Chapitre 7 - Saorsa

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Une journée après l’autre, un siècle après l’autre devrais-je dire, le temps s’écoulait. Je détestais cette vie, cet endroit… Tout le monde ! Les personnes supportables étaient la reine et sa fille aînée. Les deux autres garçons et la petite dernières, j’avais plus envie de leur arracher la tête avec les dents qu’autre chose. Peut-être parce qu’ils ressemblaient trop à leur père ? Possible. Sans parler de Sadralbe. Pire que tous. Il m’avait fouetté avant de me ramener un repas complet et pas du tout trafiqué. Je l’avais dévoré avec un plaisir évident, malgré la douleur de me dire que j’appréciais quelque chose de ce monstre à pattes. J’avais du mal à suivre, il s’était brusquement montré gentil avec moi… Comme-ci il voulait me féliciter d’une chose. Tss… Il croyait vraiment que j’allais l’aimer ? Non, c’était impossible. Mais cela avait fait du bien de manger, autant que pour moi que pour mon corps.


Je regardai la page de parchemin que j’avais devant les yeux. De la traduction… Je me frottai les yeux avec un bâillement d’ennuis, les traductions… C’était tellement barbant, les langues j’en parlais largement assez. Rien qu’avec les meutes j’avais… une dizaine de dialectes différents. En plus des langues principales du nord, à savoir trois. Une pour la cour royale, celle des peuples des montagnes et celle « officielle » des loups-garou. Et bien sûr, apprendre d’autre c’était d’une facilité déconcertante pour moi. Pour la plupart des nordiens c’était une question d’heure, moi c’était de jours Et cette langue, bien qu’elle soit du royaume de l’est, je la maîtrisais déjà alors que cela faisait seulement trois jours qu’on l’étudiait.


« Midelia, vous semblez bien fatigué, cette traduction vous ennuie ? »


Je levai les yeux vers l’homme, le précepteur, qui me cassait les pieds depuis trop longtemps. Sadralbe était juste derrière moi et j’étais sûre qu’il se préparait à une punition dont il avait l’imagination. Je pris tranquillement le texte avant de le lire d’une traite dans leur langue avant de le relire dans la langue de l’est. Je haussai les épaules en répondant d’une voix fâché :


« Non, c’est facile. »


Liliraele rit derrière sa main en me regardant un éclat joyeux dans le regard, le professeur semblait surprit et il ne put que balbutier :


« Je… euh… je… bien. Vous l’aviez appris quand ?

- Il y a trois jours.

- Et tu parles encore notre langue avec un accent ? »


Je ne relevai pas ce que le chasseur disait, je faisais exprès d’avoir mon accent du nord en permanence, ou presque tout le temps. Je l’avais quand je le voulais. Pas pour le reste des langues, juste histoire de faire enrager Wilkin. Il fallait dire que je détestais cette langue, je ne pouvais pas accepter d’avoir appris cette langue aussi violemment. Le précepteur soupira un peu et après s’être gratté la tête il finit par déclarer :


« Soit, prenez un livre et occupez-vous en silence. »


Il croyait sérieusement que j’étais du genre bruyante ? Je claquai ma langue contre mon palais avant de quitter ma chaise et d’avancer entre les rayonnages, observant rouleaux et livres. J’étais trop petite pour en atteindre la moitié, mais ce n’était en réalité pas tant un problème que ça quand on maîtrisait le vent. L’herbier tout en haut attira mon regard, ainsi que ma main et les fluides du vent qui s’élevèrent doucement, telle une main pour le saisir et le tirer hors de son emplacement. L’odeur poisseuse et désagréable du chasseur planait derrière moi, si je faisais un pas, il en faisait un. Bon toutou. J’eus un sourire pour moi, léger quand même. Chaque fois que je faisais un geste, je sentais les brûlures de fils en argent de vêtements me rentrer dans la peau. Un de ses moyens de torture préféré. Entre ça, la poussière et les pointes d’argent dans les draps, non mais, il fallait le reconnaître, il était particulièrement imaginatif, j’en serais presque imaginative.


