17 : Nouvelle vie (partie une)

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Café de la Marine, Camaret-sur-Mer, dix mois plus tard

— Comment ça, tu ne veux pas d’enterrement de vie de garçon ?

— Non, j’en ai pas envie.

— Mais pourquoi ?

— Écoute Léo, l’ancien Greg est derrière moi, je lui ai dit adieu depuis longtemps. Alors je n’ai aucune envie de me retrouver au beau milieu d’une teuf qui ne me ressemble pas. En plus, te connaissant, t’es parfaitement capable de m’offrir une strip-teaseuse en guise de cerise sur le gâteau…

— Hé, c’est pas bête ça, comme idée !

— Léo !

— OK, OK, pas d’enterrement de vie de garçon… N’empêche que tu vieillis, man, et pas qu’un peu !

— Non, j’ai mûri, c’est pas pareil.

— Ouais, si tu veux… Mais ça me fout un coup aussi, de savoir que tu vas te marier. Tu te rends compte, t’es le premier d’entre nous à te faire passer la corde au cou ! Sans déconner ! Et pourtant, il y a plus d’un an, j’aurais pas parié un kopeck là-dessus.

— Il suffit de rencontrer la bonne personne…

— D’accord, mais avoue quand même que c’est précipité, ce mariage. Tu m’annonces ça comme ça, deux mois avant la cérémonie !

— C’est quelque chose qui a fait son chemin dans notre esprit, doucement…

— Attends, Greg, je crois pas que tu réalises bien là ! Tu vas t’engager avec la même meuf toute ta vie ! T’en baiseras plus jamais d’autre, c’est ça que ça veut dire !

— Si si, je réalise très bien, t’inquiète. Je n’ai jamais été aussi sûr de moi, de mes choix.

— Ben putain, elle doit sacrément être bonne au pieu pour t’avoir harponné comme ça.

— Hé, c’est de ma future femme qu’on parle, pas d’une vulgaire pétasse que je me serais faite la nuit dernière !

— Oh pardon, Monsieur ! Au temps pour moi !

— Ça va, ça va…

Un silence. Léo est gêné d’avoir dérapé comme ça. Mais je le connais, c’était pas méchant, juste de la curiosité mal placée. Il a du mal à comprendre qu’on puisse tourner la page sur ce qu’on était, juste par amour.

Depuis près de six mois maintenant, j’ai emménagé ici, avec Angie. Elle travaille toujours à la librairie, avec Mathilde. Seulement, de mon côté, j’en ai marre de mon métier, de me taper la route jusqu’à Brest tous les jours. Ma fiancée - ça me fait drôle de l’appeler ainsi - a besoin de ma présence auprès d’elle. Et plus encore dans les mois à venir. C’est pourquoi je vais très prochainement raccrocher ma robe d’avocat pour ouvrir un petit commerce avec l’argent que m’a rapporté la vente de mon duplex lyonnais.

Léo ignore encore tout de ce projet, comme il ignore la raison pour laquelle nous voulons nous marier au plus vite. Je crois que même Mathilde n’est pas au courant.

— Et sinon, t’en es où avec Mathilde ?

— Franchement, j’en sais rien. Autant quand on est à mille bornes l’un de l’autre, je donnerais n’importe quoi pour qu’elle soit juste à côté de moi, autant quand on se voit, passée l’euphorie des retrouvailles et de tout ce qui va avec, on n’arrête pas de se prendre la tête pour des conneries. Et c’est chiant. C’est pour ça que j’ai jamais voulu m’accrocher à une nana, parce qu’en dehors du cul, ça t’apporte que des emmerdes. Mais en même temps, deux jours sans nouvelles d’elle, et j’ai l’impression d’étouffer, je te jure !

— C’est un signe, t’es amoureux, mec ! Qu’est-ce que t’attends pour le lui dire ?

— Non mais ça va pas ? T’es givré ou quoi ? Si je lui dis ça, elle va plus en pouvoir et je vais être comme toi, bon pour passer devant Monsieur le Maire !

— Ben, alors lui dis pas. Au risque de la perdre…

— Hein ? Non, non et non… Putain, ça fait ièche quand même, y’aurait pas un juste milieu entre tes deux extrêmes ?

— Ah, si tu commences à raisonner comme ça, c’est qu’elle doit être bonne au pieu alors…

— Hé, tu parles pas de ma meuf comme ça d’abord !

