Chapitre 37

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Nous sommes maintenant allongés sur son lit, discutant de tout et de rien, nous interrompant parfois pour s’embrasser. Régulièrement, ma main se perd dans ses cheveux, toujours humides de la douche. On se raconte notre journée. Je ne suis qu’à moitié étonné quand il me dit qu’il a apprécié les films qu’on nous a obligés à regarder aujourd’hui. Quand il me demande lequel j’ai préféré, je suis obligé de lui avouer qu’entre les moments pendant lesquels je dormais, ceux pendant lesquels je parlais et ceux pendant lesquels je cherchais une excuse pour quitter la salle, je n’en ai pas suivi un seul en entier. Il soupire et secoue la tête.

- Qu’est ce que je fais avec toi ? Demande-t-il d’un ton faussement désespéré.

- C’est pas ma faute, moi, si je sors avec un vieux ! T’es un centenaire dans le corps d’un ado !

- Faudra-t-y faire, tu ne sais pas ce qui t’attend ! Pour l’instant, je n’ai pas encore sorti mes pantoufles et mon plaid, mais ça ne saurait tarder !

Je rigole. Un moment se passe ainsi, simplement à discuter. Je lui raconte des anecdotes d’avec mes potes, comment Malik a descendu la piste de ski sur les fesses – en m’emportant sur son passage, mais j’omets ce détail – ou comment Thibaut nous a tanné pour que l’on gagne le concours au musée. Lui me parle aussi de ses amis. J’en apprends un peu plus sur eux, et je m’étonne de penser que ceux-ci sont peut-être plus intéressants que la vision que j’avais d’eux, vision probablement faussée par mon avis général négatif sur les Saint-Thomas. D’un autre côté, vu que je suis dans le même lit que l’un d’eux, mes mains caressant négligemment le creux de ses hanches, il serait peut-être temps que mon point de vue change.

J’en apprends un peu plus sur sa famille aussi. Sur ses deux grandes sœurs notamment, dont il semble plutôt proche. Je m’attendris sur ses souvenirs d’enfance, sur les sorties à la plage avec sa mère. Je me surprend à me demander si je les rencontrerai un jour. Cette question me ramène à mes interrogations de la journée.

Quand un silence s’installe, j’en profite pour lui demander :

- Ça fait longtemps que tu sais que tu es…

- Beau ? Intelligent ? Un vieux dans le corps d’un jeune ?

Je ris.

- Non, pas ça. Gay. Ou bi, d’ailleurs. Ou autre chose.

Il se couche sur le dos, le bras sous la tête, fixant le plafond avec un air de concentration profond.

- Hum… Si je veux être honnête, je crois que j’ai toujours plus ou moins su que j’étais… différent ? Au CP, tous les garçons de ma classe étaient amoureux de la plus jolie fille de l’école. Ou de la maîtresse d’ailleurs. Mais moi, je faisais une véritable fixation sur Jimmy, un gamin de ma classe. Quand il a déménagé, j’ai eu le cœur brisé pendant au moins une semaine, ajoute-t-il en riant. Puis, une fois au collège, je suis sorti avec une fille, et c’était… cool, enfin tu vois. Donc je me suis dit que c’était bon, que j’étais peut-être bi, mais que du coup je pouvais sortir avec des filles, même si ça m’arrivait de flasher sur des gars. Mais quand je suis arrivé dans votre lycée, j’ai vraiment accroché sur un gars en particulier…

Des frissons me parcourent le dos.

- Oh, vraiment ? Je demande d’un ton innocent.

- Oui. Je te le présenterai si tu veux à l’occasion.

Il rigole comme je lui donne gentiment un coup de poing sur l’épaule.

- Enfin, poursuit-il, toujours est-il que malgré mes essais, j’ai du reconnaître que ça ne marcherait pas du tout avec les filles. Et voilà, c’est l’histoire de mon homosexualité ! Dit-il en riant.

- Et Lara ?

- Lara, c’était un peu ma… ma dernière chance. Enfin, ça parait pas très cool dit comme ça. On se connaissait bien, et je la trouvais vraiment super, alors je me suis dit qu’avec elle ça marcherait mieux. Force est de constater que ça n’était pas le cas.

- Mais, vous vous parlez toujours ?

- Bien sûr, ça reste une bonne amie. Elle n’a pas du tout mal pris le fait que je veuille rompre. Elle n’est pas bête, je pense qu’elle aussi devait voir que ça ne collait pas entre nous.

Je reste silencieux un instant. À les voir ensemble, je m’étais demandé si les choses n’étaient pas un peu moins claires entre eux. Mais je suppose que j’étais peut-être au fond – vraiment au fond, un tout petit peu – jaloux.

- Et… tu en as déjà parlé à quelqu’un ?

Il se plonge dans la contemplation de ses mains.

