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Marvin

Autant que j’en sache, il s’agissait d’un fusil de chasse ordinaire à double canon. Second avant de partir m’en expliqua vaguement le fonctionnement. Il doutait que j’ai à m’en servir.

On était dans une zone isolée. Les seules personnes à proximité habitaient le village. Et comme on leur refilait de l’alcool à bas prix, rien n’était à craindre de leur part.

Malheureusement ce raisonnement m’avait échappé. Cette arme me faisait peur. J’imagine très bien ton rictus de mépris. Pour toi la peur est forcément mauvaise.

Ca devenait bien trop dur pour le pauvre gamin épuisé que j’étais. Voilà qu’on me chargeait de me battre contre d’éventuels pillards. A présent je crois que monsieur Davidson avait perçu mon état de fatigue. Alors il m’accordait une pause de façon détournée afin d’éviter des jalousies.

Cet homme qui me connaissait depuis deux semaines, me traitait mieux que toi. Ce fait en disait long sur notre relation, n’est-ce pas ?

Puis la fatigue finit par l’emporter sur le devoir. Après avoir délicatement posé le fusil à coté de moi, je me suis assis sur un des bancs.

Quelle sensation délicieuse ! Depuis mon arrivée chez ces moonshiners je n’avais pas connu le moindre répis. Alors simplement rester immobile dans le silence devenait un paradis. C’était un peu comme noël à la maison. Je savais que ce soir-là aucune raclée n’était à craindre de ta part même si un de mes coudes trainaient sur la table. Ce qui suffisait à mon bonheur.

Le temps passa. Je repris des forces comme prévu. Toutefois je n’étais pas complètement endormis, puisque les bruits de pas parvinrent à mes oreilles.

A peine je commençais me relever, qu’il surgit devant moi.

Quelle excuse avait bien pu trouver Joe pour revenir au campement avant les autres ? Je ne le saurai sans doute jamais. Mais je reste persuadé que ce retour prématuré était calculé.

« C’est comme çà que tu montes la garde, petit branleur. »

Joe n’était pas comme d’habitude avec moi. Il n’avait plus ce petit air d’amusement en me malmenant. Je n’y voyait que de la colère. Et nous étions totalement seul.

J’eus peur comme jamais auparavant. Mon regard se porta sur le fusil près de moi. Une autre forme de peur m’assaillit et m’empêcha d’agir. Hélas mon attention n’a pas échappé à Joe.

« Qu’est-ce que tu veux faire ! »

Il me souleva et me balança sur le table. Je lui avais offert un prétexte en or.

La phrase précédente me revint alors qu’il se penchait sur moi.

Sans doute que t’y aurait vu un geste viril de ma part. Moi je crois que le hasard joua beaucoup dans la suite des évènements.

Ma frappe était plus un acte de désespoir ou simplement de l’instinct. En se renfermant mon poing s’empara d’un des rondins. Mon coup gagna alors en puissance.

Le visage de Joe au-dessus de moi disparut.

Je me relevais et constatais enfin l’horreur de la scène. David à terre inerte, saignait au niveau de la tempe.

Combien de fois avais-je rêvé de lui en mettre une à ce fumier ?

Pourtant je ne me permis même pas un peu de satisfaction dans ce geste. Je ne songeais qu’aux conséquences. Alors que j’avais si peu de plaisir dans la vie.

Et çà je le dois à ton éducation brutale où la moindre erreur, le moindre relâchement se payait.

Sauf que tu n'étais pas là. Sinon j'aurais sagement attendu la punition. Car je savais à quoi m'attendre de ta part contrairement à monsieur Davidson et sa bande.

Mon imagination de gosse vagabonda dans des coins sombres. Je voyais pendu à une branche, démembré à la hâche....

J’ai geins, tourné en rond un peu comme un chien, puis enfin prit la décision qui s’imposait : fuir.

Avant de partir je me suis rendu dans la tente où je dormais afin d’y prendre mon sac à dos.

Pourquoi pas le fusil ou de la nourriture ?

En fait je ne raisonnais pratiquement plus. C’était toi le véritable auteur de cet agissement à toujours me marteller de prendre soin de mes affaires.

Je marchais dans les bois sans la moindre idée en tête à part m’éloigner le plus possible. Bien que l’avancée se révéle pénible avec les broussailles, l’idée de me dénicher un sentier ne me traversa même pas l’esprit.

Puis certaines réalités me rattrapèrent. La marche précédente avait été longue, et mon temps de récupération réduit. Brusquement sans prévenir ma vue se troubla, je suffoquais. Mes limites étaient atteintes.

Je rampais presque au pied d’un arbre et m’y allongeais. L’ombre y était plus conséquente.

Enfin à l’arrêt je parvins de nouveau à raisonner un peu. Il me vint en mémoire la présence d’une gourde dans mon sac.

D'autres pensées suivirent. Le terme de pensées était peut-être exagéré. Ca relevait plus du sens pratique. Ainsi j'oubliais un peu le danger derrière moi.

J’examinais le contenu de mon sac à dos. Les provisions de notre précédent voyage ayant été rangé dans la réserve, je ne disposais que de mes vêtements, de ma gourde, d’un petit couteau, et de ma gamelle.

Ma couverture était toujours dans la tente.

J’avais une idée relative de la direction, que je suivais. Par contre j’ignorais depuis combien de temps je marchais : une demi-heure, deux heures ?

Si on y ajoutait ma fatigue, la situation n’était pas très engageante.

Ils allaient me rattraper !

