Partie 1/4

6 minutes de lecture

Sur quelle figure légendaire ce récit portera ?

Un puissant magicien, levant son bâton lumineux contre la terreur d’un roi-liche ?

Une reine guerrière, guidant héroïquement son armée contre une horde de dragons ?

Un druide sage, élaborant un remède pour sauver son village d’une épidémie dévastatrice ?

Rien de tout ça. Cette histoire sera sur moi, Berix, simple bandite des grands chemins !

Ha, j’étais jeune. J’avais besoin de frissons, d’aventure ! Quoi de mieux que de rejoindre le premier groupe de brigands venus ? On pillait des caravanes marchandes, on effrayait les voyageurs, on ripaillait avec du gibier trop cuit et de la bière frelatée. Une existence simple, plaisante en somme !

Enfin, entre nous, je ne savais pas si j’allais y rester tout de ma vie. Le destin dut le décider pour moi. Avant même d’avoir le temps d’y réfléchir, en plus.

J’étais couchée dans ma tente, mes jambes caressant la fourrure de mon duvet, et je lisais un bouquin passionnant. Personne n’aime être interrompu dans ces situations, du coup, évidemment que les appels ne me faisaient ni chaud ni froid. Mais une pote m’interpella brutalement.

— Berix, c’est pas le moment de tirer au flanc ! fit-elle. Le chef veut qu’on soit tous là !

Je n’avais pas le choix. Devoir enfiler ma broigne en cuir, attacher mon épée en fer à ma ceinture, que c’était pénible ! Pour couronner le tout, les rayons de soleil me tapèrent dessus dès que j’eus posé un pied en dehors de la tente. Au moins je pouvais poser mon livre adoré à côté de mon arme.

Pas d’importance, il fallait obéir coûte que coûte aux ordres du chef. Et le gars était motivé : il brandissait sa rapière et pointait vers le haut de l’escarpement, un bête sourire aux lèvres.

— On a de la veine, aujourd’hui ! lança-t-il. Attaquez-les et dépouillez-les !

On ne pouvait faire plus simple. Si je n’avais pas levé les yeux, j’aurais suivi mes camarades et me serais jetée tête la première. Mais appelez ça de l’instinct de survie, j’aurais reconnu cette silhouette même dans l’obscurité, alors en plein zénith, il n’y avait pas le moindre doute.

— Attendez, bande d’idiots ! beuglai-je. C’est le héros de la prophétie !

Est-ce qu’ils écoutèrent mon avertissement ? Non. La seule personne assez intelligente pour suivre mon conseil était moi-même. Une fin de carrière improvisée chez les bandits, pendant qu’ils se ruaient sur cet ennemi invincible comme des abrutis.

Pour tout dire, je n’avais pas l’air plus maligne. J’eus le courage de fuir, bien sûr, mais je ne pus aller très loin. Une pierre se dressait sur le chemin de mon salut ! Je tombai à la renverse et sombrai dans l’inconscience.

Pas complètement, en fait. J’avais des bribes de ce qu’il se passait, comment mes sœurs et frères d’armes se faisaient massacrer. Une décapitation par-ci, un démembrement par-là. Je percevais même le sifflement des flèches et le grésillement de sorts. En bref, mes compagnons n’avaient aucune chance, et ils poursuivirent quand même la bataille. Jusqu’au dernier !

Le calme revint en à peine quelques minutes. Mes intuitions se confirmèrent alors : le héros n’était pas seul ! C’était donc d’autant plus idiot que mes camarades aient foncé tête baissée. Je n’allais pas les pleurer, surtout que je devais me tracasser de mon propre sort.

Les pas se rapprochaient dangereusement. Il me suffisait de faire la morte et de ne pas gémir pendant qu’ils fouillaient d’autres bandits.

Mon imitation devrait être parfaite, car quelqu’un me marcha dessus. Un hurlement s’échappa, peut-être exagéré, mais je devais bien exprimer mon outrage ! Ça me permettait d’avoir la mainmise quelques instants… Le temps de m’apercevoir que j’étais en sous-nombre. Littéralement la seule survivante de mon clan.

