Chapitre 26

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Après cette révélation, je restais hagarde quelques jours. Ne répondant que très peu aux sollicitations. Au moins, mes émotions étant anesthésiées. Je n'étais plus violente et c'était ça de moins à gérer. Tout le monde était au courant des révélations du Marcheur. Et tous me protégeaient depuis le début. Ça faisait chaud au cœur.

Comment est-ce que j'allais pouvoir gérer un pays alors que j'avais déjà du mal à gérer ma vie ? Ash me manquait d'autant plus, il aurait pu m'aider pour tout ce qui m'attendait. Syrae ? Elle devait déjà avoir fort à faire entre l'Académie et son rôle de successeur. Je ne voulais pas retourner là-bas, je n'étais pas encore prête à les affronter. D'autant plus que maintenant j'avais la responsabilité d'un peuple, j'apportais l'espoir dans cette terre si aride.

— Rishab tu dois te tromper !

Il éclata de rire avant de redevenir plus grave.

— Bien sûr que non ! Ta venue avait été annoncée. Dès la première fois que je t'ai vu, j'ai su. Je n'ai pas le droit de t'expliquer comment je le sais. Tu le découvriras assez tôt.

Il avait ce sourire énigmatique qui me donnait froid dans le dos. Ce qui était positif pour lui, ne l'était pas forcément pour moi.

Pourtant, la fureur recommença à tenter de m'envahir. Cette fois-ci pas uniquement contre la famille royale mais aussi contre ce putain de karma qui s'acharnait sur moi. Me rappelant ma conversation avec Rishab et mes nouvelles responsabilités, je me décidais d'aller à la rencontre d'Arooshi. Je devais trouver un moyen de canaliser mon énergie qui menaçait d'exploser à tout moment.

En sachant tout ça, j'avais l'impression de remarquer chaque progrès de la terre. Je pense que ça faisait la même sensation que de voir son enfant faire ses premiers pas. La moindre petite fleur, même la moindre mauvaise herbe, me fascinait. J'avais quand même toujours du mal à y croire.

— Bienvenue à toi ma Reine. Que puis-je faire pour te servir ?

J'eus du mal à ne pas grimacer à ces mots. Je ne voulais pas être associée à ce terme et en même temps, apparemment, c'est ce que j'étais. Je m'inclinais devant cette vieille femme toute fripée qui me regardait gentiment.

— Merci Arooshi. Appelle-moi Elisabeth s'il te plait, je n'ai rien d'une Reine.

— Tu as beaucoup plus d'une Reine que tu ne l'imagines. Mais qu'il soit fait selon tes envies. Elisabeth.

— Je te remercie. Je ne sais pas si Rishab t'en a parlé, depuis la ... mort ... d'Ash, j'ai des crises de colère qui me pourrissent la vie. Le seul moyen que j'ai trouvé pour l'évacuer est de combattre. Mais je ne peux pas épuiser ainsi nos guerriers ! Peux-tu m'aider avec ces crises ?

— Je ne peux pas te faire oublier ton amour perdu. Il pourrait être possible, mais dangereux, de supprimer complètement tes crises. En revanche, tu pourrais les canaliser vers autre chose.

— Dis-moi ce que je dois faire Arooshi !

— Mastique bien cette feuille et laisse-toi porter par ma voix.

Elle me tendit une feuille de la taille de la main que je pliais pour mettre dans ma bouche. Pendant ce temps, elle raviva son petit foyer et y projeta de nombreuses herbes dont je ne connaissais pas le nom. Le goût n'était pas très engageant, le côté amer m'envahit. J'eus du mal à ne pas avaler ou recracher.

Pendant ce temps, une mélopée s'échappa de la bouche d'Arooshi. Suivant ses conseils, je me laissais totalement happer par sa voix. Je sentais ma conscience légère et mon corps lourd, si lourd ... J'avais envie de me rouler en boule à même le sol. Sans que je ne l'aie vraiment décidée, je me retrouvais en position foetale, au sein d'un cocon que la terre avait formé pour m'accueillir. Je me sentais tellement loin et tellement proche en même temps.

Les limites de mon corps se brouillèrent, mon âme se détacha et vibra avec les sons émis par cette vieille femme. Contrairement à son apparence physique, son âme vibrait dans une parfaite harmonie de teintes chaudes. J'eus l'impression de passer du temps à l'observer. Puis je me sentis happée par la terre. En parallèle un manteau de verdure vint recouvrir mon corps physique pour le protéger et le rendre inaccessible.

Mon âme fusionna avec cet endroit qui me reconnaissait comme sien. C'est là que je pris toute la mesure de ce que mon nouveau statut impliquait. Je devrais veiller sur eux tous. Tous ces êtres que je sentais galoper sur mon dos, qui faisait vibrer ma terre. Aussi pour tous ceux qui ne manqueraient pas de revenir vers l'Ezekie après l'avoir fui il y a plusieurs siècles.

