Chapitre 31

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Après ma fuite, je me suis réfugié dans un vestiaire et m’y suis enfermé, le cœur battant à tout rompre. Là, j’ai attendu un long moment de retrouver un état décent, l’esprit totalement embrouillé. J’y suis resté jusqu’à ce que j’entende les gens revenir se changer. Alors, avec un soupir, je me suis résigné à me changer et à sortir rejoindre mes camarades. Mes potes m’ont demandé où j’étais passé. J’ai marmonné une vague excuse de goûter pris à la boulangerie du parc, qui a semblé leur convenir.

Le temps de reprendre le bus, nous sommes arrivés pour l’heure du repas. Après la journée passée à la piscine, chacun a apprécié les burgers et frites préparés par nos hôtes. Moi, j’ai un peu boudé mon assiette, les souvenirs de l’après-midi me coupant l’appétit.

Après le repas, j’ai lancé un regard appuyé à Margot, qu’elle a tout de suite compris. Elle a trouvé une excuse pour les gars, qui ont été un peu déçus de ne pas nous avoir pour jouer aux cartes ce soir, mais ils n’ont pas posé de questions. Après un détour par les cuisines, où grâce à ses bonnes manières et à ses grands yeux de biche Margot a pu nous dégoter deux tasses de chocolat chaud fumant auprès de la dame de la cuisine, nous sommes allés nous installer dans la bibliothèque. Un lieu plutôt sympa, assez petit mais avec une belle vue sur le village, encore illuminé par les décorations de Noël.

- Alors, dit Margot d’un ton doux en s’asseyant par terre, tu es prêt à me parler ?

Je hoche la tête. Je m’assoies en face d’elle et reste silencieux un instant, ne sachant comment dire ça. Puis, finalement, je lâche :

- On s’est embrassés. Avec Enzo.

J’attends une réaction de sa part, mais Margot se contente de me regarder en soufflant sur son chocolat.

- Fais au moins l’effort d’avoir l’air surprise.

Elle repose sa tasse en secouant la tête.

- Je suis désolée mon chat, mais ça ne me surprend pas des masses. J’ai bien vu hier que tu étais sur les nerfs, tu as envoyé chier tout le monde sans raison, et tu étais complètement à l’ouest. Je me doutais bien que tu l’avais embrassé.

- C’est lui qui m’a embrassé.

- Et qu’est ce que tu as fait ?

- Bah… Je l’ai embrassé aussi…

Elle a un petit sourire.

- Et ensuite ?

- Anne est arrivée, et m’a remmené à l’hôtel pour que je me repose.

- Et depuis ?

- Je l’ai totalement évité depuis.

Elle me lance un regard blasé.

- J’espérais que ça irait mieux si je n’avais pas à le voir, dis-je piteusement.

- Ça a marché ?

Je secoue la tête.

- Je l’ai embrassé cet après-midi...

- Je vois. Et pourquoi tu fais cette tête-là du coup ? C’était pas bien ?

- Si, c’était… différent. C’était super, dis-je en soupirant. C’était comme si j’embrassais quelqu’un pour la première fois.

- Et Enzo, qu’est ce qu’il en a dit ?

- Euh, j’ai senti que ça lui plaisait… Genre, physiquement senti, si tu vois ce que je veux dire… Ça m’a fait peur, et je suis parti en courant.

Elle passe une mèche derrière son oreille, en me regardant mi-apitoyée mi-contrariée.

- Tu n’as absolument aucune compétence quelconque en communication, pas vrai ?

Elle soupire.

- Bon, reprenons. Vous vous êtes embrassés et vous étiez tous les deux consentants. Du coup c’est quoi le problème ?

- Le problème, c’est que j’ai une copine, et que je ne suis pas censé l’embrasser lui

- Alors, pour ce qui est de la copine. Réponds-moi franchement, même sans ce qu’il se passe à côté, est-ce que tu la vois comme la fille de ta vie ?

- La femme de ma vie, c’est beaucoup dire… Mais j’aimais bien notre relation… Enfin, surtout au début, on se marrait bien, c’était cool de passer du temps avec elle !

- C’est pas vraiment une relation amoureuse ça. Désolée, hein, mais c’est à peu près la relation que tu as avec tous tes potes. Est-ce que tu as des sentiments pour elle ? Ou est-ce que tu en as eu à un moment ? Pourquoi tu t’es mis en couple avec elle ?

Je prends le temps de réfléchir un instant, me remémorant le début de notre histoire. J’avais déjà croisé Sarah lors de mes entraînements de handball, alors qu’elle venait pour faire du rugby. Je l’avais certes trouvée jolie, mais je n’y avais pas prêté plus d’attention. Puis nous nous étions revus lors d’une soirée à l’école, où je lui étais rentré dedans – littéralement, renversant mon verre de punch sans alcool sur sa robe. Je m’étais confondu en excuses, mais elle avait rit, me disant simplement que j’aurais pu trouver moins cliché pour l’aborder. Après cela, nous avions passé la soirée à discuter, puis les choses s’étaient faîtes naturellement par la suite.

