Chapitre 38

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Aujourd’hui, une nouvelle journée de ski a été prévue, à mon plus grand désarroi. N’ayant pas envie de passer une nouvelle journée le cul dans la neige, je me suis fait porter pâle. Anne a un peu protesté, mais quand je lui ai fait remarquer qu’avec mon sens de l’équilibre je risquais surtout de me blesser, et donc de ne pas assurer la fin de l’année en hand, elle m’a laissé déserter. J’ai du également insister auprès de mes amis pour qu’ils ne se sacrifient pas pour rester à l’hôtel.

- Vous savez que je ne suis pas un gosse, je peux me garder tout seul, avais-je maugréé alors qu’ils se portaient volontaires à tour de rôle.

Finalement, j’ai réussi à les convaincre de ne pas gâcher cette journée, surtout qu’ils semblaient tous contents à l’idée de skier. Et moi de mon côté, j’allais profiter de cette journée pour passer un peu de temps tout seul, ce qui n’allait pas être déplaisant.

Ce matin, j’ai décidé de traîner un peu dans la chambre. J’ai fait le tour des réseaux sociaux, sur lesquels je n’avais pas été depuis quelques jours. J’ai répondu aux messages d’anniversaire qui traînaient depuis trois jours, me rappelant au passage certains cousins ou membres encore plus éloignés de la famille. J’ai quitté précipitamment quand le profil de Sarah s’est affiché dans mes mentions.

Je lisais tranquillement quand mon père m’a appelé.

- Allô ?

- Hé, Bon anniversaire !

Je le remercie. On parle deux minutes, de mon voyage entre autres. Je ressors plus ou moins les mêmes informations qu’à ma mère trois jours plus tôt, et ça me fait réaliser à quel point certaines choses ont changé entre temps – choses que je passe bien entendu sous silence. À un moment, j’entends une voix féminine en arrière plan, et je patiente le temps que mon père réponde.

- Au fait, dit-il quand il me reprend, Viviane te souhaite un joyeux anniversaire !

Je le sais, puisque la dite Viviane, sa secrétaire qui avait l’habitude de garder des œufs en chocolat dans ses tiroirs pour m’en donner quand je venais à son bureau plus petit, m’a déjà envoyé un message mardi. Je passe ça sous silence et me contente de le remercier.

- Au fait, on pourrait aller voir un match tous les deux, j’ai deux places pour vendredi prochain, on fêterait ton anniversaire là-bas !

- C’est Aloïs qui aime le foot, papa.

- Ah bon ? Je lui en parlerai alors. Sinon, comme cadeau, je pensais t’aider à t’installer l’année prochaine, t’en penses quoi ? Il faudrait commencer à chercher un appartement.

- Euh, je ne sais pas, je n’ai même pas encore fait mes vœux sur ParcourSup, alors…

- Bah, il n’y a pas de raisons pour que tu n’ailles pas dans la même école que ton cousin ! D’ailleurs, tu sais qu’il vient de trouver un très bon poste ? Enfin, c’est pas le sujet. Mais tu sais comment c’est, à Paris, il faut s’y prendre à l’avance pour trouver quelque chose de potable. Et j’ai repéré un petit appartement, pas un manoir tu penses bien, mais un petit trois-pièces pas très loin de ton école.

- Trois pièces ? Ça me paraît déjà pas mal pour un logement étudiant…

- Oui, mais à deux c’est pas si grand !

- Deux ? Une partie pour moi et une pour Pantoufle ?

Je l’entends rire.

- Non, mais tu vas bien emménager un jour avec Sarah ! Tu ne vas quand même pas attendre la mariage, rigole-t-il. Tu sais, il faut se montrer entreprenant avec les filles si tu veux les garder !

Il continue pendant un petit moment à me donner des conseils pour retenir les filles (qui feraient probablement hurler Margot), et je sens mon malaise croître. Je finis par le couper :

- Euh, écoute papa, il va falloir que j’y aille, les profs nous appellent ! On en reparle plus tard, d’accord ?

Sans lui laisser le temps de protester, je le salue et raccroche. Avec un soupir, je me jette sur mon lit, la tête dans l’oreiller. Enfin, sur le lit d’Enzo, techniquement. D’ailleurs, en prenant une forte inspiration, je sens son odeur, reste de son gel douche à la verveine. C’est fou de constater comme les choses ont évolué en si peu de temps. Il y a seulement une semaine, j’étais à deux doigts d’allumer un cierge pour faire le vœu de ne pas le croiser. Aujourd’hui, j’attends le moment où je pourrais le revoir avec impatience, alors que je l’ai quitté il n’y a même pas deux heures. Mais je me sens bien. Margot avait raison : quand je suis avec lui, je me sens à ma place. Ça n’a beau faire que deux jours qu’on sort ensemble, j’aime les choses qui se passent entre nous. Ça me semble naturel.

La conversation avec mon père tourne dans ma tête. J’aurais bien aimé lui dire que ça ne se ferait jamais, mais en même temps cela aurait invariablement apporté des questions auxquelles je ne suis pas prêt à répondre.

