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Si vous lisez cette lettre c’est qu’une nouvelle ère de l’espèce humaine a vu le jour. Je pense être le dernier spécimen d’Homo Sapiens vivant sur cette planète.

J’ai découvert les premiers symptômes de l’épidémie il y a 20 ans, lors d’une mission en tant que sociologue dans un entrepôt logistique. J’y avais été appelé afin de diminuer le nombre récurrent de suicides, variable qui abaissait le taux de productivité de l’entreprise.

L’entrepôt et son organisation m’avaient aussitôt époustouflé. A la pointe de la technologie, ces cathédrales de rayonnages en métal étaient impressionnantes. L’utilisation poussée des méthodes Lean, les flux de déplacements hyper optimisés, le suivi personnalisé des colis, tout y était parfaitement organisé. L’ajustement des postures au travail et la surveillance de la santé des salariés étaient également pris en compte.

Le guidage par oreillettes des employés par des machines avait été interdit, rétablissant ainsi leur libre arbitre, dans une certaine mesure. Cette légère adaptation avait permis de calmer les détracteurs du progrès technologique au profit de la surconsommation.

Lors de mes nombreuses interviews avec le personnel, un détail pourtant m’avait interpelé. Une ressemblance flagrante : leur abêtissement.

Après 8h passées dans l’entreprise, leurs occupations personnelles se résumaient à consommer (se divertir, se nourrir) et dormir. Plus aucune curiosité intellectuelle ne les animait. Ce système conduisait les plus intelligents d’entre eux à se suicider, cherchant inexorablement une porte de sortie, une échappatoire aux chaînes de la consommation.

Quand j’ai fait part de mes conclusions à la direction, leur solution a été de renforcer le processus de recrutement en abaissant, encore, le QI maximal requis pour la sélection des futurs candidats, bien évidemment.

Doté moi-même d'un fort QI, je fis part de mes doutes quant à la discrimination inévitable de ce type procédé à mon épouse, qui forte de sa foi en l’humanité, avait toujours eu le don de me rassurer sur les questions éthiques.

Celle-ci me conseilla le dernier Pack en promotion « Anxiété, Paranoïa, trouver la paix en vous grâce à notre programme ». Elle aussi semblait donc envoûtée par le chant des sirènes de l’« Avoir ». L’« Être » s’était dissout insidieusement. Et je n’avais rien vu venir.

Lorsque mon fils adolescent, passionné d’Intelligence Artificielle, me déclara peu après sa liaison amoureuse avec un bot informatique 3D acheté à crédit, je sombrai dans une réelle détresse.

J’ai bien tenté, jour après jour, de leur faire reprendre raison, mais en vain. Mes arguments étaient bien faibles face aux massues du marketing, les battements d’aile d’un colibri dans le vent froid d’une mégalopole.

La horde de petits consommateurs en herbe qui déferlaient chaque année sur tous les continents de notre planète prouvait irrémédiablement que le consumérisme s’ancrait plus profondément dans l’ADN humain. Aucun pays n’était épargné, aucune ville, aucune campagne, le raz de marée était mondial et submergeait tout sur son passage.

Le constat devant moi était terrible, j’étais non seulement impuissant face au déferlement de l’épidémie mais je doutais de plus en plus de ma propre santé mentale, affaibli par l’absence de soutien affectif.

Les sentiments d’amour envers mes proches s’effilochaient avec nos divergences et l’indifférence entre nous finit par régner.

Ce lien d’affection rompu, lorsque le métier de sociologue disparut définitivement en 2030, renommé en terme d’analyste, je pris une décision cruciale. Je devais m’isoler afin de protéger le brin d’humanité en moi, de ce fléau.

J’ai donc cherché sur le globe une zone inhabitée et sans ressource mercantile rentable - comprenez, eau, végétaux et minerais - et j’y suis parti.

Je marche sur les haut plateaux argentins de la cordillère des Andes depuis maintenant 10 ans.

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