Chapitre 23 - Liliraele

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Saorsa cousait silencieusement assise à même le sol, elle avait choisi pour sa robe un tissu rouge vif et brodait en noirs des motifs floraux. Je n’avais jamais vu une robe ainsi, très courte, du moins pour dans le sud, au-dessus du genou ce n’était pas rien ! Elle ne comptait même pas porter de bas et elle avait pris les drôles de chaussons que je l’avais déjà vu porter lorsqu’elle avait dansé chez les nomades. Visiblement dans le nord on dansait aussi avec ce genre de chaussure. Je me penchais pour regarder son travail de broderie.

« Tu as brodé quoi comme fleurs ?

- Chrysanthèmes, Iris, Tulipes, Roses, Œillet, Myosotis, Magnolias, Hortensias, Hellébores et Cymbidiums.

- Toutes des fleurs de chez toi ?

- Non. »

Elle remonta une mèche derrière son oreille en continuant de broder avec attention, je n’y connaissais rien en plantes, mais elle semblait heureuse de broder cette robe que je gardais dans mes appartements. Elle avait peur que Sadralbe la déchire alors qu’elle y passait beaucoup de temps, cela en était presque effrayant, elle refusait de l’aide alors que ma propre mère m’aidait pour la mienne. La sienne demandait sans doute moins de travail, ou pas… Elle mettait tellement de détail dans la moindre de ses fleurs, des feuilles et du lien qu’elle créait entre, je tendis la main pour caresser la robe et elle gronda, Sadralbe se dressa aussitôt, une main sur son épée. Il croyait vraiment qu’elle allait m’attaquer ?!

« Sadralbe, c’est bon.

- Je n’aime pas qu’elle grogne ainsi. »

Elle ne réagit pas et j’observai ses doigts, elle se brûlait à chaque fois qu’elle manipulait l’aiguille… Mon regard découpa Sadralbe avec colère et je serrais les poings.

« Son aiguille est en argent, fis-je accusatrice.

- Oui. Et alors ? »

Je me mordis les joues, je le voyais bien que ma sœur n’allait pas bien, elle était très maigre, et nageait complètement dans ses vêtements. Elle ne prenait plus jamais ses repas avec nous… Je ne pus m’en empêcher :

« Ce n’est pas parce que mon père vous a promis une récompense pour sa garde que je le tolère ! Vous n’avez pas à la… »

Je sentis une main se poser sur mon genou, Saorsa semblait se moquer de la situation avec… une capacité incroyable. Je ne savais pas comment elle faisait pour ne rien dire, pour n’avoir pratiquement pas réagi à ce qu’il lui arrivait, je ne savais pas encore ce que lui avait promis mon père, mais il était intenable… Saorsa ne semblait même pas le remarquer. Je reviens vers elle, pour examiner ses broderies très fines, elle chuchota dans sa propre langue :

« Tu en penses quoi ? »

Je tendis les mains et elle accepta de me prêter sa robe pour que j’examine les fines broderies. Le point n’était pas toujours régulier, mais elle ne semblait pas vouloir s’arrêter. La douleur ne devait pas aider, mais… je ne pouvais rien dire. Je caressais tout doucement le tissu fluide et souple qui semblait avoir une vie propre. Le col sage, le laçage dans le dos…

« Tu ne veux pas l’essayer ? Pour être sûre qu’elle t’aille ? »

Sitôt dit, sitôt fait ! Elle l’attrapa et disparu derrière un paravent quelques minutes avant de revenir, je me redressai un peu avant de me lever pour l’examiner avec attention. La robe lui tombait parfaitement, un col rond, aucun décolleté, sa taille fine était mise en valeur par la ceinture, et la jupe tournait autour de ses jambes au-dessus de ses genoux, elle avait les bras nus. Elle avait dû adapter sa robe au climat beaucoup plus chaud du sud. Le rouge mettait en valeur sa peau encore légèrement brune, les broderies, malgré leurs quelques ratés, étaient très belles et elle avait bien progressé sur toute la jupe et elle avait déjà attaqué de broder la ceinture. Ça lui allait tellement bien ! Et le laçage dans le dos était si discret et si fins qu’on ne le voyait presque pas…

« C’est trop court. »

Sadralbe venait de se lever à son tour, je m’interposai aussitôt pour éviter qu’il ne déchire la robe, j’examinai soigneusement la robe à nouveau, prenant la main de ma sœur pour la faire tourner.

