Chapitre 45 - Saorsa

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Je me hissais sur mon poney avant de regarder autour de nous. Enfin nous quittions le château d’Aalrika, nous allions rentrer chez nous, qu’importe le double titre que j’avais. C’était la première fois que les loups se rassemblaient en une grande meute aussi longtemps, d’habitude cela ne tenait que quelques mois, ou une année. Depuis dix ans cette alliance tenait, de peu de chose ! Mais elle tenait, et cela serait à moi de la maintenir et de faire grandir le royaume. Le phénix m’avait désigné comme équilibre du royaume ! J’allais devoir faire beaucoup d’effort pour m’assurer de la stabilité du royaume, les alliances, tout cela. Je sentais un poids sur mes épaules, mais j’avais la foi, les dieux étaient là pour me guider, je n’étais pas seule…


« Oh non… Tu ne seras jamais seule ! »


Je me retournai brusquement en entendant cette voix. Sadralbe ?! Non, non ! Il était mort ! Je secouais la tête et mes longues mèches sombres fouettèrent mon visage. Non ! Il était mort et il ne reviendrait plus !


« Saorsa. »


La main chaude d'Itham se posa sur la mienne et la serra doucement, je lui rendis un petit sourire avant de rassembler mes rênes et de talonner gentiment mon poney pour enfin se mettre en route.


Perdue dans mes pensées, je suivis machinalement la route avant de pointer du doigt la tour Grise avant de regarder le petit prince :


« Que s’est-il passé ?

- Oarf… Ça remonte il y a quelques années en arrière, notre première bataille.

- Il y en a eut d’autres ?

- Mouais, la tribu de l’aigle avait quand même quelques alliés. Ils ont pas apprécié qu’Aalrika refuse d’accepter que cet homme aurait pu être éventuellement notre père. »


Je sondais du regard le jeune loup qui se massa le flanc et je surpris le regard de Vahagn légèrement moqueur sur mon transformé. Je fronçais les sourcils avant de revenir sur mon petit bêta en secouant la tête pour chasser mes cheveux :


« C’était vrai ?

- Penses-tu vraiment que cela est important ? »


Je rougis un peu en lui donnant une tape sur l’épaule, il me fit simplement un sourire :


« Enfin, bref, les alliances ont joué, c’était le bordel, on a dû… intervenir et calmer les esprits.

- Des étoiles sont nées ?

- Oui. Beaucoup. »


Je hochais la tête. Ce n’était pas étonnant, Aalrika n’était pas tendre ou clémente avec les traîtres. La mort était le châtiment le plus courant. Le baptême du feu pour les garçons. Je n’étais pas étonnée que la reine les ait fait combattre. C’était essentiel pour eux de manier la hache et l’épée. Je pinçai légèrement les lèvres avant de froncer les sourcils :


« Et les peuples des grottes ? Comment vont-ils ?

- Toujours aussi blancs que le cul de la neige ! Mais ils vont bien. Ils font des merveilles dans leur grotte. Si ce n’est le ciel de pierre, tu pourrais te croire à l’extérieur dans leurs grottes. »


J’eus un sourire. Les peuples des grottes étaient plus que blancs, ils ne sortaient pratiquement jamais au soleil et se déplaçaient de nuit. Rares étaient les membres des peuples des surfaces à venir se joindre à eux. Mais cela ne les empêchait pas d’avoir de grande cavernes villes avec des champs, de l’eau… Ils étaient heureux de vivre ainsi. Très peu agressifs, ils savaient quand même se défendre, ne jamais aller dans leurs tunnels s’ils ne vous aimaient pas. Beaucoup trop dangereux. Enfin, au vu de leur implication dans la politique, ils essayaient d’être invisibles, payant les tributs et répondant aux appels quand on leur demandait. Peut-être que je les enviais… Je secouais la tête pour essayer de chasser mes pensées. Je sentis une main se poser sur mon épaule :


« Penses-tu pouvoir fuir dans ces cavernes ? Penses-tu que je te laisserais y aller ? »


