11 : Un lendemain qui chante...

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Le chant des oiseaux me réveille. Je sens les rayons du soleil qui se déposent sur les draps, et devine que la matinée doit déjà être bien avancée.

Je tâtonne du bout des doigts pour trouver Grégoire, mais ne rencontre que du vide. Je me redresse, un peu inquiète qu’il ait fui au cours de mon sommeil, mais sachant au fond de moi que c’est impossible.

Le grincement caractéristique de la porte de ma chambre se fait entendre. Et un autre bruit, plus difficile à identifier, un cliquetis irrégulier. Le matelas s’enfonce sous le poids de Grégoire qui s’assied. Il m’embrasse doucement sur les lèvres et prend ma main pour la guider. Je discerne les contours d’un plateau en bois, la chaleur rassurante d’une tasse, l’odeur fraîche d’une rose et celle sucrée de croissants. Un sourire spontané me saisit : il m’a préparé le petit déjeuner. Si quelques hommes s’étaient déjà donnés cette peine avant mon accident, ma nouvelle solitude m’a empêchée, depuis lors, de profiter de ces petits bonheurs du quotidien.

Blottis l’un contre l’autre, nous savourons ce moment, encore un peu. Nous savons qu’il va falloir se lever bientôt, affronter le monde et ses réalités ; mais pour l’instant, il n’est pas question de sortir de cette bulle rassurante. J’y suis trop bien, enfin en sécurité, enfin moi.

— Tu sais que tu ressembles de plus en plus au prince charmant ? lancé-je pour le taquiner.

— Ah oui ? C’est sans doute parce que tu es ce qui se rapproche le plus d’une princesse, me répond-il du tac au tac.

— Ce qui se rapproche le plus ?! Mais quel goujat ! m’emporté-je aussitôt.

— Je plaisante, Angie…

Je perçois le sourire dans sa voix, me maudis d’être tombée dans le piège.

Grégoire a vraiment l’art de me faire tourner la tête. Je fais mine de le frapper, rate de quelques centimètres son bras. Nous rions ensemble, étourdis par cette complicité, ce jour si merveilleux. Heureux, tout simplement.

***

Le soleil filtre à travers les persiennes et lèche, espiègle, la peau sucrée de mon amour à peine éveillée. Instinctivement, sans même réfléchir, je sais quand elle ressent le besoin que je la guide. Elle paraît surprise. Agréablement surprise. D’ailleurs, je me surprends moi-même d’être aussi attentionné. D’ordinaire, avec mes précédentes compagnes de nuit, je m’éclipse discrètement, sans bruit. Pour ne pas qu’elles espèrent. Même si c’est toujours sans ambiguïté que j’annonce ouvertement la couleur. Je ne leur promets jamais ce que je ne peux donner. Mais là, c’est différent. Pour la première fois, j’ai envie de rester. Même si ça risque d’être compliqué. Il va bien falloir que je rentre sur Lyon un jour !

Je préfère ne pas y penser, profiter de tous ces petits moments piqués en douce, de notre complicité, nos gamineries adolescentes quand elle se rend compte que je la charrie comme ça, pince-sans-rire. Ça me renvoie parfois à de jolis souvenirs : à nos délires qui n’amusaient que nous, Caro…

***

— Mais arrête, t’en mets trois fois trop !

— Nappé de chocolat, ça se verra pas…

— Non mais t’es grave quand même ! Et d’abord, tu la sors d’où, ton idée loufoque ?

— D’un épisode de Friends. Tu sais, quand Rachel mélange la recette du diplomate avec celle du hachis parmentier…

— On va se faire tuer, Greg ! Tony va nous tuer…

— Il n’avait qu’à pas nous confier la réalisation du gâteau d’anniversaire de l’oncle Henri. Il savait que c’était à ses risques et périls…

Caroline est hilare.

— Je vais jamais pouvoir me retenir !

— Il faudra bien, sœurette, et puis n’oublie pas que tu es ma complice…

***

Je réprime vainement un sourire tandis qu’Angie caresse les contours de mon visage. Elle le devine, m’interroge.

— Tu penses à quoi ?

— A rien d’important. A une connerie que Caroline et moi, on avait faite quand on était minots.

— Tu me raconteras ?

— Oui, mais plus tard, fais-je en regardant l’heure. Là, il faut que je me bouge un peu si on veut profiter de la journée…

— De toute façon, j’ai terminé. Je ne peux plus rien avaler… Tu veux aller dans la salle de bain en premier ?

— Non, vas-y. Je vais en profiter pour descendre faire la vaisselle du petit déj’. A moins que tu n’aies besoin de moi…

— Non, ne t’inquiète pas, j’ai l’habitude de me débrouiller toute seule.

J’embrasse mon Angie sur la bouche avant de quitter la chambre.

— A tout à l’heure, ma chérie !