Avec un soupir, je me lève et prend des affaires de sport. Une séance de musculation me fera du bien – physiquement aussi, je sens déjà que la reprise du hand va être douloureuse.

La journée est passée assez rapidement. Après ma petite séance de sport, j’ai mangé à l’hôtel puis je suis retourné faire un tour dans le village. Le coin vaut le détour. c’est paumé et la moindre ville est à des kilomètres en contrebas, mais la vue est top.

À quatre heures, je suis retourné au café dans lequel on avait passé la soirée avec la bande, en vue de me réchauffer un peu. Là-bas, en me voyant seul à ma table, un trio de petites mamies d’au-moins 70 ans se sont prises d’affections pour moi, et m’ont invité à prendre un chocolat chaud avec elles. J’ai eu le droit aux ragots du village, décortiqués par mes trois commères. Franchement, ça ne me rajeunit pas, mais je me suis bien marré.

À un moment, quand elles en ont eu fini de passer en revue les habitants du coin, elles ont voulu m’impliquer aussi.

- Et toi mon garçon, m’a dit Huguette, la plus bavarde des trois, tu as une petite amie ?

Je me suis légèrement étouffé avec mon chocolat.

- Euh, non, non, je n’ai pas de petite amie, ai-je dit, ne souhaitant pas épiloguer sur ma situation.

- Voyons, à ton âge, les garçons courent après les filles ! Il n’y en a pas une qui t’intéresse ?

- Non, je ne cherche pas, ai-je ajouté en sentant mes joues rougir.

Marcelle, celle assise à côté de moi, a brusquement reposé sa tasse.

- Mais ça c’est les jeunes d’aujourd’hui, ça n’ose plus conter fleurette ! Moi, à ton âge, je peux te dire qu’il y en avait qui me courtisaient ! D’ailleurs, c’est à cette époque que j’ai rencontré mon Raymond…

Elles se sont ensuite désintéressées de moi pour repartir dans les histoires de leur jeunesse (mes oreilles ont saigné à plusieurs reprises). Après une heure en leur compagnie, le soleil commençant à décliner, je les ai remerciées pour le moment passé, j’ai pris congé d’elles et je me suis redirigé vers l’hôtel.

Sur le chemin, je me suis arrêté à la boutique de souvenir. Gloria, la dernière des trois mamies, m’a justement fait penser à ma propre grand-mère, me rappelant aussi sa collection de boules à neige ornant la commode du salon. J’ignore si elle les garde parce qu’elle les aime ou uniquement parce que je lui offre, mais en tout cas je n’oublie jamais de lui en rapporter une.

Une fois à l’hôtel, j’ai pris ma douche, ce qui m’a ramené à ma douche de la veille. Des frissons m’ont parcouru le creux des reins en y repensant, mais malheureusement cette fois Enzo ne m’a pas rejoint. Quand je suis sorti, il n’était toujours pas là. J’ai flâné un peu en attendant qu’il rentre.

Enfin, j’entends la porte s’ouvrir. J’essaie de rester impassible, histoire de pas montrer que j’étais impatient qu’il rentre – même si en vrai, je boue intérieurement, mais j’ai moyennement envie de passer pour une midinette en manque.

- Salut, toi. T’as passé une bonne journée ?

Il pose son sac et passe sa main dans ses cheveux, se débarrassant de quelques flocons de neige.

- Ça a été, répond-t-il, mais ça m’a tué le ski, je suis crevé.

- Ça se voit, dis-je d’un ton amusé, t’as une tête encore pire que d’habitude.

Il sourit en s’asseyant à côté de moi.

- On n’a pas tous la chance d’être pote avec la prof pour pouvoir être dispensé, hein !

- Que veux-tu, j’ai des relations bien placées.

On se regarde en silence un instant. En repensant au fait que j’ai plus ou moins attendu toute la journée le moment d’être seul avec lui, je me sens un peu bête, mais tant pis. Posant ma main sur sa nuque, je l’attire à moi.

Mes lèvres se posent sur les siennes, que je commence à bien connaître maintenant. Notre baiser, d’abord doux, s’enfièvre peu à peu, ma langue venant passer sur ses lèvres avant d’aller explorer sa bouche.

Prenant les choses en main, je le repousse sur le lit, et vient me placer au-dessus de lui. Pendant une minute, on s’embrasse avec passion, mes mains passant sous son T-shirt, comme animées d’une volonté propre. Mais, alors que je commence à retirer ses vêtements, il me coupe.

- Attends, Lucas, arrête ! Murmure-t-il.

Je me recule et le regarde avec perplexité.

- Ce n’est pas que je n’en ai pas envie, ajoute-t-il, mais il doit déjà être l’heure de descendre manger.

Je regarde ma montre. Effectivement, il est quasiment 19 heures. Je n’avais pas vu qu’il était rentré si tard.

- Oh. Sinon, on peut aussi se passer du repas… dis-je en laissant mes doigts courir sur son ventre.

Il rit.

- Je veux bien, mais les gens vont sûrement trouver ça bizarre.

Je n’y avais même pas réfléchi, je me sens un peu bête.