- J’ai vaguement évoqué le sujet avec Simon, sans jamais faire de vrai coming-out. Mais bon, comme il n’est pas trop idiot, il a du comprendre, au moins que je suis attiré par des garçons.

Je m’étonne.

- Ah bon ? Simon ?

Il se tourne vers moi.

- Bah oui, pourquoi pas ? C’est mon meilleur ami depuis le collège, alors… Pourquoi ça t’étonne ?

- Je ne sais pas trop, disons qu’il me paraissait assez…

Beauf me vient en tête, mais je choisis un terme moins polémique :

- … rustre ?

- Je t’accorde qu’au premier abord, il est un peu grande gueule. Mais quand tu le connais mieux, c’est vraiment un gars bien. Et il ne m’a jamais donné l’impression de… me rejeter, ou un truc du genre. Ou alors, je suis trop subtil dans le choix de mes mots et il n’a rien compris du tout, rigole-t-il. Bon, je ne lui ai quand même pas dit sur qui je flashais dernièrement…

- Parce qu’il me déteste ?

Il a un sourire crispé.

- Te détester, quand même pas. Mais disons qu’avec toutes les crasses que nos deux lycées se sont fait…

Je hoche la tête. Je n’ose imaginer ce que penseraient nos camarades s’ils nous voyaient là, dans les bras l’un de l’autre.

- Et toi ? Tu en as parlé à quelqu’un ?

- Non. Déjà, parce que j’en ai pris conscience il y a deux jours à peu près…

Il rigole.

- Tu ne te poses pas beaucoup de questions toi, pas vrai ? Demande-t-il avec un sourire moqueur.

- C’est ça, fous-toi de moi. Ah si, je reprends, j’en ai parlé à Margot, mais ça ne compte pas vraiment, puisqu’elle doit être au courant depuis aussi longtemps qu’on se connaît je pense…

Il rit derechef.

- Je crois que je vais pouvoir la remercier longtemps, dit-il.

- C’est vrai que j’ai cru comprendre que vous aviez comploté dans mon dos tous les deux.

Il ne fait même pas l’effort de paraître embarrassé.

- Il fallait bien, ce n’est pas avec toi que j’aurais pu avancer à quoi que ce soit, hein ! Dit-il d’un ton moqueur.

- Hum. Enfin, ne lui dit pas trop, ses chevilles vont tellement enfler qu’elles vont exploser sinon.

Il rigole. On reste silencieux un instant.

- D’ailleurs, à propos de le dire à quelqu’un…

- Tu voudrais qu’on sorte officiellement ensemble ? Me coupe-t-il. Devant les autres, je veux dire.

Son ton est neutre, je n’arrive pas à savoir son avis.

- Qu’est-ce que tu en penses ? Je demande.

- Ta, ta, ta, j’ai demandé en premier.

C’est vrai, mais seulement parce qu’il m’a grillé la politesse. Je réfléchis une seconde. D’un côté, c’est vrai que j’ai terriblement envie de sortir vraiment avec lui, en-dehors de cette chambre, de passer du temps ensemble à l’extérieur – enfin, pas forcément maintenant puisqu’on commence tout juste à sortir ensemble, mais vous voyez l’idée. Mais comment assumer… Sans même prendre en compte la rivalité entre Saint-Thomas et Zola, il reste le détail tout sauf insignifiant qu’Enzo n’est pas une fille.

- Je ne sais pas… J’aimerais vraiment sortir avec toi « en vrai », mais… Je ne suis pas prêt à ça… Déjà, je suis toujours sensé être avec Sarah, et même si je vais la quitter dès qu’on rentrera de voyage, en attendant je suis quand même un peu coincé. Et puis, je ne sais pas si je pourrai en parler avec le reste de mes potes… Pas maintenant, en tout cas. Je ne sais pas comment ils pourraient réagir… Quant à ma famille…

Je commence un peu à paniquer en pensant à tout ça. Enzo doit le sentir puisqu’il prend mon visage entre ses mains, m’obligeant à le regarder.

- Hé, Lucas, calme-toi, OK ? Je ne suis pas prêt non plus à le dire. Pour l’instant, on garde ça entre nous, d’accord ? Et on avisera le moment venu.

Il se penche sur moi pour m’embrasser doucement. Ça me calme un peu. Il se recule et m’observe.

- Ne rien faire et attendre de voir, tu sais que c’est la base de ma philosophie de vie ? Je dis ironiquement.

Il rigole.

- J’avais cru remarquer.

Je me perd une fois encore dans son regard, qui a le don de m’apaiser. Je refoule toutes mes pensées négatives, me faisant un point d’honneur à appliquer cette devise : profiter du moment, et voir plus tard. Et le moment, là, c’est le garçon beau et intelligent dont je partage le lit. Ma main sur sa nuque, je l’attire à moi pour l’embrasser.

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