10 : Le Grand Soir (partie 2)

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La nuit nous emporte sans qu’on y prête attention. La voiture, le trajet, nos discussions à n’en plus finir sur notre merveilleuse soirée. Et le retour, une fois de plus, sur le pas de ma porte. Cette fois-ci, j’ai envie de l’embrasser. Sans pudeur, sans retenue, être enfin moi. Je pose mes mains sur chacune de ses joues, caresse ses contours jusqu’à trouver ses lèvres. Il me laisse faire, et je sais qu’il m’observe. J’avance mon visage vers lui, le frôle, l’emporte dans le tourbillon de mes émotions. Souffle contre souffle, peau contre peau. J’ai le cœur en désordre, il bat à tout rompre. Grégoire ouvre la porte, il me pousse à l’intérieur. Je me cogne contre une marche, sais qu’on monte l’escalier. Mon manteau n’est plus sur mes épaules, mon sac n’est plus dans mes mains. Soudain, mes pieds heurtent le rebord du lit. La panique me saisit : est-ce ce dont j’ai envie ? Je sens qu’il y a le désir, impatient, qui dévore mon esprit. J’aimerais réfléchir mais je n’y arrive plus. Il n’y a que son odeur, sa chaleur, ses murmures. Qu’une seule pensée, comme un écho : j’ai envie de lui…

J’ai envie d’elle. Là, tout de suite. Quelque chose de tendre, de sensuel. Je crois qu’elle me désire aussi, même si elle se retient, même si elle me retient.

— Grégoire, attends…

— Qu’est-ce qu’il y a, Angie ? Tu as peur ?

— Non, c’est pas ça, c’est juste que… C’est la première fois depuis l’accident et… J’aimerais qu’on soit à égalité, toi et moi.

Je ne comprends pas. Je ne comprends pas où elle veut en venir.

— C’est pas une manière déguisée de fuir, Grégoire. Je veux simplement qu’on ressente les choses de la même façon, autant que possible. Que tu acceptes de te priver d’un sens…

Me priver d’un sens ? Quel sens ? La vue ?

— Il y a une étole sur la commode. J’avais prévu de la mettre, et puis Mathilde m’en a dissuadé…

— Tu veux que je me bande les yeux, c’est ça ?

— Oui. Ça te dérange ?

Que répondre à ça ? Je suis un homme, j’aime autant voir que toucher le corps d’une femme dans l’intimité.

— Je vais le faire, ma chérie. Rien que pour toi…

Ça y est, je suis comme elle, je ne vois plus. C’est elle qui trouve ma bouche, alors que, instinctivement, mes mains reprennent leur parcours sur ses vêtements, sa peau. Elles cherchent, maladroites, un bouton, une fermeture éclair pour déshabiller ma belle. Mais très vite, elles retrouvent leurs marques à mesure que je couvre de baisers son cou si gracile, si fragile. Je la respire. Mon Angie…

Nos respirations se pressent, se bousculent. Il y a dans nos mouvements comme quelque chose d’inexpliqué. Un sentiment de déjà-vu, une chorégraphie millénaire. Peu importe que nos yeux ne se trouvent pas, peu importe que le noir soit notre seul repère. Nos peaux qui se frôlent suffisent à enchanter tous nos autres sens. Je sens que Grégoire tâtonne au début, je l’aide sans le brusquer, le laisse apprivoiser cette obscurité qui n’est pas sienne. Sa fragrance emplit mon espace, la douceur de ses doigts aussi. Ma peau s’enflamme sous ses caresses. Je les lui rends, essaye de me montrer aussi sensuelle que possible. Je sais que bientôt nous ne formerons plus qu’un. Je n’ai pas peur, au contraire.

— Grégoire…

Mon murmure rauque me surprend. Je voudrais tant lui appartenir, totalement, infiniment.

Le poids de son corps se fait plus pressant, plus intime. Je plante mes ongles dans son dos pour lui donner mon accord. Il comprend, répond à son tour en déposant ses lèvres contre moi. Soudain, il n’y a plus rien qui compte. Nous ne sommes plus ici, dans ma chambre, sur mon lit, mais perdus dans un ailleurs qui n’appartient qu’à nous. Un endroit que nous remplissons de notre désir, jusqu’à nous en étourdir. Un endroit où nous sommes pareils…

Mes lèvres contre les siennes, son parfum dont je m’enivre, sa peau - que je sais laiteuse - que je goûte partout. Complètement dénudée de mes mains devenues expertes, elle m’autorise à visiter ses vallons et ses terres interdites, nimbées de cette sensualité que je perçois même les yeux bandés. Alors je l’explore de ma bouche, de ma langue, de mes doigts jusqu’aux confins de son intimité. Je n’ai pas besoin de voir, je la découvre de mon toucher, et mes sens n’en sont que décuplés. J’entends même son cœur battre plus fort, son souffle s’accélérer, un soupir peut-être…

Je ne m’arrête plus, je veux mimer le chant des pluies pour qu’elle m’invite en elle, pour qu’elle fasse une place à ce désir que j’ai tant de mal à contenir, même dans l’obscurité.