Je me retournais brusquement, le cherchant des yeux, Vahagn s’avança aussitôt et tendit sa main, après une infime hésitation, je la pris et je le laissais se glisser dans mon esprit et défaire lentement le mauvais souvenir. Il plongea son regard dans le mien avant de souffler dans sa langue :


« Tout va bien… Il n’est pas là. D’accord ? Tout va bien. Il est mort, plus jamais il ne te fera du mal. Plus jamais. »


Je lui souris et il serra doucement ses doigts autour des miens. Il était toujours là pour m’aider à chasser ces visions. Je secouais légèrement la tête avant de la tourner vers ma sœur qui me sourit simplement. Enfin, à la nuit, on s’arrêta, non pas à une auberge, mais bien dans le campement de Nomades qui étaient visiblement encore là. Ils semblaient si heureux ! Si simple ! Ils nous racontèrent la légende des danseurs des vents. Les meneurs des Nomades. Et pourtant, jamais ils ne se voyaient, pour des aveugles c’était logique, jamais ils ne rencontraient ou prenaient des décisions. Alors… à quoi servaient-ils ? Les Nomades sourirent et contèrent que leur rôle était non pas la direction d’un peuple aussi libre que les nuages !, mais sa protection. En cas d’agression contre eux, les danseurs se rencontraient et… Et ils ne racontèrent pas ce qu’il se passait lorsque les Nomades se défendaient. Mais je ne comprenais pas comment on pourrait leur faire du mal. C’était des mémoires vivantes, de simples artistes ! Alors… Je pinçais les lèvres avant de leur demander s’ils avaient déjà eu des attaques, visiblement non. Mais ils affirmaient que la prévoyance était aussi la clé de leur survie. Soit… j’acceptais. Je me nichais dans les bras d’Itham en les regardant danser. Ça c’était agréable… Enfin, ils dansaient, certes, mais pas que, joueur avec le feu, création d’illusion, chants et acrobaties. Les Nomades étaient presque plus des saltimbanques qu’autre chose, si on oubliait volontairement leur proximité avec les fluides et leurs capacités supérieures à les dominer. Peut-être que c’était grâce au brassage des sangs ? Les Nomades allaient et venaient partout ! Les sangs des différents royaumes étaient dans leurs veines. Parler plusieurs langues, amener à eux les fluides, les capacités de l’esprit et du corps… Tout et n’importe quoi, ils semblaient être capables de tout. Peut-être que cela était inquiétant ? Je ne savais pas si vraiment ils pouvaient constituer une menace. Je n’en avais pas l’impression, personne ne semblait être agressif. Aucun ne semblait porter d’armes… J’étais perplexe et sans doute envieuse de leur manière de vivre. Qu’est-ce que cela devait être bien de vivre en dehors des conflits, vivre loin de tout juste se mêler pour les bonnes raisons. Qu’est-ce que je devais faire ?


Je mis pieds à terre avant de bailler longuement. Le tour du royaume avait été relativement fatiguant, mais j’étais arrivée enfin dans le nouveau domaine des meutes. J’observais autour de moi avec un sourire. Une forêt dans les montagnes, épaisse, pratiquement sans lien avec l’extérieur. Tout semblait fonctionner de manière autonome. J’avançais en suivant Caenar entre les arbres, ma sœur n’avait pas été admise, ni elle, ni Aolis ni aucun humain en réalité. J’inspirais profondément l’air emplis de senteurs bien particulières. Je défis mes bottes et me mit à marcher dans la mousse épaisse, j’eus un frisson. C’était un plaisir tout particulier pour moi, sentir collé à mon pied le moelleux, l’humidité, le froid… en un mouvement. Je fermais les yeux, debout, les pieds dans la mousse avant d’inspirer à nouveau.


