suite 5

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Elle sortit la lettre pliée dans son décolleté. Entreprit de déchiffrer quelques mots :

« Maison » … « Jardin »… « Poules »… « Pommes »… »Auguste » …Et ses parents, il n’en avait rien dit !

Soudain, dans la lumière tamisée, elle prit conscience des mains abandonnées de son voisin le dormeur. Au bout des manchettes blanches amidonnées, agrafées par un bouton doré dont l’éclat palpitait au rythme de la respiration, sur les pages d’une revue elles s’étaient assoupies bercées par la lecture. Elle tendit le cou, à la quête du titre…et reconnut les caractères plantés en garde, sur le haut de la page. Décidément son destin la poursuivait ! Autour d’elle, les esprits veillaient, les bons cette fois, elle en était sûre.

Pourquoi avaient-ils alors abandonné son père, agonisant dans une ruelle imbriquée dans le dédale odorant du vieux port ? Sans l’aide des deux femmes qui rangeaient leur popote au fond de l’impasse, il n’aurait pas pu regagner l’hôpital.

Alertés par les cris, des touristes français qui revenaient à pied de leur visite du Fort Jésus l’avaient transporté dans leur bus malgré les protestations du chauffeur, voyant d’un très mauvais œil son siège rougir sous le sang qui coulait d’une vilaine blessure à la tête. Explosives et avérées dans les campagnes, les émeutes couvaient depuis quelques temps à petit feu dans la ville et sa gangrène de miséreux favelas. Ce jour-là, son père en avait fait les frais, son origine Kamba ayant déchaîné les coups. S’en était suivie une bagarre générale qui avait vidé les bars de ses clients, la rue de ses charrettes à bras. Eclopés, boiteux, en sang, ils s’étaient envolés le laissant pour mort sous le soleil brûlant.

La sœur missionnaire avait fait la grimace en épongeant ses plaies, le silence pesait lourd dans la pièce. Comme un bâillon la douleur collait aux lèvres du blessé qui ne pouvait plus ni parler, ni bouger le bras droit. Seuls ses yeux criaient son désespoir.

Des effluves puissants de désinfectant les avaient agressés dès leur arrivée : elle était venue en courant depuis leur quartier de misère avec son grand frère et sa mère. Dans l’entrée du dispensaire, anxieux ils attendaient. La revue était sur la table. Comme l’homme qui ronflait par saccades à ses côtés, elle l’avait feuilletée. Jusqu’aux dernières pages, elle avait parcouru les rubriques…L’annonce brutale du décès de son père et les cris de sa mère l’avait jetée cruellement hors des lignes.

Dans la soirée, on les avait aidés à ramener le corps étendu sur une charrette louée, un carton sur le ventre, le magazine plié en appui sous la tête bandée, le seul luxe de ce pauvre cortège . Ils l’avaient conservé.

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