13 : Blessant, blessée(s)...

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Un cauchemar, ça ne peut être qu’un cauchemar… Où suis-je ?

Un coussin aux coins effilés sous mes doigts, une odeur d’encens à peine éteint, le bruit des voitures sous la fenêtre, je reconnais sans peine le petit appartement de Mathilde. Mathilde ! Oui, je me souviens maintenant.

Il y a eu la jetée, une rencontre, des mots d’une violence inouïe, des gestes aussi. Il y a eu cette voix suave et ce parfum trop sucré, presque écœurant. Et puis moi, incapable de bouger, paralysée. Ma meilleure amie qui me tire par le bras, qui essuie des larmes que je ne veux pas laisser couler. J’ai l’impression d’avoir vécu cette scène sans vraiment en être actrice. Je ne retrouve que des flashs, des sensations. Grégoire, non, ce n’était pas toi sur ce trottoir… Je fouille dans ma mémoire à la recherche d’un détail, quelque chose qui pourrait expliquer son comportement. J’espère y retrouver une phrase, un mot, ou même un souffle qui prouve qu’il aurait voulu me retenir. Mais rien ne me vient.

Alors, j’avais raison. Je me suis fait avoir par un dragueur de bas étage, un pauvre type qui saute sur tout ce qui bouge. Et ce copain, cet abruti qui nous insultait en douce, mon amie et moi. Croyait-il que je ne l’entendais pas ? S’il savait que je ne peux pas voir, mais que j’entends bien mieux que la moyenne, aurait-il été aussi vulgaire ? Et elle, cette fille sans aucune dignité, si elle était au courant de cette nuit, de ce matin, du bonheur d’un amour naissant et du malheur qui en découle à cause de sa simple venue, aurait-elle eu la même réaction face à Grégoire ? Je suis tellement perdue, incapable de penser correctement. J’aimerais juste comprendre…

— Choupette ?

La voix de Mathilde, douce, apaisante. J’ouvre la bouche, mais ne trouve pas la force de répondre. Qu’est-ce qu’on peut dire dans ces cas-là ? Ni elle ni moi ne le savons.

— …

— Je t’ai fait un chocolat chaud.

Le silence s’installe entre nous. Existe-t-il seulement des mots qui apaisent dans ce genre de situation ? Ou le temps est-il l’unique guérisseur de ces blessures invisibles ?

— Tu sais, il y a peut-être une explication à tout ça, me suggère Mathilde.

— Ou peut-être ai-je été trop conne pour voir la vérité en face…

La colère dans ma voix me surprend. Je ferme les poings à m’en faire mal.

— Tu ne pouvais pas savoir, on ne peut jamais savoir. Ce genre d’hommes… Ils sont très forts pour t’amadouer, t’embobiner pour parvenir à leurs fins, te jeter de la poudre aux yeux, mais tout ça n’est bien souvent que du vent...

— J’ai vraiment cru que Grégoire était différent, je l’ai cru…

Ma voix se brise. Je n’arrive plus à retenir les larmes. Les bras de Mathilde me serrent de toutes leurs forces, m’entourent d’une chaleur protectrice. Je ne pourrai jamais lui rendre tout ce qu’elle me donne. J’ai envie de hurler, de détruire quelque chose, d’expulser tout ce qui me ronge de l’intérieur. N’importe quoi qui puisse me faire oublier cette douleur. Combattre le mal par le mal, peut-être est-ce la seule solution ? Je me lève, me cogne dans un meuble, renverse un bibelot. J’entends Mathilde pousser un cri, mais je ne m’arrête pas. Je titube jusqu’à la porte. J’ai besoin d’air. J’ai besoin d’oublier. Si seulement je pouvais courir. Je heurte quelqu’un, m’excuse, repars. Il y a dans ma fuite quelque chose de désespéré. Je ne sais même pas où je vais. Soudain, le bruit des vagues, la plage près de chez moi. Je tombe à genoux en suffoquant. Pliée en deux, j’ai l’impression de me déchirer, d’étouffer.

Comment peut-on souffrir autant ?

***

On est tous les deux dans cette chambre que j’occupe depuis mon arrivée ici. A moitié à poil. Sally est à califourchon sur moi, en string et soutif, me caresse, embrasse mon torse nu, descend encore et encore… Les yeux fermés, je suis étranger à mon corps, « mécanique ». Je suis ailleurs, avec Angie. Angie qui pleure sans doute, à cause de moi.

— Arrête ! S’il te plaît, Sally, arrête !

— Tu ne disais pas ça la dernière fois ! Tu te souviens ?

Je la repousse, presque violemment.

— Hé, mais qu’est-ce que tu as ?

— Rhabille-toi.

— Quoi ? Tu plaisantes, là ?

— Non. Rhabille-toi, je te dis !

Mon ton est dur, cassant.

— Putain, ce vent ! Attends, je me tape près de mille bornes rien que pour toi, et tu me jettes comme ça, alors que j’ai encore un pied dans ton pieu ? Mais t’as vraiment rien dans le slip, pauvre type ! Tu pouvais pas m’envoyer bouler sur le port plutôt que de me laisser espérer ?

Elle a le rimmel qui coule pendant qu’elle se fringue. De vraies larmes. Et ça, je supporte pas. Ça me fait trop penser à Caro…

— Je sais, Sally, je sais que j’ai été dégueulasse avec toi. Nous deux, c’était bien, seulement, je ne t’avais rien promis, ni même jamais rappelée. Je suis désolé mais j’ai une nana dans la tête et dans le cœur ; c’est avec elle que je veux être, pas avec toi.

Je me suis adouci ; mes mots la cinglent quand même comme une gifle. Je crois qu’elle ne comprend pas. Alors, je deviens plus clair, plus ferme.

— Va-t’en…

Elle ne bouge pas. Il n’y a que ses sanglots, un murmure inaudible.

— Va-t’en !

A contrecœur, elle s’exécute sans se retourner. Je me déteste. Je déteste faire du mal aux autres. Ça ne me ressemble pas. Encore complètement sonné par ce que je viens de vivre, je me lève du paddock et me dirige vers la salle de bain pour m’abandonner sous la douche. Je repense à mon amour, mon Angie…

Bon sang, où es-tu, ma chérie ?

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