J’ai des images en tête, des images qui s’entêtent, mon Angie telle que je la fantasmais lorsque nous dînions ensemble au restaurant l’autre soir, quand je la dévorais des yeux.

Sensation étrange quand c’est elle que je pénètre, l’impression de vivre un rêve éveillé. Un rêve érotique très réel quand je sens que sous mon joug, elle s’abandonne autant que moi, que mon plaisir se démultiplie à l’infini, à mesure que notre corps à corps s’anime. Nous ne sommes plus que ça, ma chair dans sa chair et notre amour qui exulte en milliers de pixels imaginaires. Ça cogne fort dans mon cœur, je n’avais jamais ressenti ça auparavant. Et si c’était ça, l’amour ?

Jusque-là, seul le regard des hommes pouvait m’emporter aussi loin. Lorsque leurs corps en demandaient plus, lorsque leurs envies devenaient miennes, je plongeais mes yeux dans les leurs pour mieux m’oublier. Mais cette nuit, je n’ai pas besoin de ça. Lorsque nos corps se fondent soudain en un seul, je sais enfin que le paradis existe.

Nos murmures se rejoignent en une mélodie animale, que nous seuls comprenons. Un cri, et puis tout s’arrête. Il n’y a plus que le silence et nos souffles saccadés. Nos peaux si sensibles de s’être trop aimées. Notre bonheur conjugué au présent.

Oui, cette nuit, il n’y a plus que lui et moi. Et cet amour débordant…

Je suis encore en elle, j’ôte le bandeau, la regarde. Un sourire sur ses lèvres, je sais qu’elle est heureuse.

— Ça va ?

Elle acquiesce d’un très léger mouvement de tête.

— Angie, je… Je sais que ça va te paraître banal ce que je vais te dire, que tous les mecs doivent dire ça à leur nana après l’amour, sans forcément le penser mais… Je t’aime. Je t’aime vraiment, mon ange.

Un silence. Pas de réponse.

— Angie ?

— Oui ?

— C’est pas une blague, c’est pas quelque chose que je dis comme ça, en passant. C’est la première fois que je le dis à quelqu’un.

— Et après ?

— Comment ça « et après » ? C’est tout ce que ça te fait, ce genre de déclaration ? Tu ne me crois pas peut-être ?

Je me retire et pars bouder à l’autre bout du lit. Elle me cherche de sa main, me trouve, caresse mon dos et vient se blottir contre moi. Elle n’a même pas besoin de parler pour m’apaiser, sa seule présence, son corps contre le mien me suffisent.

— C’est pas ça, Grégoire. Mais la suite de notre histoire, il faut bien qu’on en discute, non ?

Je me retourne, la serre contre moi et lui souffle :

— J’ai peur de ce que tu vas me dire, Angie, j’ai peur de n’être qu’une parenthèse…

— Comment on va gérer ça, la distance ? Tu n’es pas d’ici, ta vie, ton job sont là-bas, dans cette ville qui m’est étrangère, inconnue. Je suis où dans tout ça, quelle est ma place ? Crois-moi, j’ai bien plus peur que toi. De m’être donnée pour une idylle éphémère…

— Je sais pas comment ça se gère, l’amour à distance… Mais je ne peux pas te demander de tout quitter pour moi, tous tes repères. Chez moi, tu serais perdue. C’est à moi de changer de vie, Angie. C’est pour toi que je vais changer de vie…

La nuit nous appartient, nous faisons à nouveau l’amour ensemble. La crainte que ma promesse ne soit vaine sans doute. Alors on se délecte de chaque petit instant magique comme si c’était le dernier, on oublie tous les obstacles qui se dressent entre nous pour s’aimer sans retenue. « Et après ? », c’est trop loin. Je ne sais pas comment on fera, mais je sais que je ne veux pas la perdre. Je veux juste retenir la nuit, la retenir, ne pas m’éveiller, ne pas quitter mon rêve, ni retrouver ma solitude. Je n’en veux plus de cette putain de solitude, je l’ai enfin trouvée, mon âme sœur. Je t’ai enfin trouvée.

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