***

La cuisine. Si Angie y a ses repères, moi je suis un peu paumé, je ne sais pas vraiment où se rangent la poêle, les couverts, les assiettes. Je les avais trouvés un peu au hasard au réveil, en farfouillant partout, alors une fois la vaisselle faite, je répète les mêmes gestes.

Soudain, j’entends la porte d’entrée s’ouvrir et une voix familière emplir le vestibule en chantonnant.

T’avais les cheveux blonds, un crocodile sur ton blouson…[9] CHOUPETTE, C’EST MOI ! JE REVIENS DE LA PLAGE, J’AI RAMASSE DES COQUILLAGES A MAREE BASSE…

Lorsque Mathilde m’aperçoit torse nu, en boxer dans l’embrasure du hall, essuyant nonchalamment un verre à cocktail un sourire ravageur aux lèvres, elle s’arrête net en poussant un cri de stupeur.

— Bonjour Mathilde…

C’est marrant, elle a l’air un peu godiche comme ça, avec son seau d’écolier, son jean retroussé assez haut sur les mollets et son chapeau cloche. Beaucoup moins sexy que d’ordinaire en tout cas.

— Gr… Grégoire ? Qu’est-ce que… Qu’est-ce que vous faites là, enfin, je veux dire… Dans cette tenue ?

Elle bafouille, s’empourpre même et je m’en amuse. Je lui plais, la trouble et j’en joue…

— A votre avis ?

Je ne sais pas si elle n’est pas plus prude que ce que je croyais, mais en tout cas la situation la gêne. Et elle tente d’en sortir.

— Je… Je n’imaginais pas que vous ayez pu passer la nuit ici… Enfin, connaissant Angie. Sinon, je ne me serais pas permise, vous pensez bien… En fait, j’ai les clés, et tous les dimanches matin, je viens la chercher pour faire un tour au marché.

— Moi j’aime bien le marché ! Si vous nous laissez une demi-heure, le temps de prendre une douche et d’enfiler quelque chose de décent, on peut s’y rendre tous les trois.

— Euh… Pourquoi pas ?

Elle ne sait plus sur quel pied danser avec moi. Je vais même enfoncer le clou, histoire de…

— Au fait, maintenant que vous m’avez vu en sous-vêtement et que la quasi-totalité de mon anatomie ne vous est plus inconnue, on peut peut-être se tutoyer, non ?

***

Je mets un peu plus de temps à me préparer que d’ordinaire. Peut-être parce qu’aujourd’hui, chaque geste prend une nouvelle importance. Tandis que je m’attelle à cette routine quotidienne maintes fois répétée, tout me ramène à Grégoire. Je ne me coiffe plus seulement pour dompter ma crinière, mais pour être belle à ses yeux. Je n’enfile plus des vêtements piochés au hasard dans mon armoire, je décide à la place d’une tenue adaptée au programme du jour, qui lui plaira aussi. Je ne me maquille plus pour cacher mon handicap, mais plutôt pour qu’il soit fier de m’avoir à son bras. Et pendant tout ce temps passé dans la salle de bain, je ne peux m’empêcher de tendre l’oreille vers le rez-de-chaussée, pour vérifier que tout se passe bien.

J’ai entendu Mathilde franchir la porte tout à l’heure, avec son enthousiasme habituel et sa générosité, mais je crains un peu sa réaction face à l’apparition inhabituelle d’un homme dans ma demeure. Certes, ce n’est pas n’importe quel homme. Elle le connaît bien, c’est même elle qui m’a poussée dans ses bras. Mais quand même, je ne devrais pas les laisser ensemble trop longtemps. Qui sait quelle bêtise elle est capable de lui raconter. Et puis, je voudrais annoncer personnellement la nouvelle à ma meilleure amie…

— Salut Mathilde ! Je suis prête pour le marché ! lancé-je en débarquant dans le salon.

— Hey, salut ma Choupette ! Je suis prête moi aussi, mais je crois que Grégoire a envie de venir avec nous, me répond Mathilde.

— Grégoire ? Tu en es sûre ?

— J’aimerais bien oui. Si ça ne vous dérange pas, bien sûr…

La voix de l’homme que j’aime sort de la cuisine. Apparemment, il a préféré se replonger dans la vaisselle après l’arrivée de Mathilde. Je me dirige vers lui jusqu’à poser mes mains contre son torse, dans un geste de tendresse nouveau pour moi.

— Dans ce cas, dépêche-toi ! La salle de bain est libre, je te donne dix minutes, pas une de plus !

— Défi accepté ! plaisante-t-il en m’embrassant.

J’entends ses pas s’éloigner, puis revenir vers moi.

— Par contre, j’ai un petit problème…

— Lequel ? demandé-je, étonnée.

— Je n’ai absolument rien à me mettre, me souffle-t-il à l’oreille, l’air goguenard.

— Ah ! Effectivement, je n’avais pas du tout pensé à ça…

Après quelques secondes de réflexion, je me retourne vers ma meilleure amie.

— Dis Mathilde, ton dernier petit copain, il faisait quoi comme taille ?