Je comprenais ce que m'avait dit Rishab. Je voyais un lien intangible exister entre tous mes sujets. Je pouvais assez rapidement localiser tous les habitants grâce à celui-ci. De plus, chacun de ceux des miens que je rencontrerais saurait qui j'étais. La Reine que sa terre s'était choisi. Au diable l'anonymat.

Je me liais à la terre qui chantait mon arrivée et son renouveau. La mélodie devait raisonner en chaque membre de mon peuple, présent en Ezekie ou non. Il était temps pour eux de rentrer à la maison, s'ils le voulaient. J'aurais eu le pouvoir de les obliger, pour autant, je ne souhaitais pas être ce genre de personne.

Je sentais aussi que la terre cachait un autre secret en elle, un secret qu'elle n'osait pas encore me révéler, qu'elle s'était bien gardée d'ébruiter au cours des siècles. Elle n'avait encore jugé si j'étais digne de partager ça avec elle. Jusqu'à là, même si elle avait éprouvé une affection sincère pour ses rois et reines qui l'avaient choyé, elle n'avait pas encore trouvé celui à qui elle ouvrirait totalement son cœur. Oh comme je la comprenais, elle avait trop peur de souffrir.

Sa chaleur se propageait en moi. Elle envahissait chaque parcelle de mon corps, le moindre recoin. Je me sentais bien, portée par sa vigueur retrouvée. Un fin tremblement monta, comme un chat qui s'étirait après une longue sieste.

Je compris que je devais attention à mon état d'esprit. En effet, la terre s'était totalement accordée à moi et nous vibrions à l'unisson. Ainsi, si l'Ezekie souffrait, je souffrais. Si j'étais en colère, l'Ezekie aussi. Et vu la puissance contenue en elle, je devais faire attention à ce que je voulais. Je pouvais faire de cet endroit un paradis comme un enfer. Je n'avais plus le choix de que de comprendre comment canaliser ma colère.

Sur ces pensées, je revins à moi. Allongée sur le sol, je n'avais pas bougé d'un iota. Arooshi me regardait, interrogative.

— Comment te sens-tu Elisabeth ?

Je bougeais mes membres précautionneusement. Je fis jouer mes muscles, ils n'étaient pas endoloris. De la végétation me recouvraient, comme une douce couverture.

— Hum ça va. Je suis restée longtemps comme ça ?

C'était vrai, je me sentais totalement reposée et en harmonie avec moi-même. Je voyais le paysage d'un oeil nouveau. Il me faudrait un peu de temps pour m'habituer aux sensations que je ressentais. Si je le voulais, je pouvais voir la fourmi qui se déplaçaient au fin fond des canyons, sentir ses petites pattes chatouiller mes sens. Tout comme le pas galopant des chevaux que le frémissement avait surpris.

— Cela fait deux heures que tu es étendue là. As-tu eu les réponses que tu attendais ?

— Ok. Merci Arooshi. Pas totalement. Au moins maintenant, je n'ai plus de doutes sur le choix de l'Ezekie. Je te remercie pour ton aide, répondis-je en m'inclinant.

Je partis m'installer à l'écart du camp avec Shadow. J'avais besoin de réfléchir à tout ce que je venais d'apprendre. C'était une sacrée pression que j'avais sur les épaules. Est-ce que j'arriverais à diriger tout un peuple qui comptait sur moi ? Qu'étais-je censée faire ? Je n'avais pas été élevée pour ça ...

— Ne t'inquiète pas Elisabeth. Tu seras une très bonne reine, la terre ne s'est jamais trompée.

Rishab m'avait retrouvée.

— Qu'est ce que je dois faire ? Je ne sais pas comment je dois m'y prendre.

Il s'assit dans l'herbe près de moi, avant de me serrer fugacement contre lui.

— Tu dois être là pour répondre aux attentes de la terre qui t'a choisi. N'oublie pas que nous sommes un peuple de nomades et de marchands. Ce n'est pas comme à Arenlone avec tous ces courtisans. Je ne sais pas comment tu le ressens mais ce n'est pas ce que ton peuple a besoin.

— Je peux ne pas gouverner alors ?

Je le regardais, étonnée. Alors qu'ils n'avaient qu'une hâte de retrouver leur souverain, il ne semblait pas enchanté par cette idée.

Son regard se perdit au loin et le silence s'étira.

— Tu devras gouverner. Tu devras trancher. Tu devras faire appliquer les lois et les règles. Mais rien ne t'oblige à le faire tout de suite et de façon conventionnelle. Nous avons besoin de toi pour assurer notre cohésion. Tu dois nous donner les grandes directions. Pour autant, n'oublie pas. Fondamentalement, nous restons un peuple épris de liberté.

Je pensais comprendre ce qu'il me disait. Il fallait que je sois présente sans être envahissante. La limite était ténue et je ne pourrais satisfaire tout le monde. Etre ce genre de reine m'allait bien, qu'on attende pas de moi de prendre toutes les décisions à leur place.

— Ça ne va pas être facile.

— Oh ça non !

Il s'amusait de mon désarroi.

— Par contre, tu sais que nous serons toujours là pour toi. Ma Reine.

Ce titre me donnait froid dans le dos avec toute la pression qu'il comportait.

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