« Je ne trouve pas, elle est au-dessus du genou certes, mais elle n’a aucun décolleté rien de dévergondé.

- Elle est sous ma garde, je crains que je sois celui qui décide.

- Pardonnez-moi Sadralbe, seriez-vous devenu brutalement prince ? Jusqu’à preuve du contraire, je suis sa sœur aînée et celle qui doit la guider dans sa tenue. Visiblement il s’agit d’une tenue typique du Nord, en quoi cela serait vulgaire ? Ce sont ses racines après tout. »

Je sentis le souffle me manquer face à son regard froid et colérique du chasseur, mais je ne lâcherais pas, ma sœur avait le droit de mettre cette robe ! Elle tourna à nouveau sur elle-même et sourit un peu avant de retourner se changer pour sa chemise et son pantalon, elle s’installa à nouveau à même le sol pour broder tranquillement. Sadralbe finit par se rasseoir avec lenteur et je reviens près de ma sœur, je désignai le lien qui unissait les fleurs entre elles :

« C’est quelle plante ?

- Du lierre. Ça, ça pousse dans le nord. »

Elle me sourit et j’eus un rire avant de reprendre les rubans qu’elle m’avait conseillé de broder, Saorsa m’avait dit que les siens seraient blancs sans m’expliquer pourquoi. Les miens avaient les mêmes teintes que ma robe, ça me semblait plus logique, ma sœur ne m’avait rien dit sur ce côté-là, elle restait particulièrement secrète. Je crois que même devoir l’accepter parmi nos rangs pendant la visite de la reine Aalrika hérissait mon père, mais c’était assez connu qu’il avait une bâtarde, si bien qu’il n’avait pas le choix. C’était surtout ma mère qui avait fait un scandale jusqu’à ce qu’il cède. J’aurais presque pu avoir de la peine pour lui… mais non. En tout cas, il écartait soigneusement Saorsa, la laissant uniquement broder sa robe, mais la décoration, l’organisation des chambres, elle n’avait même pour le droit de poser des questions. Mais ça semblait beaucoup plus l’amuser qu’autre chose. Décidément… j’avais l’impression de moins en moins bien connaître ma petite sœur, comme-ci sa fuite malheureusement trop courte, avait réveillé bien des choses en elle. Je serrais légèrement les poings sans rien dire, mon regard se promenant sur sa nuque. Elle savait tellement de choses sur moi, elle savait ma préférence pour les femmes, mais elle n’en disait mot. Et moi ? Qu’est-ce que je savais d’elle ? Peu de chose en réalité… Je la savais proche de mon futur fiancé, quelques brides, mais… je ne connaissais pas réellement sa vie d’avant, sa vie auquel elle voulait revenir… J’aurais adoré pouvoir l’aider à se cacher dans le convoi de son peuple, mais j’avais déjà réclamé à mon père qu’elle vienne à mon mariage. Ma dame d’honneur. Et ça avait fait rire Saorsa et elle m’avait juste remercié. Au moins j’étais sûre qu’elle viendrait au mariage et une fois là-bas… J’eus un sourire léger, je ne la laisserais pas retourner dans le sud, si elle s’échappait personne ne pourrait la retrouver dans son royaume.

« Comment avancent vos broderies ? »

Je souris à ma mère qui s’avança en ignorant Sadralbe. À part mon père et mes frères, personne ne lui offrait véritablement une attention. Saorsa resta silencieuse en continuant son ouvrage, ma mère examina en silence avant de venir sur mes rubans de soie. Elle les examina et hocha la tête.

« Ça ira très bien avec tes cheveux. »

Le blanc trancherait à merveille avec mon châtain et j’étais sûre de faire une jolie coiffure avec et cette teinte irait aussi à ravir à ma sœur avec ses cheveux bruns-noirs. Enfin, elle semblait toujours se moquer comme d’une guigne, déjà, comment allait-elle se coiffer ? Pour ma part cela serait probablement un chignon décoré des rubans. Cela devrait bien suffire, j’étais jalouse des cheveux raides de ma sœur, les miens étaient bouclés et rebelles. Ma mère reprit la parole :

« Midelia ? Est-ce que tu connais un peu les goûts de la reine Aalrika ? »

Ma mère n’appelait pas Saorsa par son vrai nom en présence d’autres personne, ma sœur inclina légèrement la tête sur le côté en continuant de broder soigneusement, je fis signe à ma mère de poursuivre, ma petite sœur venait de l’inviter à préciser sa question. Il fallait décoder le langage de la nordienne.