- Mais, ajoute-t-il, on pourra reprendre ce qu’on était en train de faire plus tard…

Il m’embrasse fiévreusement, promesse délicieuse de moments plus intenses. Je finis par me détacher de lui, le souffle court.

- Si tu continues à m’allumer comme ça, je ne te laisserai pas partir.

Il rit :

- C’est pour que tu ne sois pas trop long à revenir.

Ça, pas de risques. À regret, je le laisse se relever.

- Je me change, on se revoit tout à l’heure, ok ?

Je quitte la chambre sur cette image de lui se déshabillant, respectant notre accord tacite de ne pas arriver ensemble dans la grande salle.

Je rejoins ma tablée, où je me fais aussitôt alpaguer par mes compagnons, heureux de trouver quelqu’un à qui raconter leur journée. Le repas se passe dans une bonne ambiance, chacun se succédant pour narrer ses exploits.

- Et toi, ta journée ? Me demande-t-on.

Je raconte mes faibles aventures de la journée, qui paraissent bien pâles à côté de celles de mes amis. Ils rient néanmoins quand j’évoque le chocolat chaud pris avec mes trois mamies.

- Bah alors, Lucas, t’es en manque, tu dragues tout ce qui bouge ! s’exclame Thibaut.

- Et oui, je vise les héritages maintenant !

Il rigole.

- Enfin bref, ma journée a été moins passionnante que la votre.

- C’est sûr, fait Max, c’était trop bien, c’est dommage que tu n’ais pas été là !

Il enchaîne sur autre chose, mais je m’arrête un instant sur cette phrase. Ce n’est pas grand-chose, mais ça me fait chaud au cœur.

Le reste de la soirée se passe comme d’habitude, avec un jeu de société rapidement expédié comme ils sont tous un peu fatigués. J’ai une étincelle de joie en pensant que cela va me permettre de revoir plus rapidement Enzo, teintée par un soupçon de culpabilité. Je n’ai jamais été du genre à faire passer mes potes après ma… après la personne avec qui je sors. Pour me convaincre que je ne cherche pas à les lâcher, je les raccompagne jusque leur chambre.

Je me retrouve à la fin seul avec Margot, repartant vers sa chambre. Elle a l’air satisfaite de sa journée, et me raconte ses aventures. Le nom de Lara revient dans la conversation, et je fais taire la petite voix qui me souffle des relents de jalousie, d’autant qu’Enzo m’a clairement dit qu’il n’y avait plus rien entre eux. D’ailleurs, je serai plutôt mal placé pour être jaloux, vu que je suis encore, officiellement du moins, avec Sarah. Non, j’y ai réfléchi aujourd’hui, et j’en suis venu à la conclusion que ce qui me soûle surtout, c’est qu’avec elle, il se montrait en public. Ça me soûle d’autant plus que je ne me sens absolument pas prêt à en parler à quelqu’un d’autre, et ces deux parts de moi se disputent continuellement. J’y ai repensé cette après-midi, après que Huguette m’a interrogé sur une éventuelle petite amie. La question pourtant innocente m’a perturbé par la suite. Quand bien même je trouverais le courage d’en parler ouvertement – j’évite de penser aux conséquences potentielles –, est-ce que toute sera ainsi, à devoir constamment reprendre les gens que je rencontrerai sur les pronoms utilisés, à stresser à chaque fois de faire mon coming-out ? Si j’accepte enfin de m’avouer mon homosexualité, je ne sais pas si j’aurais le courage de l’assumer pour autant. Je soupire. Pourquoi faut-il que tout soit aussi compliqué ?

- Ça va toi sinon ?

Je sursaute.

- Oui. Oui, ça va.

- Vraiment ? Parce que tu ne m’écoutais pas du tout, et que tu sembles très loin.

- Je réfléchissais.

Elle prend un air exagérément incrédule.

- C’est pas vrai, c’est possible ça ? Je dois appeler les journalistes ?

- Ah ah ah, très drôle. Figure-toi que ça m’arrive, oui. C’est ta faute, d’ailleurs, c’est toi qui a voulu que je me mette à réfléchir sur moi-même, et maintenant ça m’arrive tout le temps.

- Hum, je comprends, c’est gênant quand on a pas l’habitude. Tu veux en parler ?

Je secoue la tête.

- Non, ça va. Pas ce soir en tout cas. T’as l’air crevée, tu dors debout.

- C’est de ma faute, tiens ! Dis-plutôt que t’es pressé d’aller retrouver ton « colocataire » !

- Bah, c’est vrai que t’es beaucoup moins sexy quand même…

Elle rit. Nous arrivons devant sa porte.

- Bon, va le retrouver alors ! Mais je te préviens, ce séjour est quand même très pauvre en ragots, alors tu auras intérêt à compenser.

- Je vais faire de mon mieux, promis.

Je l’embrasse sur la joue, puis l’on se sépare. Sur le chemin vers ma chambre, j’essaie de ne accélérer le pas alors que je sens mon cœur battre plus fort. Parallèlement, mon angoisse diminue. C’est magique, sûrement la chambre a-t-elle été construite sur un ancien lieu de rituel, je ne vois pas d’autre explication.

Arrivé devant la porte, je n’hésite cette fois pas avant d’entrer.

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