Je devais réagir alors que je ne parvenais même pas à me lever. L’envie de pleurer remonta en moi.

Et puis non ! Je ne m’étais pas bousillé les jambes pour en venir au même point que si j’étais resté sur place. Je refusais que mon effort soit inutile.

Là encore tu prenais les commandes. A tout le temps me dire qu’il fallait mériter sa pitance et tout le reste. Je suivais tout simplement ce principe dans le sens inverse.

Seulement même réfléchir me demandait encore trop d’effort. Je suis alors resté là à reprendre mon souffle faute de mieux. Je comptais voir plus tard.

A me retrouver seul, j’en oubliais que les autres gens existaient.

Des bruits suggérant une arrivée parvinrent à mes oreilles. Ils provenaient approximativement de mes arrières, très certainement mes chers compagnons.

Contrairement à ma confrontation avec Joe, je parvins à conserver un certain sang-froid. Sans doute que je m’endurciçais comme tu le désirais tellement.

Par conséquent je me dissimulais dans les buissons et observais. Dieu que mes genoux me faisaient mal.

Trois silhouettes se dessinèrent dont une très reconnaissable.

Monsieur Davidson paraissait juste soucieux et non en colère. Je me demandais si je n’étais pas en plein délire avec ma chasse à l’homme. Au bout du compte il ne m’attendait peut-être qu’une simple torgnole et une exclusion. Une conclusion qui m’arrangerait au final.

Puis alors qu’il se rapprochait j’aperçus dans la main de mon chef son fameux révolver. C’était la première fois qu’il le sortait de son étui.

Second qui comptait parmi les deux hommes l’accompagnant, portait le fusil de chasse. Le deuxième subordonné lui se contentait d’un gourdin.

La réalité me frappa de plein fouet. Ils me traquaient les armes à la main, moi un gosse de treize ans !

Malgré la panique je notais l’absence de Joe. Il devait être bien amoché. Sinon il se serait porté volontaire.

Monsieur Davidson s’arrêta brusquement. Je me crus repéré et faillis vomir sous la pression. En fait il s’adressa à ses employés.

« On s’arrête là. »

Il s’exprimait comme avec Joe précédement. La tension était juste plus forte.

« Attends ! » S’exclama Second. « On a vu des traces de passage. On peut se le faire. »

« Ce n’est pas assez précis. Il vaut mieux que je m’occupe de Joe. Il faut aussi contacter les autres. Avec leur aide on pourra vraiment lui mettre la main dessus. »

Monsieur Davidson rebroussa alors chemin. Ses deux subordonnés hésitèrent peu. Ils avaient clairement envie de continuer. Ils l’auraient fait, s’en était fini. Aurait-ce été plus mal ? Seulement ils préférèrent suivre le meneur comme de bons garçons comme moi du moins jusqu’à présent.

De nouveau seul je vomis enfin. Ce qui me calma un peu d’une certaine manière.

Dans un premier temps je songeais à Joe. Je me demande bien pourquoi. Peut-être que je culpabilisais ? A mon avis c’était plutôt parce que monsieur Davidson venait de le mentionner.

A quel point était-il atteint ? Etait-il mort ? Non un gosse frêle comme moi je ne pouvais pas tuer quelqu’un d’un unique coup.

De toute façon monsieur Davidson disait s’en occuper. Il voulait dire le soigner, non ? S’y connaisssait-il en médecine ?

Progressivement je me recentrais sur ma situation.

Qui était ces fameux « autres » auxquels monsieur Davidson voulait-il recourir ?

A ma connaissance les présences humaines à proximité se limitaient au village. Ces gens connaissaient les environs. Effectivement ils lui seraient utiles. Encore fallaient-ils qu’ils acceptent ?

J’avais tendance à voir tout le monde comme toi : intraitable, se refusant à bouger le petit doigt sans une contribution conséquente. Monsieur Davidson pouvait très bien les acheter avec son alcool.

Seulement comment les contacter ? Il n'y avait pas de ligne téléphonique dans ce trou.

Après ces errances j’en vins enfin à l’essentiel. Qu’est-ce que j’allais faire ?

Plus de la moitié de la journée était derrière moi. Il était temps que j’arrête de marcher au hasard.

Le plus simple était de rejoindre la grande route par laquelle nous étions venus en camion.

Est-ce que je rencontrerais quelqu’un m’aidant vraiment ? Tu m’avais toujours dis de me méfier des inconnus. Selon toi tout ce qui était en dehors de notre petite ville n’était qu’un ramassis de voleurs, de brutes, de pervers, et j’en passe.

Pourtant j’étais prêt à prendre le risque. Tout sauf tomber entre les mains de monsieur Davidson et de son équipe.

Suite à toutes ces réflexions, je disposais enfin des forces nécessaires pour me lever. C’est au moment de partir que me vint une hésitation. Je passais par où ?

Je conçus intérieurement comment m’y rendre. Je réalisais alors à quel point mon parcourt était incomplet ainsi que mon estimation de la distance. De plus il m’aurait fallu revenir vers le camp.

Comme si ça ne suffisait pas je ne disposais plus nourriture.

L’alternative était évidente : le village. J’en revenais juste de ce matin. Retrouver le chemin serait un jeu d’enfant.

Et une fois sur place ? Il y avait un shérif. J’espérais qu’il me protège.

De toute façon où d’autre pouvais-je me rendre ?

Faute de mieux je repris la route. Au moins je savais où j’allais à présent. Du moins géographiquement parlant.

Tu ne connaissais pas ce mot, n’est-ce pas ? C’est à ton tour de prendre une leçon.

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