« Tu t’intéresses aux plantes, chienne ? »


Je ne relevai pas, ni son insulte, ni l’utilisation de la langue de la cours du Nord, il avait un accent épouvantable, pas sûre que d’autre personne que les paysans du plus profond des montagnes ne le comprenne. Je l’ignorai pour me diriger vers une table et lire tranquillement l’herbier. Rien de bien incroyable, mais au moins je continuai à mémoriser les plantes, je ne passais qu’un court instant sur chaque page, lisant et mémorisant tout aussi vite les informations. Apprendre c’était bien, mais il fallait surtout pouvoir s’en servir et ce n’était pas ici que je pourrais être guérisseuse. Ici on attendait que je sois polie, souriante, apprêtée comme une poupée, je n’étais pas ça. Non, j’étais une alpha ! J’étais faite pour chasser, pour m’occuper de la meute, de la diriger, savoir où et quand frapper, s’entraîner… Je continuai à tourner les pages une à une en lisant vaguement, la moitié des informations je les connaissais déjà de par ma mère. Je refermais le grimoire pour le ranger à sa place. Les livres étaient précieux, il fallait en prendre soin.


« Lassée chienne ?

- Ton accent rend tout incompréhensible. »


Je lui jetai un regard méprisant avant de me faufiler dans le reste des rayons et le titre Magies hérétiques et maudites attira mon attention. Mais… aucune magie n’était hérétique ! Certaines étaient plus rares que d’autre, mais c’était tout ! J’ouvris le livre presque avec colère pour y lire quelques mots avant de le claquer avec rage. Magie du sang ?! Hérétiques ?! Qu’est-ce que c’était que cette bêtise ! Elle était rare et très peu utilisée ou uniquement par des peuples barbares… ?! Elle était utilisée dans le Nord par tout le monde, ou presque. La famille royale, la quasi-totalité des loups et une majorité des guerriers la pratiquaient à différents stades. Rare ?! Ici sans doute, mais pas chez moi. Magie maléfique pouvant tuer… Oui ! Mais comme toutes ! Elle servait surtout à soigner et protéger des corps. Je secouai la tête avec courroux avant de bousculer le chien de chasse et quitter vivement la bibliothèque sans même écouter le chasseur, claquant la porte derrière moi. Le cours de langue était inutile pour moi, mais le chasseur me suivit à pas rapides. Je descendis quatre à quatre les marches avant de déboucher sur la cours, l’odeur de sueur me frappa le nez et me fit pivoter pour observer les guerriers et les soldats se battre contre des poteaux de bois et de cuir. Dans le Nord, on utilisait surtout des armes courtes, glaives, haches, arc, boucliers ou bâton de combat. Sans oublier les poignards. Dans les forêts, les poignards étaient bien plus utiles que les grandes épées d’ici, sans oublier nos arcs, nos frondes et nos arbalètes. Mais si je devais me battre en terrain découvert j’utiliserais un glaive et un bouclier. Dans la forêt, mes poignards, et une fronde suffisaient souvent largement. Souvent. Pas tout le temps… Parfois mes crocs et mes griffes faisaient de bien meilleures armes qu’on pouvait le penser.


Je m’adossai à la barrière pour les regarder se battre sans rien dire. Je me revoyais encore dans la cours, avec les jumeaux, eux à l’épée, moi à danser avec mon arme, le regard de nos mères sur nous, les rires et leurs discussions. Leur petit frère qui nous regardait avant de nous imiter à sa manière, assit sur une souche. Il avait un si joli rire aussi. Mais j’aimais les yeux pétillants des jumeaux, leur corps souple quand nous dansions ensemble au son de la musique jouée par nos mères. Je suppose qu’ils allaient tous bien sinon je l’aurais appris d’une manière ou d’une autre. Le plus jeune avait mon âge et eux deux ans de plus que moi.


Le chien s’était installé derrière moi, je ne bougeai pas, concentré non pas sur les guerriers, mais sur mon passé. Ma respiration devient profonde et mes yeux se fermèrent à moitié, j’entrouvris les lèvres, laissant les effluves caresser ma langue. Il y avait plusieurs méthodes pour descendre en méditation profonde, permettant de se remémorer bien des souvenirs, et je préférais largement celle stimulant mes sens. Mes yeux se fermèrent complètement.


Il faisait très froid, c’était l’hiver, les rayons du soleil frappaient sur la pierre à peine visible sous la couche de neige. J’étais juchée sur un cheval, ma mère chevauchant devant moi, des sacs de selle sur la croupe de son cheval. J’observai autour de nous, l’odeur du froid et du cuir flottait dans l’air, ce n’était pas les odeurs habituelles pour moi.


« On va y rester longtemps ?

