le prophète essayait de lui dire, et en éprouvait de la confusion. Mais l'idée qu'il puisse ne pas avoir la force d'accomplir sa mission la paniquait. Comment pourrait-elle vivre sans ses prêches hebdomadaires dans la forêt?

  — Quel est ton prénom petite sœur ?

  — Heu...Sylvane.

  — Sylvane ? Mais c'est merveilleux. Sais-tu que ton prénom vient du latin sylva, qui veut dire forêt ? Comme cette forêt où j'ai tant de joie à venir porter la bonne parole ! J'adore Sylvane. C'est un signe de Dieu ! Laisse-moi prendre tes mains. Je suis heureux Sylvane. Dieu t'a envoyé vers moi !

Sylvane le laissa faire. Elle était toute étourdie par son discours. Se pouvait-il qu'elle ai une mission elle aussi, qu'elle entre dans les dessins de Dieu ? Le prophète lui baisa les mains puis, s'approchant encore plus d'elle, il l'entoura de son bras protecteur. Elle eu l'impression d'être prise dans un piège et se raidit, mais il continua à lui parler à mi-voix de son prénom, du rôle que Dieu lui réservait, de sa grande joie de pouvoir partager son fardeau avec une jeune fille aussi intelligente et sensible qu'elle. Elle essaya de se convaincre qu'un destin supérieur l'attendait.

Le prophète lui donna des petits baisers dans le cou. Ses mains commencèrent à caresser son corps. Elle eut l'impression d'étouffer. Des sanglots montaient de sa gorge et l'empêchaient de respirer. Il lui ouvrait son corsage, sa main était sur sa peau. Elle pensa au prêche de cet après-midi. Comme les mots étaient justes, comme le prophète était grand dans sa harangue, face à la foule. Elle se rappela l'émotion qui l'avait saisie alors. Elle ferma un instant les yeux et le laissa la coucher sur le canapé. Quand elle les rouvrit, sa vision était brouillée par ses larmes. Elle s'appliqua à fixer une tâche au plafond pour oublier ce qui se passait. C'était son destin. Grâce à elle, la parole de Dieu continuerait d'être portée aux fidèles dans la forêt magique, grâce à elle le prophète aurait la force de remplir sa mission jusqu'au bout.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Guy de Grenoble ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0