16 : Dernière chance

5 minutes de lecture

L’heure du déjeuner est passée, pourtant je n’ai pas faim. Mathilde a bien essayé de m’inviter au restaurant tout à l’heure, elle n’a reçu en retour qu’un refus catégorique de ma part. Elle a du mal à comprendre que je n’ai plus envie de pleurer, de me battre contre l’injustice de la situation, ou de me laisser sombrer doucement dans une dépression qui m’est familière, mais que j’ai juste besoin d’être seule. Ces bavardages incessants me rappellent en permanence les bons moments que j’ai vécus ces derniers jours. Alors que le silence de la maison me permet de ne plus penser à tout ça. Blottie dans mon canapé, je peux tout simplement fermer les yeux et attendre que l’heure de ma pause s’écoule. C’est ce que je suis en train de faire lorsqu’un bruit strident me sort de ma torpeur. La sonnette, une fois, puis de nouveau le calme. J’attrape ma canne, m’approche de la porte à tâtons. Je tends l’oreille pour essayer de capter une voix au-dehors, n’importe quoi qui me renseigne sur mon visiteur. Rien. Un autre coup de sonnette retentit. Il n’y a que deux personnes qui savent que je suis chez moi à cette heure-ci : Mathilde et Grégoire. Or, ma meilleure amie se serait déjà annoncée…

— Grégoire ? Qu’est-ce que tu fais là ? crié-je à travers le battant.

— Angie… J’ai quelque chose à t’avouer, laisse-moi entrer.

— Non, je t’ai dit que je ne voulais plus te voir !

— S’il te plaît… Je sais que je n'ai pas su m’y prendre hier, que j’ai été nul, mais c’est parce que je craignais trop de te perdre. Sauf que cette fois, j’ai conscience que c’est ma dernière chance, alors il faut vraiment que tu m’écoutes !

— Et si je refuse ?

— Toi et moi, on risque de passer à côté d’une belle histoire…

Une belle histoire ? Et la promesse que je me suis faite ? Sait-il que le repousser comme ça me fait aussi mal qu’à lui ? Que je déteste mon comportement depuis notre séparation ? Après tout, je ne risque pas grand-chose à l’écouter. Au pire, je referme la porte sur nous deux juste après son explication. Oui, voilà, rien ne m’engage. Je peux toujours faire marche arrière.

Tu fais surtout une grosse connerie oui !

— Je dois ouvrir la boutique dans peu de temps, alors dépêche-toi...

— Je ne serai pas long, promis, mais rester comme ça sur le palier pour ce genre de discussion, c’est pas très indiqué ; tu m’autorises à entrer quelques minutes ? Je déteste rester sous la pluie et je commence à être sérieusement trempé là.

— … Ouais, viens, il y a du thé dans la cuisine si tu veux !

— Merci Angie.

Je n’arrive pas à me concentrer sur ce que je fais. Sa présence chez moi me perturbe. Je renverse deux fois l'infusion sur la table avant de réussir à le servir, mais il n’intervient pas. Il sent sûrement que ça serait malvenu. Je m’assieds ensuite sur la chaise la plus proche, celle en face de lui, à l’autre bout de la table. Cette vaine tentative de mettre de la distance entre nous doit être assez risible quand on y pense. Je décide de briser le silence.

— Qu’est-ce que tu as de si important à me dire ?

— C’est… C’est pas évident en fait, mais j’ai besoin que tu saches. Je ne te demande qu’une chose : ne m’interromps pas, laisse-moi aller jusqu’au bout, même si c’est difficile pour toi. D’accord ?

— D’accord, approuvé-je.

Il respire un grand coup avant de se lancer.

— J’aurais préféré que tu ignores cette facette de ma personnalité, seulement je n’ai pas le choix ; c’est nécessaire pour que tu comprennes. La fille qui était avec Léo sur le port s’appelle Sally. Elle et moi, on a eu une vague histoire de cul, il y a quelques semaines. On s’est rencontrés au cours d’une soirée, on s’est envoyés en l’air, et je me suis tiré au matin. Comme pour toutes les autres avant elle. Pour certaines nanas, ça ne pose pas de problème, pour d’autres, c’est plus difficile à admettre. Sally fait partie de cette dernière catégorie. Elle croyait que cette nuit passée avec moi en amènerait une autre. C’est pour ça qu’elle a suivi Léo jusqu’ici. Et tu sais, c’est délicat de résister à ce genre de meuf…

Il s’arrête un instant, sans doute pour tester ma réaction.

— Je n’ai pas d’excuses, mais la vérité, c’est qu’on s’est rapidement retrouvés dans ma piaule. Je ne sais pas ce qui m’a pris, je crois que j’ai paniqué. Parce que ce jour-là, sur le port, j’ai vu défiler ce que serait ma vie si je restais avec toi. Alors oui, j’ai eu peur. De toi, de moi, de nous. Du regard des autres aussi. Mais quand Sally a commencé à se déshabiller sous mes yeux, j’ai réalisé que je ne supportais plus celui que j’avais été auparavant. Et surtout, je ne supportais pas l’idée de te faire du mal. C’est pour ça que je lui ai demandé de partir. Tu comprends ce que ça implique ?

— J’ai… J’ai du mal à te suivre. Pourquoi me dis-tu tout ça ?

— Je vais te le formuler plus clairement : je t’aime Angie, je t’aime comme je n’ai jamais aimé personne. C’est la première fois que je me sens assez fort pour être l’homme d’une seule femme. Je ne veux plus te quitter, je veux faire des projets avec toi, vivre en accord avec moi-même, ce que je ressens pour toi… J’ai enfin cessé d’avoir peur. Alors, je te le demande une dernière fois : es-tu prête à me pardonner, à nous donner une deuxième chance ?

— Même si c’était le cas, Grégoire, on ne saurait toujours pas où on va comme ça…

— C’est vrai, Angie, mais si on n’essaie pas de faire un bout de chemin ensemble, on ne le saura jamais. Et puis après tout, l’avenir nous appartient, non ?

Sa chaise grince et soudain sa main vient se poser sur la mienne. Je sursaute sans le vouloir. Son contact est comme une étincelle qui m’embrase. Je sens qu’il attend une réponse, un geste, quelque chose qui lui donnera de l’espoir. Il m’a ouvert son cœur, c’est à moi de lui avouer ce que je ressens. Mais je ne sais pas par où commencer. J’ouvre la bouche pour tenter de démêler mes idées, lorsque son doigt touche mes lèvres, m'invitant ainsi au silence. Surprise, je sens son souffle contre ma joue. Son baiser est doux, presque retenu, pour ne pas m’effrayer. Électrisée par son parfum, je me rapproche de lui, m’accroche à son cou. Puis, me jette à corps perdu dans cette étreinte. J’ai la sensation de revivre, d’être à nouveau entière, et je réalise que je lui ai pardonné depuis longtemps.

— Grégoire ?

— Oui Angie ?

— Je crois que je suis amoureuse de toi…

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 4 versions.

Vous aimez lire Aventador ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0