- Tu en as déjà marre ? Cela ne fait pas longtemps que nous sommes parties. »


Ma mère se tourna et me sourit. Les tatouages de sa lignée remontaient jusqu’à l’os de sa mâchoire et sa longue chevelure blonde cendrée était tressée et piquée de fleurs et d’herbes séchées avec d’autres rubans de couleur. C’était joli.


« Non ! C’était juste pour savoir.

- Peut-être un peu plus longtemps cette fois. Elle a beaucoup de question à me poser, ce ne sera pas comme l’hiver dernier où nous sommes restées que quelques semaines, mais cela ne devrait beaucoup plus longtemps. »


Je souris largement, je préférais les bois et leur tranquillité à l’agitation sans fin de cet endroit. Le seul avantage était de pouvoir voir les jumeaux et le petit frère pour en profiter un maximum.


« Maman ? Pourquoi papa ne vient pas ?

- Mon frère a la meute à gérer. Il ne peut pas être partout ma puce. »


Je plissai le nez, je savais très bien que par le sang Caenar était mon oncle, mais il s’occupait tellement bien de moi que c’était presque comme un père et puis grâce à lui j’avais des frères et sœurs de cœurs. J’avais hâte de voir Itham, Aolis et Eoran, mais il fallait encore attendre un peu. Je fis trotter mon poney pour venir à côté de ma mère. Je vis bientôt des gens au sommet des murailles dont deux petites silhouettes qui s’agitaient. Ma mère éclata de rire et les pointa du doigt :


« Itham et Aolis t’attendent avec impatience.

- J’espère voir Eoran aussi.

- Il n’y a pas de raison. »


Je souris largement à ma mère avant de serrer sa main dans la mienne, de l’autre je répondais aux garçons. Ma mère me lâcha ma main pour me caresser la joue :


« Tu te tiendras bien, hein ? Petite princesse. »


Je roulai des yeux avant de rire et d’écarter le col de ma chemise pour m’exclamer avec fierté :


« J’ai ma lignée maintenant ! Je ne peux pas faire de bêtises ! »


Ma mère éclata de rire et m’embrassa le front avec tendresse.


Je touchai au travers du tissu les marques d’encre, les marques de ma lignée qui s’étendaient de mon épaule à ma hanche, les premières marques étaient celle de ma mère, je ne portais pas de marque indiquant mon père, je n’avais que la lignée de ma mère et de mon père de cœur. Ça prouvait bien que Wilkin n’était pas mon père, il était noté comme « Donneur de semence ». Je n’en avais pas, pas d’autre père que Caenar. Je me secouais un peu en regardant le soleil, presque l’heure de supporter de la nourriture. Je pris une profonde inspiration, l’odeur du chien derrière moi, il n’avait pas bougé, à croire qu’il n’avait que ça à faire de ses journées.


« Impressionnée ? »


Eoran se battait mieux qu’eux dans mes souvenirs et il avait dix ans dans ma tête. Je me détournai de la scène sans répondre, ma sœur voudrait manger avec moi, au moins sa conversation était plus agréable que celle du chien. Je m’assis sagement à ses côtés et elle m’observa avec attention :


« Ça va ? Tu as les yeux rouges. »


Je hochais la tête sans rien dire de plus. Elle en avait l’habitude : elle ne s’offusquait pas c’était ma manière de faire et de vivre. Je crois qu’elle aimait ça aussi que je sois silencieuse. Je humais vaguement mon plat avant de prendre de minuscules bouchées, laisser le temps à mon corps de s’habituer aux drogues.


« Il va y avoir une cérémonie ce soir. »


Je relevai la tête de mon plat pour regarder Liliraele droit dans les yeux avant de pencher la tête sur le côté, curieuse d’en savoir plus, elle avait apprit à décoder mes regards et gestes plus que mes mots. Peut-être y voyait elle une sorte d’entraînement pour son avenir de reine ?


« Au temple, nous y sommes tous conviés, toi aussi. Tu sais c’est comme tous les mois. »


Je n’y avais pas été depuis longtemps, je détestai ça, et sur les derniers mois la pleine lune était tombée sur ces cérémonies d’hommage à des dieux que je ne reconnaissais pas. Non, moi je vénérais la déesse de la lune ainsi que le Phénix Sanglant, le protecteur du royaume du Nord. Je grondais légèrement et repoussai mon assiette sans presque l’avoir touché :


« Mmh… »


Je n’avais pas le choix de toute manière, ou si. Je savais très bien comment j’allais faire. Un sourire étira doucement mes lèvres.

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