J’explose de rire. Léo percute et se marre aussi. Un fou rire, comme si on était les mêmes qu’auparavant. Et pourtant, Léo n’a pas vraiment tort, au fond, notre jeunesse est en train de foutre le camp, de se barrer en courant…

Nous finissons nos verres, réglons la note et quittons le Café de la Marine pour rejoindre nos compagnes. Elles devraient bientôt être de retour sur Camaret, après leur virée shopping.

***

La robe tombe parfaitement. Du moins, c’est ce que me disent Mathilde et la vendeuse. Je lisse de la paume les plis formés par le tissu au niveau de ma taille. Choisir une robe de mariée qu’on ne voit pas, c’est difficile. Très difficile. Je ne peux qu’imaginer de toutes mes forces le résultat, mais même comme ça, ce n’est pas satisfaisant. Je sens la dentelle sur mes épaules. Je devine les pierres brillantes accrochées à mon décolleté. Je perçois la traîne qui se déroule derrière moi. Mais toutes ces sensations ne me disent pas l’image que je vais renvoyer à Grégoire. Et en ce moment, j’ai besoin de lui plaire. La petite bosse à peine perceptible au niveau de mon ventre n’est qu’un prélude à la transformation prochaine de mon corps. Mathilde me sort de mes pensées en piquant dans mes cheveux un voile qui vient se déposer sur mon visage. Je souris pour lui faire plaisir.

— Tu es… Juste sublime ! lâche-t-elle dans un souffle.

— Merci Mathilde. Tu ne crois pas que je devrais prendre la taille au-dessus, j’ai l’impression qu’elle me sert un peu au niveau des hanches…

— Mais pas du tout ! Elle est parfaite !

— J’aimerais quand même essayer avec une taille de plus, dis-je à la vendeuse.

Ma meilleure amie attend qu’elle s’éloigne pour lancer les hostilités.

— Qu’est-ce que tu essayes de me cacher, Choupette ? Je te connais, il y a quelque chose de pas net dans ton comportement… hésite-t-elle.

— Mais non ! Je ne te cache rien du tout !

Mon ton forcé ne va pas la convaincre longtemps, c’est sûr. J’ignore pourquoi je n’arrive pas à mentir cette fois-ci. Comme si au fond, j’étais heureuse qu’elle apprenne mon secret.

— Bon d’accord, il y a peut-être quelque chose que tu ne sais pas.

— Oh mon Dieu ! Quoi ?!

— Disons que d’ici deux mois, une taille de plus ne sera sûrement pas de trop…

— C’est pas vrai !!! Tu es enceinte ? comprend-elle enfin.

— Oui. C’est dingue non ?

La vendeuse revient alors que Mathilde me saute dans les bras. Elle nous demande, étonnée, ce qu’il se passe pour que nous soyons si joyeuses. Ma meilleure amie est plus rapide que moi à lui annoncer la bonne nouvelle. La commerçante propose de fêter ça avec une coupe de champagne pour elles et un jus de fruit pour moi. Nous acceptons volontiers, le sourire aux lèvres. Je ne me suis jamais sentie aussi légère. Je n’aurais pas pu imaginer pouvoir être heureuse à ce point, il y a quelques mois encore. Posant une main distraite sur mon ventre, je me souviens qu’il me faut essayer une autre robe que celle que je porte en ce moment. En ressortant de la cabine, je sais que c’est celle qu’il me faut. Un vrai coup de cœur, malgré le fait que je ne puisse la voir. J’annonce à la ronde mon choix et pars régler. Mathilde me suit de près, je sens qu’une question lui brûle les lèvres.

— Tu sais déjà si ça sera un garçon ou une fille ? se lance-t-elle.

— Non, il est trop tôt encore. Grégoire aimerait un garçon, moi je ne sais pas vraiment.

— Et… Tu as déjà réfléchi à quelqu’un comme… Marraine ? bafouille-t-elle.

Je me retourne vers elle, pose une main sur son épaule, et explose de rire.

— Bien sûr, ça sera toi. La question ne se pose même pas, espèce d’idiote !

Elle me serre une nouvelle fois dans ses bras en riant elle aussi.

— Je vais le pourrir de cadeaux, ce petit ! s’enthousiasme-t-elle.