« Saorsa ? »


Caenar était là, devant moi, me tendant la main, sans hésitation, je la saisis et il me guida au milieu des bois. Les autres se dispersèrent rapidement, chaque personne retournant chez elle, se fondant dans les bois, entre les arbres. Les forêts des montagnes où nous étions, entouraient le royaume du Nord, nous vivions et veillons sur les frontières. J’avançais souplement sous le couvert où perçaient avec difficulté les rayons du soleil, mon souffle se fit plus profondément alors qu’il me semblait avancer dans un rêve. Mes doigts effleuraient l’écorce des arbres ou les branches souples des buissons, leur feuilles effleurèrent mes doigts, la mousse sous ma plante des pieds. Je ne faisais même plus attention à Vahagn ou à Itham qui se déplaçaient derrière moi en silence, Caenar ouvrait la voie jusqu’à une simple cabane. Je reconnaissais l’architecture simple et un sourire étira mes lèvres, il tourna la poignée et j’entrais :


« Bienvenu chez toi. »


J’observais l’endroit, des étagères emplies de plantes séchées, de fioles, d’un mortier, de quoi faire de l’alchimie, un lit épais couvert d’une fourrure qui semblait être plus moelleuse que le matelas, un tapis coloré, des gerbes de blés et de fleurs des champs pendues aux murs. Une grande table une armoire et des étagères emplies de vaisselle en bois simple et de victuailles. Dans l’âtre brûlait un bon feu qui emplissait l’endroit d’une chaleur bienfaitrice et d’odeur de résine. Une autre porte devait mener à la salle d’eau, je la poussai : c’était bien ça. Je reviens dans la pièce principale, il y avait aussi un coffre pour mes affaires, que j’ouvris à son tour, de quoi résister à l’hiver, mais aussi un glaive, des outils pour mon métier. Il y avait tout. Caenar était appuyé négligemment sur l’embrasure de la porte.


« Ça te plaît ?

- Quand as-tu commencé tout ça ? »


Il désigna d’un mouvement de tête Vahagn qui détourna les yeux avec un sourire. Je hochais la tête sans rien dire de plus avant de fermer les yeux.


« J’aimerais… rester seule.

- Venez, je vais vous montrer vos maisons. »


Je les rouvris une fois seule avant d’ouvrir les tiroirs de la table un à un, puis ceux de la petite table de nuit. Je tendis la main et mes doigts saisirent un petit bracelet de cuir avec un rond de bois gravé et peint avec un autre disque par-dessus, ainsi que des perles de bois. Ma mère portait un bracelet semblable… C’était d’ailleurs le sien. Je reconnaissais les griffure à l’arrière du disque de bois.


Les objets survivaient plus que la personne.


« Par-delà les bois et les montagnes,

Chevauchons le vent et chantons.

Que chaque aube soit belle,

Que ton sang batte en mon sein.

Que notre course nous porte loin,

Que notre chant résonne au-delà des montagnes,

Crocs, griffes et sang

Loup et homme

Que se rassemble la meute,

Le loup solitaire est fort

Mais la meute domine

Dans le sang ou la paix

Oh-ho-oh

Lycanos et Tungl nous guident

Oh-ho-oh…

Traçons notre route en leurs noms

Oh-ho-oh

Que notre histoire se repende

Oh-ho-oh

Des montagnes aux plaines,

De l’hiver à l’été,

De nos doigts ou de nos griffes,

Que notre histoire se marque dans les esprits.

La course dans les bois,

Sous son regard d’Argent,

Nos chants pour lui rendre hommage…

Dansons dans son souffle…

Oh-ho-oh

Lycanos et Tungl nous guident

Oh-ho-oh…

Traçons notre route en leurs noms

Oh-ho-oh

Que notre histoire se repende

Oh-ho-oh

Je guiderais les nôtres

Je suivrais tes pas,

Même si Lycanos t’a rappelé,

Je te ferais honneur… »


Je pressais le bracelet contre mon front en finissant mon chant à voix basse. Comme-ci ce chant devait me ramener ma mère ou faire quoi que ce soit de positif. Ce n’était qu’un chant… Je me laissais tomber en arrière sur les fourrures en fermant les yeux à nouveau, le bracelet serrait dans ma main.

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