« J’imagine qu’elle est habituée au froid…

- Majestée, Midelia n’a pas le droit de participer aux préparatifs. »

Sadralbe. Encore. Ma mère le détailla de haut en bas et de bas en haut avant de reprendre d’une voix acide :

« Si j’ai besoin de vous, je vous sifflerais.

- Midelia n’a pas le droit de participer. Répéta t-il. Je ne voudrais pas rapporter à votre époux…

- Alors ne rapportez pas. Midelia, les couvertures légères suffiront ? »

Elle hocha la tête en silence et après quelques mots avec moi ma mère repartit. Saorsa n’avait pas prononcé un mot, mais j’étais sûre qu’elle bouillait de parler… Quoi que non, c’était ma sœur, elle ne parlait pas beaucoup. Sauf que Sadralbe allait trouver un moyen pour la punir, même si elle n’avait fait qu’un hochement de tête. Il s’était levé, il ne laisserait pas Saorsa seule avec moi plus longtemps.

« Midelia, il va falloir aller vous reposer un peu. »

OH ! Et avec ce ton mielleux ! J’avais envie de lui arracher les yeux de la tête ! Ma sœur finit son point, noua le fil tranquillement avant de ranger ses affaires et e plier la robe pour me la donner. Pourquoi était-elle aussi docile ? Quoi que non, je le savais, elle n’avait pas envie de se voir interdire la possibilité de voir les siens… Et j’avais soigneusement gardé pour moi l’information sur ses liens avec la famille royale. Il valait mieux que père n’en sache rien, il la ferait enfermer et lui interdirait de sortir. Elle se redressa vivement, lissa sa tenue du bout des doigts et rejeta en arrière sa tresse avant qu’elle ne suive Sadralbe comme-ci tout allait bien. Tout n’allait pas bien Saorsa, je le savais… même si tu ne voulais rien dire. J’avalais ma salive en serrant la robe contre moi une fois la porte refermée derrière elle, je me sentais brusquement seule… Je finis par regagner ma chambre pour ranger la robe de ma sœur à l’abri, avec la mienne. Ma pote claqua brusquement… Étocle… Il était intenable depuis qu’il avait appris que les trois princes du Nord venaient : ils étaient d’excellents combattants d’après ce qu’on savait et il devenait totalement fou, il voulait leur prouver qu’il leur était supérieur.

« Est-ce qu’elle t’a parlé des princes ?!

- Bonjour Étocle, je vais très bien, merci de me le demander.

- Oui, bon, bonjour Liliraele, désolé de te déranger, est-ce qu’elle t’a parlé des princes ou pas ?! »

Je passai une main dans mes mèches indisciplinées sans rien dire, tout ce que je savais c’était qu’elle les avait côtoyés, mais ce n’était que pendant six ans, ils avaient eu le temps d’évoluer beaucoup ! Mais je gardai le secret de ma sœur, je soupirais un peu :

« Elle ne m’a pas parlé du Nord, et ça fait presque onze ans qu’elle n’y est pas allée ! Qu’est-ce que tu veux qu’elle te dise ?

- Elle doit bien connaître les techniques du nord, non ?! »

Je soupirais en me massant les tempes, c’était vraiment pas la peine de discuter, il n’écoutait pas, pas du tout.

« Si tu n’es pas content tu n’as qu’à aller lui demander toi-même !

- Non. »

Étocle détestait profondément Saorsa parce que c’était une bâtarde, parce qu’elle avait un an de plus que lui, parce qu’elle savait plus de chose, parce qu’elle n’avait pas peur de lui et de ses colères explosive, ni même de sa haute taille… Il ressemblait à père… Ça ne devait pas aider à lui faire peur, ça devait même lui donner plus envie de le défier. Il repartit aussi vite qu’il était venu je poussai un long soupir avant de me laisser tomber sur mon lit. Et bien… accueillir le Royaume des Montagnes et des Neiges promettait…

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