L'autre moitié de nous-mêmes

3 minutes de lecture

Célia

La soirée du 6 octobre


Ce regard ? Celui d'un homme plein de tendresse à mon égard, celui d'un homme ne respirant pas une once de haine envers ma personne. Pourtant, les agents l'ont entraîné en direction de ce véhicule de police, qui ne se serait jamais trouvé à cet endroit sans mon aide.

Mickaël dispose de l'habileté nécessaire, afin de dissimuler n'importe quelles preuves qui peuvent l'incriminer. Toutefois, par chance, Aurora avait reconnu être entrée par effraction chez lui pour les besoins de l'enquête de Louise. Certaines affaires personnelles seraient restées dans un coffre de Mickaël, et celles-ci le rattacheraient peut-être au meurtre de ma sœur. L'absence de Mickaël m'a laissé la liberté d'inspecter la maison à la recherche de cette boîte, que j'ai par la suite transmis à la justice, ce qui a mené à son arrestation.

Ce regard ne reflète en rien la réaction à laquelle je me préparais de sa part, mais l'attitude de celui que j'aime. Je le considérais comme celui que Platon aurait appelé l'âme sœur. Ce mythe semble dire, que nous étions tous des êtres à l'origine androgyne, condamnés par une malédiction divine, a devoir retrouver l'autre moitié de nous-mêmes. Mais mon âme sœur m'a arraché brutalement sans raison la prunelle de mes yeux, ma pauvre Sandrine. Si Mickaël est cet autre part de moi, je suis une nouvelle fois séparée de lui par la force du destin ? Est-ce seulement une malédiction divine ou juste une illustration des travers les plus humains ? Se complaire dans l'absurdité du grand amour, et se perdre dans le fantasme qu'on a de l'autre, et donner ainsi ce qu'on n’a pas à quelqu'un qui n'en a jamais voulu.

Je voudrais tellement être en ce moment dévorée par des vers de terres à la place du corps de ma sœur. Pourquoi je guéris après tant d'années de ma maladie, alors que je ne désire plus vivre ? La vie est d'une perfide ironie, alors que je pensais en finir avec mes tourments, elle m'assène un ultime supplice. Je percevais sans l'ombre d'un doute, que je subirais un procès pénible, qui allait m'opposer à un avocat prestigieux. Cela m'aurait aidé à exorciser mes peines et versé ma rage dans cette lutte frénétique. Mickaël, décidé à me surprendre davantage, a tout avoué de lui-même, sans que l'enquêteur ne lui pose une question. Il assume chacun de ses actes et va s'acclimater de la sentence prononcée par le juge.

Ce regard, qu'il m'a lancé, représentait celui d'une personne en paix prête à affronter ses méfaits. Il paraît même qu'un psychologue a certifié qu'il semble atteint de schizophrénie, et son trouble psychiatrique peut se soigner progressivement. Au regard de cela, il refuse quand même impérativement de se servir de son état psychologique au cours du procès. Il n'essaye pas de se défendre et ne me donne aucune raison de combattre, pourquoi agit-il de cette façon ? Pourquoi ne montre-t-il pas sa véritable nature perverse, qui est-il réellement ?

Je n'implore pas le Ciel, cela va à l'encontre de mon athéisme. Les religions ne sont que des constructions sociales, afin d'assurer l'ordre dans certaines sociétés, et permettre aux humains de concevoir un sens à leur existence parfois misérable. Ou alors cet opium qui anesthésie le peuple, le rendant docile à tous les excès des puissants, dont nous parle Marx. Si ce n'est pas cette figure paternalisante, la fameuse recherche freudienne du père rassurant, qui plonge l'humain dans une infantilisation, qu'il l'empêche de grandir et de s'élever au-delà de la grégaire pensée magique. L'écrivain qui passionne Mickaël, Voltaire, le démontre grandement dans le dernier chapitre de son livre Micromégas, lorsque le protagoniste offre un livre de Métaphysique aux humains contenant des pages blanches. La métaphysique représente alors le degré zéro de la pensée, selon l'auteur. Sérieusement, je me prends pour qui pour juger les croyances de millions d'individus ? Je suis éperdument amoureuse d'un schizophrène qui a massacré ma petite sœur, et je spécule sur des questions théologiques.

J'attends les résultats du médecin depuis ce qui me paraît être une éternité. J'écoute anxieusement cette tirade médicale qui m'annonce une nouvelle qui m'achève. Il ne manque plus que cela, mon ventre abrite sa progéniture depuis presque six mois, je vais accoucher du bourreau de ma propre sœur. Pourquoi je ne le déteste pas, pourquoi je l'aime tant... et maintenant cet enfant... pourquoi ?


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