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The Hawk

La mer était calme. J’étais en vitesse de croisière. Les matelots rangeaient tranquillement les caisses d’alcool laissées sur mon ponton.

Ne vous y trompez pas. Ce n’était qu’une foutaise purement humaine consistant à ignorer le problème, comme s’il allait disparaitre de lui-même.

Seul Lawton ne se mêlait pas à cette mascarade... au profit d’une autre. Placé à ma poupe il étudiait soigneusement le même sujet encore et encore. Un acharnement inutile dans le but de compenser sa négligence précédente.

A force de songer à comment esquiver les forces de l’ordre, Lawton en avait oublié la concurrence.

Une fois l’assaut passé il put réfléchir un peu. De simples pillards occasionnels n’auraient jamais fait preuve d’une telle violence. Leurs agresseurs étaient de véritables gangsters.

Lawton avait déjà subi quelques menaces auparavant en débarquant sur les côtes. Depuis que ses ventes sur l’océan, il n’y prêtait plus attention. La mer n’était pas le domaine de ces gros durs.

Son comportement m’intéressait. Ayant été conçu pour une seule fonction, j’ignorais tout de ce genre de difficultés consistant à passer d’un rôle à un autre. Marin, vendeur, trafiquant, et maintenant chef de guerre.

Justement le moment du rapport de l’aide de camp approchait.

Tout naturellement le si serviable Keith se chargea d’endosser ce rôle avec Kid derrière lui.

L’irlandais décrivit méticuleusement les dégâts provoqués par les balles qu’il avait relevé avec l’assistance de Kid. Quelques trous étaient à déplorer çà et là. Mais rien de bien gênant non plus. Juste une petite voie d’eau vite colmatée.

J’admirais que Keith parvienne à en dire autant sur si peu tout comme les tireurs d’être aussi mauvais.

Ils ne fallaient pas les accabler non plus. Les objets inanimés comme moi sont plus difficiles à neutraliser que les créatures vivantes. Nous ne saignons pas au moindre trou.

De toute façon je crois que c’est l’équipage, qui était visé. Ce qui finalement ne les excuse pas beaucoup, puisqu’on comptait un seul blessé parmi mes matelots.

On revenait à la fameuse fragilité des vivants. Une balle lui avait traversé le ventre sans même toucher un organe vital. Ce fut tout de même suffisant pour l’aliter sur un lit.

Et après certains prétendaient que l’homme était au service de la machine. A propos de service celui de Keith venait de s’achever. Il ne lui restait plus qu’à quitter son capitaine, qui prendrait les mesures d’adéquates.

Là encore on y trouvait une différence entre les humains et ma personne. Je savais m’en tenir à ce qu’on exigeait de moi.

Keith était un bon marin. Toutefois il doutait de son capitaine. Par conséquent il voulait en savoir plus.

« Et pour le nuage ? »

Il parlait d’une technique de contre-bandier. Elle consistait à verser de l’huile usagée sur le moteur. Ainsi on obtenait un écran de fumée aveuglant les poursuivants. Lawton en avait produit un pendant la fusillade dès qu’un peu de sang-froid et de distance face aux assaillants s’étaient présentés à lui.

De mon coté ce ne fut pas très agréable de sentir ce liquide poisseux m’envahir. Ce n’est pas comme si on me demandait mon avis.

« Il n’a pas suffit. Ces connards nous ont retrouvé. »

Je ne le trouvais pas très généreux. La fumée avait au moins mis fin aux tirs et permit de s’éloigner.

En guise de conclusion à son exposé il pointa du doigt une forme au loin.

Que cherchait-il avec cette dernière précision ? A faire peur ?

Ce ne fut pas vraiment le cas. Du moins en ce qui concernait le mécanicien. Il avait eu le temps de se faire à cette possibilité.

« Il vaudrait peut-être mieux passer en pleine vitesse si on veut les semer. »

Bien que cette phrase sonne comme une suggestion, le mécanicien dépassait les limites en indiquant quoi faire à son supérieur.

Même moi je comprenais ce principe avec toutes ces pièces à mon service. Alors pourquoi n’était-ce pas le cas de Lawton ?

Dédaignant son interlocuteur, il se remit à observer de nouveau le navire ennemi. Sa réponse ne paraissait même pas s’adresser à Keith.

« Non il faut ménager le moteur autant que possible. Tout va se jouer sur l’endurance. »

On était en présence d’une des plus grandes obsessions des hommes : l’affrontement.

