9 : Couple un jour, couple pour toujours ?

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Midi. La porte vitrée de la petite librairie d’Angie est grande ouverte. Je m’empresse d’y entrer, cherche des yeux ma dulcinée. Elle est là, occupée à ranger quelques bouquins sur un rayonnage. Elle ne m’a pas entendu. Je l’observe, amusé mais nullement moqueur. La grâce inouïe, presque ingénue qu’elle met dans chacun de ses gestes, même les plus anodins, me séduit, me trouble. Et c’est Mathilde qui me surprend dans ma contemplation en déboulant derrière moi, les bras encombrés d’un volumineux carton.

— Hey, salut beau brun !

Sa voix stridente, reconnaissable entre mille, fait sursauter Angie. Quelques livres lui échappent, dégringolant sur le sol. Je me précipite vers elle pour l’aider à les ramasser. Accroupis l’un à côté de l’autre, nos mains se touchent. Elle sait, elle sent instinctivement que c’est moi.

— Grégoire ?

— Oui, Angie…

Nous nous relevons de concert, sa main dans la mienne. Un furtif baiser d’amoureux, interrompu par Mathilde.

— Ben c’est ça, faites comme si je n’étais pas là ! Ça devient une manie, décidément ! Je suis transparente ou quoi ?

— Pardon Mathilde, je manque à tous mes devoirs.

Je lui fais la bise, amical.

— J’aime mieux ça. Bon, c’est quoi votre programme ?

— Déjeuner au Café de la Marine, là où j’ai entendu pour la première fois cette merveilleuse voix, celle d’Angie.

Un sourire sur les lèvres, je regarde la femme que j’aime dans les yeux, nos doigts ne se délient pas. Mathilde semble gênée de « tenir la chandelle ». Elle ne l’avait jamais vue avec un homme auparavant. Elle la découvre heureuse, épanouie pour la première fois. Et elle a du mal à trouver sa place.

— Mathilde, vous voulez vous joindre à nous ? proposé-je pour la forme, par pure politesse.

— Non… Non, c’est votre moment à vous. Vous devez avoir plein de choses à vous dire…

— Ne vous inquiétez pas, je vous la ramène vers 14 heures. On y va, ma chérie ?

« Ma chérie ». C’est sorti comme ça, naturellement, sans réfléchir. Comme si on était en couple depuis trois ans. Comment va-t-elle le prendre ?

En même temps, c’est con de se poser ce genre de questions ! Après tout, qui sait comment naissent les surnoms ou petits mots doux que peuvent se donner, s’échanger deux amoureux ? Sauf que pour moi, c’est la première fois. Comme ce sera la première fois quand je lui dirai « je t’aime ». Je suis charmeur, séducteur, beau parleur pour parvenir à mes fins avec les filles, mais quand il s’agit de se mettre à nu, d’ouvrir son cœur, d’être sincère, c’est une autre paire de manches…

Putain, Greg, voilà que tu te mets à gamberger comme une midinette qui se demande s’il est de bon ton de coucher dès le premier soir ou pas ! Ça viendra comme ce « ma chérie » est venu et puis voilà ! Te casse pas la tête…

— C’est pas que je veux vous mettre dehors, les tourtereaux, mais j’ai la boutique à fermer, moi ! Alors même si je vais me contenter du panini de Chez Bob, j’aimerais bien me poser un peu pour bouquiner tranquille…

— Excuse-nous Mathilde, et bon appétit à toi. A tout à l’heure.

Nous quittons la librairie bras dessus-bras dessous, comme un vrai petit couple. Qui sait, c’est peut-être ce que nous allons devenir, Angie et moi…

***

La terrasse du café est bien plus calme que lors de notre première rencontre. Nous sommes quasiment seuls, Grégoire et moi, assis à une petite table le long des quais. L’espace d’un instant, j’imagine l’océan comme unique toile de fond. Alors qu’un serveur nous apporte notre déjeuner, je remarque que mon compagnon est bien silencieux. Il n’a presque pas prononcé un mot depuis que nous avons quitté Mathilde. Seul le bruit de sa fourchette, qui cogne contre son assiette dans un cliquetis régulier, rompt la tranquillité des lieux. J’avance ma main sur la table jusqu’à rencontrer la sienne. Il répond aussitôt à mon geste, mais la pression de ses doigts est un peu trop nerveuse. Bien décidée à savoir ce qui le tracasse, je relève la tête, comme pour le fixer dans les yeux, et me lance :

— Grégoire ? Il y a un problème ?

— Un problème ? Non, pas du tout !

— J’ai l’impression que j’ai fait quelque chose qui ne t’a pas plu…

— Non ! Bien sûr que non ! C’est juste que… Tu ne boitais pas hier soir, alors qu’aujourd’hui oui. Je l’ai remarqué depuis tout à l’heure, et ça m’ennuie parce que… Parce que j’ai l’impression que c’est à cause de moi.

— Ça n’a absolument rien à voir avec toi ; j’ai simplement raté une marche hier soir, par mégarde !

— Oui mais si j’avais été là, si j’étais resté un peu avec toi, ça ne serait pas arrivé…

— C’était de la fatigue, Grégoire, uniquement de la fatigue ! Tu n’es responsable de rien ; et puis surtout, arrête de croire que je suis en sucre…

— Je sais bien que tu n’es pas en sucre ! Seulement, je voudrais tout le temps être là pour toi, te protéger.

— Tu ne peux pas me protéger de tout, Grégoire ! Et puis, je n’ai pas besoin d’ange gardien, je sais très bien me débrouiller toute seule !

— J’aimerais pourtant… Te rendre le quotidien plus agréable, plus facile…

— J’ai très bien vécu toutes ces années sans que personne ne m’aide. Tu ne peux pas prétendre bouleverser ma vie en seulement quelques jours. Laisse-nous du temps pour trouver nos marques, et alors, peut-être qu’un jour tu pourras tenir ce rôle…

Mon ton sec me surprend moi-même. Je ne dois pas retomber dans mes travers, il faut absolument que j’apprenne à me délester de cette carapace qui m’encombre. Il n’a pas besoin de ça. Après tout, il veut seulement mon bonheur.

— Excuse-moi, Angie. Je me rends compte que je veux aller trop vite, brûler les étapes. Mais je suis tellement bien avec toi, j’apprends tellement de toi ! Et j’ai peur que même en décidant de prolonger mon séjour ici, le temps nous manque, qu’il nous empêche de vivre notre histoire.

— Et tu comptes rester encore longtemps ?

— Une semaine, peut-être plus…

— Ah, ça c’est une bonne nouvelle ! Je voulais justement te proposer une soirée, ce week-end, un opéra à Brest. J’avais commandé deux places, il y a plusieurs mois de ça, mais Mathilde a dû me faire faux bond au dernier moment ; elle ne sera pas disponible. Je n’avais pas très envie d’y aller toute seule, mais maintenant que tu es là, je me disais que…

— Ça serait avec plaisir ! Je n’y connais pas grand-chose en opéra, mais j’ai confiance en tes goûts, m’assure-t-il, de nouveau malicieux et joyeux.

J’ai l’impression que j’ai réussi à rattraper mon léger emportement de tout à l’heure. Le sentiment que la perspective d’une nouvelle soirée avec moi le réjouit me donne envie de m’adoucir. Mais où allons-nous comme ça, de soirée en soirée, de jour en jour ? Sommes-nous vraiment un couple ? Et quand il repartira, le serons-nous toujours, ou n’aurais-je été qu’une passade, un amour de vacances ? Et puis surtout, pourquoi faut-il que ma vie soit aussi compliquée ?

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