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The Hawk

Plouf.

Ce simple son provoqua un festival de sentiments. Qu’est-ce que je détestais cette spécificité humaine ! Elle n’avait aucun intérêt. C’est même pire. Elle était nuisible.

D’abord il y eut la panique, quand tout l’équipage se rameuta à ma poupe. Il faut préciser qu’il s’agissait d’un gros plouf. Ce qui venait de tomber à l’eau, était volumineux au moins autant qu’un corps humain.

Nos poursuivants avaient gagné du terrain ces deux dernières heures. La pression avait dû être trop forte pour l’un des marins sur mon bord.

Même avec mon absence d’âme humaine, cette conclusion me parut évidente. D’ailleurs c’était aussi le cas de l’équipage. Malgré leurs « non » et « c’est pas vrai », ils le savaient très bien.

Le déni venait de faire son apparition.

Je m’apprêtais à entendre les pleurnicheries d’usage face à la mort.

C’était pourtant naturel de mourir chez tous les êtres vivants il me semble.

« Salaud ! », « Petit fumier ! », « Lâcheur ! »

Au lieu de la tristesse ce fut donc la colère. Car à la place d’un noyé apitoyant, un lâche répugnant s’éclipsait dans le canot de sauvetage.

Personnellement je ne voyais pas une grande différence entre cette fuite et un suicide.

Enfin se manifesta le meilleur des sentiments à mes yeux, le seul à être vraiment logique et utile : l’égoïsme.

Kid ramait l’air totalement indifférent aux insultes. Il ne me satisfaisait qu’à moitié. Malgré son sang-froid il persistait dans une action stupide.

Je craignais le sentiment à suivre. Il était à l’origine des pires erreurs chez les humains.

Parmi les marins se distinguait un dénommé Max. Cet allemand de grande taille était incapable de rester immobile plus de quelques secondes.

Fidèle à cet habitude il tourna vite le dos au spectacle de Kid, puis s’avança vers la timonerie.

Il allait le faire !

Personne ne lui prêtait attention lorsqu’il en ouvrit la porte. Heureusement un obstacle subsistait entre lui et son envie de vengeance.

Cranio lui n’était pas comme les autres. Il était demeuré à mes cotés à maintenir le cap et continuerait.

Jamais il ne laisserait cet inconscient me faire virer de bord afin de rattraper Kid. Sinon nos poursuivants nous rattraperaient à leur tour.

Comme je m’y attendais de sa part Cranio perçut immédiatement la présence de l’intrus et lui fit face. Il déploya ses épaules en espérant que le message passerait.

En fait Max ne prit pas l’avertissement en compte. A vrai dire sa présence l’indifférait complètement. Il cherchait quelque chose.

Cranio ne comprit pas. Tout était parfaiment rangé dans son petit royaume personnel. Fouiller y était donc inutile.

Soudain il lui revint un rajout récent lié à la situation actuelle. Hélas c’était trop tard. Max venait de s’emparer du fusil.

Cranio ne bougea pas, mais pas par peur. Il était au-dessus de çà, au-dessus de ses congénères. Il observait dans l’attente du moment propice.

De son coté Max continua de l’ignorer et revint vers ma poupe.

« Je vais le plomber ce petit con ! »

Il avait bel et bien annoncé à haute voix son intention bien qu’elle soit évidente. J’avoue que cette attitude me dépassait.

Peut-être était-ce pour avoir l’assentiment des autres ou simplement par bêtise ?

« Ce n’est qu’un pauvre gosse ! »

L’auteur de ces mots était bien évidemment Keith.

Ah la compassion ! Contrairement à elle sa voisine la solidarité m’était accessible. Aider un collègue ou un complice était une chose logique. Puisqu’il oeuvrait au même objectif. En revanche soutenir une personne sans y avoir le moindre intérêt m’était incompréhensible.

Ensuite Keith se plaça entre Max et Kid au loin un air de défi sur le visage. C’était ça le fameux courage, ce sentiment si estimé !

J’étais franchement déçu. Son opposé la peur me plaisait plus. Au moins elle permettait d’éviter certains dangers comme s’opposer sans arme à un homme munit d’un fusil.

Enfin quelqu’un délaissa enfin ces maudites émotions.

« Il n’est pas question de gaspiller des munitions. »

La logique et l’autorité de Lawton firent baisser l’arme, dont il s’empara ensuite.

Aucune autre parole ne fut nécessaire. L’équipage retourna vaquer à ses occupations, Cranio compris.

Ces fameux sentiments qui différençiaient les humains des objets comme moi, ne valaient au final pas grand chose. Quelques paroles suffisaient à les balayer.

En voyant Lawton regarder en direction du fuyard je m’interrogais non pas sur l’origine de son sentiment mais sur son type.

Etait-ce le plaisir d’assister à la mort de ce gosse, c’est-à-dire du sadisme ou alors une sorte de solidarité teintée de pitié ?

En tous cas il ne s’agissait pas de curiosité. Le destin de Kid était évident. Un marin inexpérimenté si loin de la côte avec un esquif pareil, ne pouvait pas s’en sortir.

Justement il s’en sortit aussi bien que possible au vue de sa position. Sa barque prit la destination du bateau de pêche. Une action stupide et raisonnable à la la fois.

Je ne voyais aucune raison que ces maniaques de la gâchette fassent preuve d’indulgence. Au moins son agonie serait plus courte par rapport à une dévire sur l’océan.

Au vue de la distance l’usage des jumelles devint nécessaire. Lawton ne les utilisa pas. Il préférait sans doute s’épargner les détails les plus glauques.

Il se produisit alors ce que les humains appelent un miracle, c’est-à-dire un imprévu bénéfique.

Le bâteau de pêche venait de prendre feu.

La surprise était telle que Lawton ne parvint même pas à sourire.

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