— Tout ce que tu veux ! Seulement, promets-moi que si c’est une fille, tu ne lui apprendras jamais à draguer, je ne veux pas qu’elle devienne une chasseuse de proie comme toi !

Nous nous esclaffons ensemble. L’avenir paraît si radieux.

— Promis juré ! Mais si je ne te ramène pas très vite à ton cher fiancé, il me tuera avant que j’aie le temps d’apprendre quoi que ce soit à cette future bombasse, annonce-t-elle.

Bras dessus-bras dessous, comme au bon vieux temps, Mathilde et moi prenons le chemin du retour. Dans quelques mois, je serai une épouse et une mère comblée, je le sais. Mais en attendant, j’ai encore des millions de choses à prévoir.

***

En regagnant le parking, Léo avise l’affichette placardée sur la lunette arrière de ma Mini Paceman.

— Ben, tu revends ta bagnole ? Première nouvelle ! T’en es pas content ?

— Si, si, j’en suis très content. C’est juste que c’est un peu petit…

— Petit ? Attends, y’a quatre places alors que vous n’êtes que deux !

Léo s’installe à bord et je l’imite.

— Il nous faudrait une cinq portes, quelque chose de plus familial, genre break ou monospace tu vois…

— Arrête ! Tu me fais marcher là ! Tu t’imagines franchement au volant d’un Scénic ?

Je démarre et quitte mon stationnement avant de lui répondre.

— Il y a beaucoup de choses qui sont en train de changer dans ma vie, Léo. Et la plus importante d’entre elles est quelque chose qui se fait à deux.

— Putain, Greg, tu pourrais pas être plus clair et aller droit au but plutôt que de noyer le poisson comme le font les nanas ?

Nous nous approchons de notre demeure, celle qu’occupe Angie depuis qu’elle habite ici.

— Regarde Léo, regarde bien cette maison ! Eh bien dans quelques mois, elle accueillera un nouveau petit être… Oui, dans quelques mois, je serai papa…

Mon meilleur ami est blanc comme un linge. Ma révélation l’estomaque complètement. Il ne s’y attendait absolument pas.

Je me gare derrière la Corsa de Mathilde. Les filles sont déjà rentrées, mais même après l’immobilisation de mon véhicule, Léo et moi ne bougeons pas. C’est lui qui finit par briser le silence en haussant les épaules, d’un air fataliste.

— Sinon, c’est bien aussi, un Scénic, pour celui qui en a besoin…

Je lui souris comme pour lui signifier que c’est pas non plus la fin du monde de rouler en monospace.

— J’envisageais plutôt de m’orienter vers une Béhème. On peut parfaitement être père de famille sans avoir à renoncer à certains plaisirs, c’est pas incompatible…

Léo retrouve enfin le sourire.

— Ah, je me disais aussi que c’était pas possible que tu changes à ce point ! Bon, je suis rassuré alors…

— Sérieusement, Léo, ça te fait flipper tant que ça, un gosse ?

— Je sais pas si un jour, je serai vraiment prêt à tout ça, la vie en couple, bobonne et les mioches…

— Pourquoi ? Tu trouves qu’Angie ressemble à bobonne ?

— Non ! Non, j’ai pas dit ça ! Juste que c’est pas fait pour moi.

— Et si je te proposais d’être parrain pour t’habituer doucement à t’occuper d’un gamin à temps partiel ?

— …

— Léo, je rigole pas là ! Tu ferais comment si Mathilde t’annonçait ce soir qu’elle est enceinte de toi ?

— Je préfère ne pas y penser…

— Bon alors, c’est d’accord ?

— D’accord pour quoi ?

— Pour être parrain, banane !

— Ah, ça ! Ben… Oui.

A la fenêtre, le rideau s’agite. Nos compagnes s’impatientent. Il faut dire qu’on a prévu de montrer ma future boutique à Léo. Il n’est pas au bout de ses surprises, celui-là !

— Allez, faut qu’on rejoigne les filles maintenant, sinon elles vont finir par se demander ce qu’on fabrique à traîner aussi longtemps dans la bagnole…

— Peut-être qu’elles croient qu’on se galoche, tous les deux !

Mon pote est hilare. Il a retrouvé son humour rase-motte, sa joie de vivre et ses couleurs. Je me bidonne à mon tour.

— Qu’est-ce que tu peux être con, des fois, quand tu t’y mets !

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