- Quand je l’ai vue, je la trouvais mignonne, et quand on a commencé à discuter, elle était sympa, et drôle. Je me suis dit que ça coulait de source. Mais, si je veux être honnête, j’ai jamais été amoureux d’elle. Je me suis persuadé que ça viendrait avec le temps.

Je me tais une seconde, prenant le temps de digérer l’information.

- Mais, même si je ne suis pas amoureux d’elle, ça ne se fait pas d’embrasser… quelqu’un d’autre.

- C’est vrai.

- Ça me remonte moyennement le moral, ça.

Margot soupire.

- Je ne peux pas te dire mieux, c’est vrai que ce n’est pas cool pour elle. Mais, d’un autre côté, si j’en crois ce que tu m’avais dit, ça fait un moment que ça n’allait plus très bien entre vous, vrai ? Est-ce qu’il ne serait pas grand temps d’arrêter les frais ?

Je soupire.

- Oui c’est vrai… Mais, je n’ai pas non plus envie de la perdre… Comme amie, j’entends.

Elle prend un air désolé.

- Je ne peux pas te dire comment elle réagira. Peut-être que si tu lui parles sincèrement, elle comprendra.

Je hoche la tête, moyennement convaincu.

- Mais tu ne peux pas la larguer par téléphone.

Dommage, la partie lâche en moi, qui a tendance à prédominer en ce moment, aurait apprécié cette option.

- Et tu ne vas pas non plus pouvoir lui en parler de vive voix avant de revoir Enzo, poursuit-elle. Donc tu n’as pas trop le choix que d’attendre pour l’instant.

Je sais que Margot a raison : ça fait longtemps que l’on aurait du arrêter cette relation qui ne nous satisfait ni l’un ni l’autre.

- En tout cas, reprend Margot, c’est un problème qu’on peut écarter, au moins jusqu’à la semaine prochaine. Donc, à part ça, tu as embrassé Enzo, et de ce que tu m’en dit, c’était bien pour tous les deux. Alors c’est quoi le problème ? C’est parce que c’est Enzo ? Ou parce que c’est un garçon ?

Elle a beau parler d’une voix douce, l’entendre dire me fait un coup au cœur. Cela devient trop réel.

- Les deux. Même si Enzo est canon, c’est pas une raison pour que je sois attiré par lui.

Elle se mord les lèvres, cherchant visiblement ses mots.

- Tu penses vraiment que ce n’est qu’une attirance physique ?

J’accuse le coup et baisse la tête. C’était déjà suffisamment difficile d’avouer ça.

- Ça se voit tant que ça ?

- Je te connais par cœur, et je vois que tu es… différent quand tu es avec lui. Pas en mal, hein. Mais tu es… plus apaisé. Plus joyeux aussi. Tu sembles à ta place.

- Mais… c’est un garçon… je ne peux pas avoir des sentiments pour un garçon…

Elle pose sa main sur mon genou et le presse doucement.

- Mon chat, il y a une raison pour laquelle ça ne marche pas avec les filles…

Je garde la tête baissée. Ses paroles me bouleversent, me révélant ce que je me cache à moi-même depuis longtemps. Elle passe sa main sous mon menton.

- Lucas, regarde-moi. Ce n’est pas grave, et ça n’a pas à l’être. C’est comme ça, c’est tout.

- Mais ça ne devrait pas être comme ça… Je ne devrais pas être…

- Gay ?

Le mot résonne un instant dans la pièce.

- Je sais que ce n’est pas mal… mais pas pour moi ! Ma famille, mes amis… Mes parents…

- Lucas, peu importe ce qu’en penseront les autres, ça ne changera pas qui tu es. Tu peux essayer d’enfouir ça en toi, mais ça ne te changera pas. Et regarde, je suis là, moi, d’accord ? Il n’y a pas de raisons pour que ce soit différent pour les autres. Peu importe ce qu’il se passe, je suis là, OK ?
Je saisis sa main et la presse, plein de gratitude.

- Merci, dis-je d’une voix étranglée.

De l’autre main, j’essuie les larmes qui me montent au yeux, mélange d’angoisse et de reconnaissance. On reste un moment sans rien dire, main dans la main, jusqu’à ce mes émotions refluent. Je prends une profonde inspiration.

- Et pour Enzo ? Qu’est-ce que je fais ?

- Il va falloir que tu lui parles, tu ne peux pas l’éviter à tout jamais.

- Mais… si je me suis fait des films ? Je l’ai entendu, tu sais. Après la pièce de théâtre. Je l’ai entendu, ils se moquaient de moi, lui et ses potes. Et il a clairement dit qu’il ne m’appréciait pas.

Derechef, Margot se mord les lèvres.

- C’est peut-être compliqué pour lui aussi… Mais je suis persuadée qu’il tient à toi, et même plus que ça. Mais tu vas devoir lui demander.

Je hoche la tête, dépité. Je pense pourtant avoir eu mon lot d’émotions pour la journée.

- Mais, si jamais je me suis trompée et qu’il te fait du mal, je te promets de lui casser la figure, OK ?

Je rigole.

- Ça marche.

On reste silencieux un instant.

- Est-ce que je peux encore rester avec toi un petit peu ?

- Mais bien sûr, idiot.

Elle écarte le bras et je viens me glisser à côté d’elle, savourant mon chocolat maintenant froid.

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