Dès qu’ils s’opposaient à leurs semblables plus rien d’autre ne comptait.

C’était comme leur fameuse grande guerre. A quoi bon gagner si c’était pour hériter d’une Europe en ruine ?

Kid qui avait été quelque peu oublié, regardait le canot de sauvetage accroché à ma poupe.

Keith remarqua cette réaction. Car il était sujet à un autre trait typiquement humain : l'empathie.

D’un coté ils aimaient se trucider et d’un autre s’entraider. Allez trouver une logique là-dedans !

A propos de logique nous étions trop loin de la côte pour une fuite en barque. Personnellement c’est que j’aurais dis à l’apprenti-matelot.

« Ne t’inquiète pas Kid. On a retrouvé le fusil. »

D’où était venu à Keith une réplique pareille ? Sans doute voulait-il dire qu’il existait des moyens de se défendre et donc de l’espoir.

Quoiqu’il en soit cet argument ne tenait pas debout une minute. Il était évident que nos poursuivants disposaient de plus d’une arme.

Apparemment Keith le comprit et tenta de se rattraper en se reportant sur son sens pratique de mécanicien.

« Antonio a un révolver, qu’il a gagné au poker. Nous avons aussi les couteaux de cuisine. »

Kid le regarda sans rien dire. Franchement je le comprenais. Il n’y avait rien à ajouter.

Lawton lui y parvint.

« S’ils se rapprochent trop, nous avons encore un baril d’huile usagée en réserve. »

Et dire que Keith se croyait en mesure de le remplacer. Alors qu’il se voulait rassurant en parlant d’une éventuelle fusillade, Lawton lui décrivait comme l’éviter.

Enfin le mécanicien réalisa ses limites, et se décida à partir en silence. Kid l’imita à part un dernier regard vers son capitaine.

Ce geste le réveilla un peu. Il abandonna sa surveillance acharnée, et pénétra dans la timonerie.

La timonerie était une cabine en surface d'où l'on me pilotait. Du fait de ma conception de base plutôt ancienne, cet endroit était placée à mon arrière.

L’intérieur était occupé uniquement par Cranio. Comme toujours il demeurait inébranlable. Il se contentait de tenir ma barre ne prêtant même pas attention aux impacts de balle ornant la vitre sur sa droite.

« Kid va tenir le coup, capitaine ? » Demanda-t-il.

Le fait d’être identifié sans même un regard n’étonna pas Lawton, pas plus que son timonier soit au courant de l’état de Kid. Sur mon bord cet homme était omniscient. Tout le monde avait eu le temps de s’y faire.

« Peut-être. »

Contrairement avec le reste de son équipage Lawton était toujours concis en sa présence. Cranio n’insista pas sur ce point finalement secondaire.

« Quel est le modèle du navire ? »

« Un modèle trafiqué. » Répondit Lawton d’un timbre rageur.

D’après ses observations l’allure de ce petit bateau de pêche était bien trop élevée. Son moteur avait sûrement été gonflé. Il était donc difficile d’évaluer précisemment ses capacités.

« Le pilote est plutôt bon, non ? »

« Oui. » Admit Lawton en songeant à la façon dont l’écran de fumée avait échoué.

Il attendit la suite silencieusement. Car Cranio voulait forcément en venir quelque part. Sinon il ne parlerait pas autant.

« Quelle est votre stratégie, capitaine ? »

La formulation de la question était plutôt soignée de la part de Cranio. Y avait-il un sous-entendu ? Non ce n’était pas son genre. La gravité de la situation déteignait juste sur lui. Ce qui était loin de rassurer Lawton.

Il regarda la vitre de droite afin de se motiver avant de répondre. Car il craignait le jugement de son subordonné bien que c’est ce qu’il était venu chercher.

« On va gagner la haute mer. Ce bateau de pêche n’est pas conçu pour. De plus sa ligne de flottaison est élevée. Il ne doit pas avoir beaucoup de réserves d’eau, de nourriture, et de combustible. Le tout est de maintenir une bonne distance. »

« Bien. »

L’expertise de Cranio se limita à ce mot prononçé sans enthousiasme, ni scepticisme.

Lawton faisait donc le nécessaire. Seulement ce ne serait peut-être pas suffisant.

En fait tout se jouait entre le raffiot et moi. Les humains n’étaient que de simples instruments. Chacun son tour !

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