Qui avais-je en face de moi ? La coupable, déjà. Une naine avec de l’énergie à revendre malgré sa pâleur. Elle avait la moustache bien lisse ainsi que deux couettes blondes. Ça l’aurait rendue assez enfantine si elle n’était pas aussi équipée d’un marteau en acier net et d’une solide armure truffée de pierres précieuses. Typique.

Il y avait aussi un elfe. Elfe des bois, au vu de son teint brunâtre, des tresses sur ses longues mèches marrons, et sa tunique verte visible sous ses renforcements en cuir. Oh, et sans oublier son magnifique arc ! Ses flèches avaient des empennages de toutes les couleurs, les macchabées en devenaient bien bigarrés. Il ne lui manquait plus qu’une harpe.

Mais qui se soucie d’eux ? L’essentiel, l’important, que dis-je, le primordial, était que j’étais en présence du héros de la prophétie lui-même ! Imaginez, une quelconque bandite comme moi. Et il répondait parfaitement à sa réputation : des franges noires rabattues sur son visage. Je n’y décelais rien, sinon un air sérieux que son bouc pointu renforçait. Il portait une armure de plates luisante et pourtant se déplaçait avec aise. Et que dire de la claymore trop classe attachée à son dos ? Ou encore de cette aura autour de lui à m’en faire frémir d’excitation ? Comme prévu, il ne s’exprimait qu’en grognant. Quel beau ténébreux !

Une corde se tendit, une arme fendit l’air. Deux rabat-joie me coupaient de ma contemplation.

— Encore vivante ? s’étonna l’elfe. Nous allons régler cela tout de suite.

Mon heure serait venue ? Hors de question ! Il restait encore un peu d’instinct chez moi pour me préserver. Je me relevai et levai les bras… seulement pour me heurter à un silence confus. Il me fallait donc être encore plus claire ?

— Je me rends ! criai-je.

Et là, plus rien pendant quelques secondes. Le héros de la prophétie était comme une statue. Ses compagnons, quant à eux, eurent au moins la politesse de baisser leur arme. Ha, je pouvais souffler ! Il ne me restait plus qu’à affronter leur regard sceptique, mais au moins ils ne m’abattraient pas sur-le-champ.

— Tu te rends ? demanda l’elfe. C’est… un peu délicat.

— Pourquoi tu ne nous attaques pas, comme tous tes camarades ? lança la naine.

— Quelle question ! répliquai-je. Je tiens à la vie, moi. Je sais reconnaître un adversaire plus puissant. Le héros de la prophétie et ses meilleurs alliés contre moi… On sait tous qui gagne.

— Alors oui, mais d’habitude, nos ennemis ne se rendent pas.

— Ça vous arrange bien, hein ! L’excuse de la légitime défense pour pouvoir tuer la conscience tranquille. Nous ne sommes que des inconnus sans nom sur lesquels vous testez vos armes et vos sorts. Pas aujourd’hui ! Pas pour moi.

J’aurais espéré un tonnerre d’applaudissements. Sans doute mon discours le plus inspiré ! À la place, il y eut un soupir. Deux soupirs. La naine et l’elfe, si complices, qui me jugeaient comme la dernière des demeurées. Honteux !

Au moins, ils furent raisonnables. L’elfe dégota une corde d’un cadavre puant et me ligota les poignets. Mais ce fut bien la naine qui eut le plaisir de me traîner, et la bougresse avait de la force dans les bras ! Combien de fois je m’étais fracassée au sol, ce jour-là ?

— Pas d’entourloupe, brigande ! prévint l’elfe.

— Tu as de la veine, dit la naine. Notre prochaine halte sera à la cité de Terno-Jhagot. Nous t’y déposerons, et tu jugeras par toi-même si le confort des cellules est à la hauteur de leur réputation.

— C’est à une centaine de kilomètres d’ici !

— Il faut assumer d’avoir fait dans le grand banditisme au milieu de nulle part.

Ces deux-là eurent vite le don de me taper sur les nerfs. Pas comme le héros de la prophétie, le grand, le vaillant ! Lui restait d’une passivité à toute épreuve, observant la scène comme un spectateur. Enfin, jusqu’au moment où il fit signe à ses compagnons.

— Bien entendu, dit l’elfe. Partons d’ici avant que le soleil ne se couche. Et que les mauvais présages ne nous rattrapent.

— Il y en a déjà une, souffla la naine. Et elle va nous suivre pendant des jours entiers.

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