— Euh… A peu près comme Grégoire, pourquoi ?

— Parce que je crois qu’on va avoir besoin d’un jean, d’un boxer, d’un tee-shirt et d’un sweat. Il n’aurait pas laissé traîner quelques affaires chez toi, par hasard ?

— Oh… murmure-t-elle en comprenant enfin le problème. Oui bien sûr, il n’est pas encore venu récupérer ses fringues depuis notre séparation. Je vais aller vous chercher ça, j’en ai juste pour quelques minutes à faire le trajet.

— Je vais venir avec toi. Ça sera l’occasion de discuter, lui proposé-je.

***

Alors que nous marchons depuis plusieurs minutes, nos pas nous portant naturellement le long des rues qui séparent ma maison de l’appartement de Mathilde, le silence règne entre nous deux. Je crois qu’elle n’ose pas aborder le sujet, ce qui m’étonne de sa part, elle qui est toujours la première à plonger tête baissée dans les potins. Cela dit, je comprends qu’elle soit gênée. Après tout, elle ne m’a jamais connue avec un homme. Et même s’il m’est parfois arrivé de ressentir une attirance envers certaines personnes du sexe opposé lors de nos escapades entre filles, il ne m’est jamais venu à l’idée d’ouvrir ma porte à un inconnu rencontré seulement quelques jours plus tôt. Tout ceci est tellement contraire à ce que je suis, à ma personnalité craintive et réfléchie. Jusqu’ici, tout n’était que fantasmes, je m’inventais des rencontres extraordinaires avec des hommes qui n’existaient pas, mais c’est subitement devenu terriblement réel. C’est normal qu’elle soit perdue, qu’elle essaye de comprendre sans y parvenir. C’est pour ça que j’aimerais trouver les mots justes, ceux qui expliqueront la situation de la façon la plus rassurante qui soit pour elle. Mais comment expliquer à ma meilleure amie qu’un coup de foudre m’a complètement transformée ? Qu’il a fait de moi quelqu’un d’autre, une fille heureuse et spontanée ?

— Tu sais, on n’est pas obligées d’en parler si ça te gêne… tenté-je pour rompre le silence.

— C’est pas ça… Simplement, c’est trop bizarre. Je veux dire, ça ne te ressemble pas. Il y a quelques jours, tu paniquais à la simple idée qu’il te parle ou te frôle le bras sur cette terrasse, et aujourd’hui tu…

— … Couches avec lui ?

— C’est ça, oui…

— Je sais, bizarre est le mot qui convient le mieux à cette histoire. Mais j’ai envie d’y croire, Mathilde ! Tu peux comprendre ça ? Après des années de solitude, j’ai enfin trouvé quelqu’un qui me donne envie d’y croire.

— Bien sûr, Choupette, et je suis tellement contente pour toi ! Mais je suis aussi morte de trouille à l’idée de t’avoir poussée dans les bras d’un séducteur, peut-être même d’un connard qui te laissera tomber à la première fille en minijupe qui tortillera des fesses sous son nez. Toi aussi comprends-moi, je ne sais pas si je serai capable de te ramasser à la petite cuillère en sachant que tout est de ma faute…

C’est la première fois que j’entends Mathilde tenir un tel discours. Elle, la romantique qui collectionne les livres d’amour et enchaîne les mecs en continuant à croire que le prince charmant existe, m’incite aujourd’hui à me méfier. C’est le monde à l’envers ! Et puis Grégoire, un séducteur ? C’est vrai qu’il aime jouer de son charme, mais serait-il capable de me remplacer par une fille plus jolie, plus sûre d’elle, plus normale ?

— Je m’en moque ! Pour la première fois depuis longtemps, je suis prête à prendre ce risque. Parce que chaque moment que je passe avec lui est déjà un cadeau. Alors peu importe si tout s’arrête demain, peu importe si ses promesses ne sont que du vent, je veux profiter au maximum de tout ce qu’il a à m’offrir !

— Alors tant mieux si tu sais ce que tu fais ; seulement, fais gaffe quand même parce que je connais les hommes et ils s’en fichent pas mal de briser nos rêves de demoiselle, crois-moi ! J’ai pas envie que ton rêve s’arrête, ma Choupette, j’ai pas envie que tu te réveilles en plein cauchemar. Je veux juste que tu sois consciente de ce choix d’être avec lui, de ce que ça implique. Et là où ça peut te conduire. Mais surtout, dis-toi bien que je serai toujours là pour toi, quoi qu'il arrive…

Je sens que le sourire bienveillant de Mathilde est revenu. Je crois que j’ai malgré tout su apaiser ses doutes et ses peurs. J’ai toujours eu le don de faire ça, parce que les mots sont mes amis, parce que je sais les manier pour arranger la vérité. Mais au fond, son discours n’a fait que réveiller mes angoisses. Et si je me plantais ?

[6] : Paroles extraites du titre « Est-ce que tu viens pour les vacances ? » de David & Jonathan.

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